France

Le fantasme de la castration chimique

Temps de lecture : 5 min

Elle ne peut pas s'appliquer à tous les cas de criminels sexuels.

Un fait divers criminel? Une loi! En science comme en politique, les mêmes causes peuvent parfois produire les mêmes effets. Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, a ainsi, jeudi 1er octobre, souhaité  que le législateur facilite le recours à la «castration chimique» chez les personnes reconnues coupables de crimes sexuels. Cette technique, réversible, de castration, alimente souvent de nombreux fantasmes. Elle consiste à administrer à échéance régulière des substances médicamenteuses qui ont pour principal effet de réduire la production de testostérone. On postule généralement que la réduction de la production de cette hormone masculine permettra de prévenir les pulsions qui peuvent être à l'origine de certains crimes sexuels. Pour les spécialistes, il s'agit plus précisément d'une technique qui, dans certains cas seulement, peut aider à la prise en charge thérapeutique d'un délinquant sexuel.

Le porte-parole de l'UMP s'exprimait dans les heures qui suivaient la découverte du cadavre d'une femme près de Milly-la-Forêt (Essonne); un meurtre dont un homme déjà condamné pour viol venait de dire qu'il en était l'auteur. «Ne doit-on pas enfin décider la mise en œuvre de la castration chimique pour ce type d'individu?», a demandé Lefebvre en  jugeant nécessaire de «tirer les conséquences immédiates en termes de responsabilité et de modification de la loi».

Peu de temps après Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice proposait de renforcer la castration chimique afin qu'elle puisse «s'appliquer pendant l'incarcération, mais aussi après». La ministre a rappelé que le dispositif de castration chimique existe déjà en France, mais uniquement sur la base du volontariat des détenus et uniquement durant leur période d'incarcération. Si les personnes concernées refusent cette forme de thérapeutique (lorsqu'elle est médicalement recommandée), ils ne peuvent bénéficier de remise de peine.

Michèle Alliot-Marie souhaite d'ores et déjà que, dans le projet de loi sur la récidive qui doit être examiné en octobre, la castration chimique soit permise après la détention, lorsque le délinquant sexuel est en période de remise de peine ou lorsqu'une obligation de suivi a été prononcée. «Ce sera la castration chimique ou la prison. Ils auront le choix entre l'un ou l'autre», a-t-elle déclaré. La castration chimique serait alors prononcée par un juge.

L'affaire fait grand bruit dans la classe politique. A droite, la cause est entendue. Peu de temps avant que la ministre de la justice ne prenne la parole le député (UMP, Loire) Yves Nicolin annonçait qu'il entendait déposer au plus vite une proposition de loi visant à instaurer la castration chimique pour tout violeur d'un mineur de moins de 13 ans:

«La castration chimique existe et a fait ses preuves dans de nombreux pays du nord de l'Union Européenne tel que l'Allemagne, le Danemark, la Belgique, souligne le député dans un communiqué. Les dispositifs législatifs et médicaux (suivis psychologique et pharmacologique) en vigueur sont nécessaires car ils permettent d'assurer un  suivi des délinquants sexuels mais aucune garantie formelle ne peut être apportée contre le risque de récidive.»

Au Parti socialiste, l'affaire embarrasse. Porte-parole du PS, Benoît Hamon a jugé «déplorables» et «indécents» les propos de son homologue Frédéric Lefebvre. «C'est effroyable ce qui se passe. Il faut un plan d'application de soins  pendant et après la prison afin qu'un prédateur sexuel ne puisse jamais recommencer», a pour sa part déclaré Ségolène Royal. «Cela existe dans d'autres pays et donne des résultats. Au Québec, il n'y a pratiquement plus de récidive parce que les délinquants sexuels ont l'obligation de soins pendant la prison et ne sont relâchés qui si les soins ont fait leurs preuves. Et ils continuent d'être soignés après leur sortie. Tout ce qui va dans le sens d'empêcher les prédateurs sexuels de récidiver doit être proposé».

