Pour changer des têtes de listes, Slate.fr a décidé de s’intéresser, pour cette ultime ligne droite des élections régionales, aux derniers de liste: ceux qui n’ont aucune chance d’être élus, simples militants venus faire le nombre ou élus d’une autre assemblée chargés de donner une touche de notoriété à la fin de la liste. Cinquième épisode de cette série «Les derniers seront les premiers» dans la nouvelle région Normandie, avec Vincent Kremer-Genin, candidat socialiste, qui range de côté son amour propre pour s’ancrer sur son territoire.
Depuis plusieurs semaines, à ceux qui lui demandent pourquoi il s’échine à être candidat sans espérer être élu, Vincent Kremer-Genin fait la même réponse: «Je suis peut-être le dernier de la liste mais je suis le premier des militants!» Puis il sourit, sûr de son effet. Comme il en rigole aujourd’hui en racontant son parcours. En queue de peloton sur la liste PS ornaise de Nicolas Mayer-Rossignol, président sortant de la Région Haute-Normandie, Vincent bat la campagne depuis des mois, dans un territoire rural et conservateur où il ne fait pas toujours bon de s’afficher «de gauche». «Je milite depuis 2011 et j’ai fait toutes les campagnes depuis: municipales, européennes, départementales... C’est une sorte de parcours initiatique. Il faut être humble, ranger son amour propre et voir ça comme une opportunité de s’ancrer sur le territoire. C’est comme tout: il faut attendre son tour», rembobine-t-il. Candidat aux municipales de 2014 à Saint-Patrice du Désert, un petit bourg de 200 âmes, où il est arrivé en maternelle à l’âge de 3 ans, en provenance de Clamart, dans les Hauts-de-Seine, il a échoué face à un maire agriculteur de 62 ans, qui s’affiche sans étiquette. «En réalité, il est de droite, comme beaucoup qui n’affichent aucun parti. Moi, j’ai préféré être honnête: j’ai assumé. Mais j’ai fait une croix sur la commune. C’était plus une candidature sentimentale.» Et puis, même s’il est arrivé jeune dans la région, pour certains, il n’est «pas vraiment normand»: «Ça compte parfois, malheureusement. On sent qu’on n’est pas du cru.»
Le bonhomme au costume gris impeccable a seulement 34 ans mais il est directeur d’école primaire à la Sauvagère. «J’ai 200 élèves sous ma responsabilité, ça n’est pas rien...» souligne-t-il. Alors quand on lui rétorque son manque d’expérience, il ironise. Aux départementales, il a échoué au premier tour, de 22 petites voix, sur près de 5.000. Face à lui, le FN s’est hissé au deuxième tour. «Mais c’était des fantômes, jure-t-il. Ils habitaient à l’autre bout du canton. C’est simple: ils viennent, il prennent les voix, puis ils repartent. On ne les voit jamais! Pour la région, leur programme c’est: “Libérons la Normandie!” Ils ont peut-être oublié qu’on a déjà été libérés en 1944...» Responsable de la section PS de la Ferté-Macé, ville de 5.700 habitants, il mobilise comme il peut. «La section, c’est comme une famille. Ça s’exprime beaucoup, ça débat. Alors quand vous venez, vous avez un peu l’impression d’être à “Questions pour un champion”, c’est relativement âgé, mais on est quand même trente à chaque réunion. Il y a de la convivialité, c’est important.» Loin des batailles autour des courants historiques, il essaie de faire vivre un esprit critique, de valoriser «ce qui est bon», de rester soudés face à leurs adversaires, plutôt que «se bouffer le nez» entre eux.
Volonté d’être élu
Depuis les attaques terroristes de Paris et de Saint-Denis, tout le monde fait profil bas. Mais la campagne reprend doucement. «Il faut rester digne, sobre, discret, et ne surtout pas avoir une démarche ostentatoire, ponctue-t-il. Depuis les attentats, chaque réunion se transforme en groupe de parole. On ne va pas embêter les gens avec la campagne, ça n’est pas leur première préoccupation. Mais il faut aussi dire que, la région, c’est le vivre-ensemble, c’est des politiques concrètes pour les lycées, les transports, les festivals... C’est exactement ce qu’ont voulu attaquer les terroristes!»
La région, c’est le vivre-ensemble, c’est des politiques concrètes pour les lycées, les transports, les festivals... C’est exactement ce qu’ont voulu attaquer les terroristes
Vincent Kremer-Genin
Le lundi après les attentats, Vincent est allé travailler, craignant les «amalgames» dans un département rural peu confronté à la «mixité» claironnée sur tous les plateaux télé. Il a en charge, en plus de son poste de directeur, une classe de CM1. «Les enfants ont été abreuvés d’images tout le week-end... Mais ils ont fait preuve de beaucoup de maturité», se réjouit-il. Exercice pratique: s’ils planchent depuis des semaines sur le nouvel «enseignement civique et moral» prévu par la réforme du gouvernement, l’instituteur ornais veut les confronter à la «laïcité», un concept pas facile à aborder face à des gamins. «On a écrit des petits scénarios que j’ai ensuite joués devant eux, raconte-t-il. Ils faisaient bien la part des choses. C’était un vrai rassemblement.»
Y aura-t-il un sursaut après ces attentats? Vincent Kremer-Genin veut le croire. «Certains vont se réveiller. On résiste! Même si quand on fait du porte-à-porte, on voit que les gens ne font pas dans le détail...» Dans sa tête, et malgré sa position sur les listes aux régionales, ces événements tragiques à Paris renforcent sa volonté d’être élu un jour. «Pour transformer les choses.» D’ici là, il donne le coup de main. Comme pour réparer les plaies d’une enfance où il voyait la gauche sans cesse divisée. Un père qui vote Chevènement en 2002, par exemple, et avec lequel il n’est pas souvent d’accord. «Dans ma famille, on vient du monde ouvrier, ajuste-t-il. On a toujours parlé politique, alors forcément, il y a des confrontations.» Mais ce qu’on pense à 20 ans ne résiste pas toujours au temps qui passe. À quelques points derrière la liste LR dans les sondages, dans une Normandie qui fusionne en raison du redécoupage des régions décidé par François Hollande, Vincent fait campagne sur les fondamentaux. Et comme il ne sera pas élu pour servir ses concitoyens, il continuera, lundi 14 décembre, au lendemain du second tour, d'être au service de ses élèves.