Culture

Arrêtez de dire «mère nature», ça renforce les stéréotypes sexistes

Temps de lecture : 2 min

Car si les femmes sont associées à la nature, les hommes, eux, le sont à la culture.

Street art in Belleville, Paris (oeuvre de Ben) |  Cadaverexquisito (Own work)  via  Wikimedia Commons CC SA 3.0License by
Street art in Belleville, Paris (oeuvre de Ben) | Cadaverexquisito (Own work) via Wikimedia Commons CC SA 3.0License by

L’expression «Mère nature» sera certainement utilisée de nombreuses fois durant cette 21e édition de la COP21. Pourtant, elle renforce les préjugés sexistes, explique Sarah Milner-Barry, étudiante en affaires internationales et environnement à la Milano School, dans le magazine Quartz. Car à la combinaison nature-femmes correspond une autre combinaison, qui lui est opposée: culture-hommes. Associer les femmes et la nature dans l’expression «mère nature» renforce donc l’idée implicite que la culture serait réservée aux hommes, expliquait déjà en 1974 Sherry Ortner, anthropologue américaine, dans son ouvrage Is Female to Male as Nature is to Culture.

Faisons taire en nous toutes nos habitudes de langage, et penchons nous un peu sur les mots eux-mêmes. Des contradicteurs pourraient répondre que si l’on utilise l’expression «mère nature», c’est parce que le mot «nature» est féminin. Mais la nature est «mère» dans la plupart des langues, y compris dans les langues qui n’ont ni féminin ni masculin. En anglais, par exemple, elle est aussi «mother nature».

De mère nourricière à objet d'exploitation

La plupart des langues occidentales en parlent d’ailleurs au féminin. En allemand, c’est aussi «die» Natur, en italien, «madre natura», en espagnol, «madre Naturaleza». Dans les langues anciennes, déjà, on lui donnait ce genre: natura en latin (le a indiquant le féminin), ἡ φύσις, ou «é phusis», en grec ancien. Depuis des siècles, la nature est associée à l’idée d’une fertilité féminine, et la femme à l’idée d’une nature abondante. Dans les métaphores utilsées couramment, la nature «enfante» et «donne naissance», la femme est «nourricière» comme la nature l’est par les fruits et les biens qu’elle offre aux humains.

Mais depuis Descartes, la nature est aussi l’ennemi à abattre, ou plutôt à dompter, pour s’en rendre «comme maîtres et possesseurs», selon la fameuse expression du philosophe. Avec les progrès de la science au XVIIe siècle et plus tard lors de la révolution industrielle, l’homme a moins peur des catastrophes naturelles, qu’il commence à prévoir, et dont il peut maîtriser en partie les effets. La nature devient une ressource à exploiter, et perd de son sacré. La métaphore de la nature appliquée aux femmes se teinte alors d’une connotation négative.

«De même que les humains ne peuvent rationnaliser ou discuter avec la nature, les hommes ont aussi historiquement estimé qu’on ne pouvait ni éduquer ni échanger des arguments avec les femmes, écrit Sarah Milner-Barry. (...) Et l’on attend des deux (femme et nature) qu’elles soient perpétuellement disponibles et qu’elles s’accomodent à leurs désirs».

Un ordre naturel qui cache un ordre divin

Plus récemment, l’idée de nature a été employée par des chrétiens traditionnalistes et des penseurs opposés aux études de genre, qui avancent l’idée d’un «ordre naturel» tantôt pour s’opposer au mariage homosexuel, tantôt pour justifier les inégalités de droits entre hommes et femmes. Un ordre naturel qui cache en fait... un ordre divin, qui ne repose sur aucune justification rationnelle.

C’est ainsi l’idée de nature qui sert de principal argument à la «philosophe» Chantal Delsol, qui invite dans Le Monde à prendre en compte «l'enracinement nécessaire qui nous arrime à la condition humaine, à l'histoire, aux exigences naturelles élémentaires» pour s’opposer aux acquis scientifiques des études de genre. Donc à revenir au statu quo, selon elle «naturel», dans lequel les femmes étaient soumises aux hommes. Autant dire qu’invoquer la nature, c’est généralement une autre manière de dire qu’un état de fait devient un état de droit. Qu’il s’agisse des discriminations ou d’écologie, un tel raisonnement, dans lequel aucune avancée ni évolution n’est permise, ne peut suffire.

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