Nicolas Sarkozy: «Les mots ne me font pas peur»

Castrer chimiquement et durablement ce «type d'individu» (pour reprendre les termes de Frédéric Lefebvre)? La proposition est tout sauf nouvelle. En août 2007, peu après avoir reçu le père d'un enfant enlevé et violé par un récidiviste qui sortait de prison, Nicolas Sarkozy demandait  à la ministre de la justice de faire de nouvelles propositions sur ce thème dans le cadre d'une future loi pénitentiaire. «Les détenus de ce type, expliquait alors le chef de l'Etat, à la fin de leur peine, seront examinés par un collège de médecins, et si ce collège de médecins reconnaît leur dangerosité, ils ne seront pas remis en liberté, ils iront dans un hôpital fermé où ils seront soignés.»

«Ceux qui n'accepteront pas d'être soignés resteront dans cet hôpital fermé le temps où on estimera qu'ils sont dangereux», ajoutait alors Nicolas Sarkozy, en précisant que les autres pourront sortir en «permission» avec un bracelet électronique mobile ou dans le cadre d'un traitement hormonal, soulignant que l'on peut parler de «castration chimique»: «les mots ne me font pas peur ».

Peu de temps après le député (UMP, Paris) Bernard Debré annonçait qu'il allait déposer une proposition de loi sur la castration chimique:

«Un criminel sexuel, après qu'il ait été examiné par un collège de médecins qui nous dira qu'il est potentiellement récidiviste, doit être traité médicalement par une castration chimique. C'est simplement une injection tous les trois mois d'un produit qui empêche la libido et qui rend cet homme impuissant. Il y a quelques années, la seule solution était éventuellement de faire une castration chirurgicale. Là, on atteint exactement le même résultat avec une injection tous les trois mois, et bientôt tous les six mois. Dans ma proposition de loi, je demande que le délinquant soit obligé de faire cette castration chimique dès l'entrée dans sa prison, et bien entendu à la sortie, et qu'à la sortie il soit suivi tous les trois mois pour vérifier que son taux de testostérone soit à un taux de castration. »

Réconcilier le délinquant avec lui-même

«Castration chimique» ? En janvier 2008, dans les colonnes du Monde le Pr Pierre Lamothe, psychiatre, chef de service du service médico-psychologique régional de Lyon contestait le terme  qui, selon lui, «véhicule une idée de mutilation du délinquant sexuel comme s'il était puni par où il avait péché».

«Nous lui préférons le terme d'aide au contrôle chimique des pulsions. Il faut le marteler : aucune mesure "passive" ne peut résoudre le problème du délinquant sexuel. Cela ne fait que le maintenir dans l'idée illusoire que la source de sa pulsion est extérieure à lui. Ce qui est efficace, c'est de réconcilier le délinquant avec lui-même et avec sa vulnérabilité, en lui laissant toujours la possibilité de dialogue, dans la relation thérapeutique, même si c'est très difficile avec les pervers. La grande erreur, c'est de vouloir "terroriser les terroristes" en matière de délinquance sexuelle. »

Cette position est très largement partagée par tous les spécialistes de la prise en charge médicale des délinquants sexuels qui soulignent que dans la très grande majorité des cas leurs patients n'ont pas besoin d'un tel traitement médicamenteux. En pratique la castration chimique (toujours associée à une prise en charge globale et notamment psychologique) ne peut avoir d'utilité  que chez les personnes qui ont des problèmes spécifiques dits de «compulsion», phénomène qui les «dépasse» et les conduit à «passer à l'acte».

Contrairement à la tonalité sécuritaire et quelque peu démagogique de l'actuel discours politique  sur ce thème tous les spécialistes ajoutent qu'il ne saurait être question d'administrer  une castration chimique sans l'accord du malade à la fois pour des raisons éthiques et thérapeutiques. Lorsqu'elle peut être utile, cette technique n'a de sens que si elle est utilisée de manière transitoire, pour permettre au malade volontaire d'être plus réceptif à la prise en charge qui lui est proposée. Imposer une telle pratique serait, de l'avis des spécialistes, aller à l'encontre même de l'objectif recherché. De la même manière, on ne saurait instaurer une castration chimique «à vie» puisqu'elle n'a de sens et de portée que dans le cadre d'un suivi thérapeutique qui, généralement, ne dépasse pas quelques années.

Il reste à connaître l'impact que pourra avoir le nouveau choix proposé à ces malades: le recours à cette forme de castration ou le maintien en prison.

Jean-Yves Nau

Image de Une: Flacons de médicaments  Reuters

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