France

Le magazine en français de Daech déclare la guerre à l'école républicaine

Temps de lecture : 5 min

L'organe de propagande francophone de l'État islamique oscille entre horreur, cynisme et incohérence.

Une du magazine de propagande djihadiste Dar al Islam, reprenant une photo de Benjamin Filarski.
Une du magazine de propagande djihadiste Dar al Islam, reprenant une photo de Benjamin Filarski.

«La gerbe.» C’est la réaction que le photographe Benjamin Filarski a eu en apprenant que le magazine francophone officiel de l’État islamique faisait sa une avec un de ses clichés du 13 novembre. Ainsi, cette semaine, on peut voir sous le titre Dar Al Islam un policier sangloter rue de la Fontaine-au-roi sur l’épaule d’un de ses collègues. La propagande islamiste y voit un signe de faiblesse et intitule ce septième numéro: La France à genoux.

Les articles publiés par Dar Al Islam sont bien sûr généralement centrés autour des thématiques françaises. Mais le traitement réservé à l’Hexagone dans la dernière livraison salafiste est particulièrement volumineux. Comme Dabiq, son cousin anglophone, il y a quelques jours, le magazine numérique ne se prive pas de revenir sur les attentats du 13 novembre dans son édito, en plus d’un macabre portfolio en fin de magazine.

Il s’agit principalement de la reprise du communiqué par lequel l’organisation terroriste islamiste avait revendiqué les attaques dès le lendemain, texte auquel l’auteur ajoute cette fois-ci quelques insultes supplémentaires:

«Pauvre France. Elle finit l’année comme elle l’a commencée dans les larmes et le sang. La minable petite France a été frappée de plein fouet par les lions du Califat, lors des attaques bénies du 13 novembre 2015, à Paris et Saint-Denis.»

Marc-Édouard Nabe, chroniqueur à son insu

C’est en passe de devenir un classique pour les communicants de l’État islamique. La figure d’un intellectuel français est à nouveau détournée ici par le mouvement islamiste. Après les longs passages d’une interview où le philosophe Michel Onfray s’opposait à la politique française au Moyen-Orient repris dans un montage de Daech, c’est à présent au tour de l’écrivain Marc-Édouard Nabe de voir ses propos relayés par l’EI. Il n’est pas inhabituel que les analyses ou déclarations d’hommes de lettres occidentaux soient mises en avant par Dar al Islam, loin de là, puisque chaque numéro consacre à celles-ci la rubrique Les mots de l’ennemi. Mais l’ampleur de la reprise est en revanche inédite: cet extrait d’un article que Nabe avait écrit pour la première mouture de sa revue Patience (parue en décembre 2014) court sur pas moins de dix pages.

Cette longue citation fait d’abord la part belle à des formules provocatrices qui semblent apporter de l’eau au moulin des fanatiques: «J’adore Al-Qaïda, et Al-Zawahiri tient magnifiquement la barre après l’exécution dégueulasse d’Oussama. Mais le projet de Baghdadi et de l’État Islamique va naturellement dans le sens de l’histoire.» Ces jugements à l'emporte-pièce viennent soutenir la vision de Nabe de révolutions islamiques reprenant possession de terres jusque-là exploitées par des systèmes «coloniaux» et d’un Abu Bakr Al-Bagdhadi, calife Ibrahim autoproclamé, censé être le seul à même de débarrasser la Syrie du dictateur Bachar el-Assad.

Mais l’essentiel du discours de Nabe et de sa récupération par l’EI réside sans doute dans une curieuse partie à trois bandes où les coups échangés viseraient, en bout de course, à dégommer de curieux invités: Alain Soral et ses partisans. Dar Al Islam publie ainsi un long développement de Marc-Edouard Nabe prenant ce qu’il appelle ironiquement «la Dissidence» pour cible. Il se moque avant tout de l’imaginaire complotiste parfois tissé autour de la guerre syrienne par les membres d’Égalité et Réconciliation, site fondé par Soral, rebaptisé pour l’occasion «Mongolisme et réconciliation»:

«Le décor du désert syrien n’est qu’une image incrustée dans un fond vert, et le bourreau et Foley ne sont que deux acteurs en studio qui jouent parfaitement le rôle que leur a assigné la Gouvernance mondiale et ses francs-maçons illuminato-sionistes! Voilà les sempiternelles thèses par lesquelles les araignées du conspirationnisme asphyxient la Toile croulante de leurs conneries… Bien sûr, c’est risible, et les complotistes vont finir par faire rire, comme les cocus chez Molière [...] Alors que la politique et l’éthique du Califat sont strictement accordées à leurs idées, ils ne peuvent pas, par orgueil, se dédire de leur théorie du complot désormais ringardisée par les faits. Ah, ils n’ont pas l’air cons!»

La laïcité à la française pour cible

L’auteur des lignes précédentes ferait bien de parcourir le dossier que ce septième numéro du magazine francophone de l’EI a échafaudé autour de la question de l’éducation en terres «d’incroyance», tant ces pages sont, elles aussi, pleines d’élucubrations complotistes grotesques. Il faut dire que les choses sont simples pour les militants salafistes de l’EI: l’éducation obligatoire française ne vise qu’à abrutir les enfants, à les avilir pour «imposer le mode de pensée corrompu de la judéo-maçonnerie» les rendre «esclaves des vrais maîtres de l’Occident: les juifs corrupteurs».

Bien entendu, l’article ne manque pas de vitupérer contre la Charte de la laïcité désormais promue par l’enseignement français et lui trouve un commode nouveau label: «la Charte de la mécréance».

Partant de là, personne ne sera surpris que la publication rejette tout en bloc: de l’alimentation scolaire à la démocratie (décrite comme «une fausse religion») en passant par la mixité, l’interdiction du voile, ou encore la tolérance et l’égalité: «Dans les écoles de la jâhiliyah [ignorance ou paganisme, NDLR], sont enseignés la tolérance, le respect des valeurs républicaines et le pluralisme des convictions», autant de valeurs que le musulman, revu et corrigé par l’EI, doit «détester». Sur sa lancée, le magazine intime aux parents musulmans l’ordre de retirer leurs enfants des écoles françaises... voire de tuer les professeurs y enseignant la laïcité.

Pourtant, Daech ne juge pas que la laïcité française soit islamophobe: «La loi du 28 mars 1882 avait pour but d’arracher l’éducation à l’église catholique pour la confier aux enseignants républicains.»

Tradition créationniste

Ce sera bien la seule concession faite à l’Éducation nationale de la République française car ce «dossier pédagogique» bien particulier enchaîne: «Le musulman doit savoir que le système éducatif français s’est construit contre la religion en général et que l’Islam en tant que seule religion de vérité ne peut cohabiter avec cette laïcité fanatique.»

Un sens de la vérité qui n’a rien d’évident pour un lecteur familier de la pensée de Darwin puisque Dar Al Islam tente aussitôt de disqualifier la théorie de l’évolution, dans la plus pure tradition créationniste.

Ainsi, le septième numéro de cette brochure de propagande a au moins une vertu: rappeler que l’effort à fournir en matière de culture et d’éducation est un volet primordial de la lutte contre l’État islamique car ceux qui se veulent les ennemis de la République et de son école ne cachent pas la haine qu’ils vouent à l’une et à l’autre.

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