Monde

Le parti communiste chinois s'accroche

Temps de lecture : 7 min

Quatrième volet de la série sur le soixantième anniversaire de la République populaire de Chine.

Nous publions une série de cinq articles sur le soixantième anniversaire de la naissance de la Chine communiste. A lire aussi, la première partie: «Les hommes de la révolution chinoise», la deuxième partie «La mémoire perdue» et la troisième partie «La Chine est redevenue une puissance mondiale».

***

Le 16 septembre, le film à grand spectacle The Founding of a Republic est sorti dans les cinémas de toute la Chine. Avec plus de 100 vedettes, dont Jackie Chan et Jet Li, ce film est le point d'orgue de la commémoration du 60e anniversaire de la République Populaire de Chine (RPC), qui a eu lieu le 1er octobre. Dans un passage particulièrement poignant, à la veille de la création de la République, l'acteur qui interprète Mao Zedong annonce d'une voix bouleversée, «Le peuple chinois s'est levé.» Puis une ellipse aussi maladroite que gigantesque nous amène au mois de décembre 1978, lorsque Deng Xiaoping proclame le début d'une ère «d'ouverture et de réforme» pour l'Empire du milieu.

The Founding of a Republic est sans doute possible un film de propagande, ce qui est normal, puisqu'il a été conçu par le Conseil politique du peuple de la municipalité de Beijing. Mais l'ampleur du regard qu'il pose sur l'histoire de la RPC a le mérite d'attirer notre attention sur une information tout à fait significative. Le régime de «réforme» dont parlait Deng Xiaoping aura bientôt 31 ans, ce qui signifie qu'il dure déjà depuis plus de la moitié de l'existence de la République.

Cette information est importante car les dirigeants qui se sont succédés depuis Deng Xiaoping ont toujours insisté sur le fait que le Parti communiste chinois allait bientôt renoncer à son rôle prédominant dans la société et l'économie chinoises. Selon eux, le Parti travaillait assidûment à préparer les réformes politiques et économiques qui allaient bientôt apporter la démocratie au peuple chinois... Mais seulement une fois que les dégâts provoqués par l'ère Mao Zedong auraient été réparés. A ce titre, Deng Xiaoping a même déclaré que la démocratie était «une condition essentielle de l'émancipation des esprits.»

Mais cette période de réformes existe désormais depuis plus longtemps que la dictature de Mao. Et l'excuse selon laquelle le Parti doit triompher définitivement des fantômes du maoïsme avant de renoncer au pouvoir apparaît de moins en moins crédible.

Mais commençons par le commencement. Pourquoi le Parti devrait-il renoncer au pouvoir et tout faire pour favoriser l'émergence de la démocratie? Parce que sur un aspect fondamental, l'autoritarisme a échoué. En Chine, l'Etat est riche, le Parti est puissant, mais la société civile est inexistante et l'immense majorité des habitants est pauvre.

Mais ne peut-on pas soutenir que les dirigeants chinois ont au moins le mérite de mener le pays vers la prospérité? Il est vrai que depuis les réformes, le PIB (Produit intérieur brut) chinois a été multiplié par 16. Cela ne va-t-il pas finir par bénéficier à l'ensemble de la population? Pas dans le cadre du modèle économique actuel, qui repose entièrement sur une politique d'investissements d'Etat engagée après le massacre de Tian'anmen pour rendre indispensable la domination du Parti.

On ne l'entend pas souvent, mais le plus grand facteur de croissance en Chine depuis les années 1990 n'est pas l'exportation. Ce sont les investissements de l'Etat en capital fixe, dans les usines, la construction et les infrastructures (routes, ponts, voies ferrées), qui, en 2008, ont constitué plus de la moitié du PIB et plus de 45% de la croissance du PIB. Cette année, l'énorme plan de sauvetage lancé par l'Etat (d'un montant de 586 milliards de dollars) va placer la part de ce dernier dans la croissance du PIB à 75%.

Une telle dépendance à l'égard des investissements de l'Etat a de quoi inquiéter. Où va tout cet argent? Une autre particularité de la Chine est que les prêts consentis par les banques, prêts qui sont financés par les dépôts des particuliers, constituent environ 80% des tous les investissements réalisés dans le pays. De ce fait, alors que les entreprises d'Etat produisent entre un quart et un tiers des richesses du pays, elles reçoivent plus des trois quarts du capital investi, une proportion qui est d'ailleurs en constante augmentation. Ainsi, les entreprises d'Etat ont reçu plus de 95% de l'argent débloqué pour le plan de sauvetage de 2009. De plus, le secteur d'Etat détient aujourd'hui au moins les deux tiers de tous les actifs fixes du pays.

Dans un pays pauvre, la croissance économique est utile si elle permet d'augmenter le niveau de vie de la majorité des citoyens. Mais les modèles de croissance basés sur la prédominance de l'Etat, comme en Chine, génèrent souvent des inégalités structurelles très profondes qu'il est difficile de réduire.

Dans ces conditions, comment s'étonner que la classe moyenne chinoise (qui rassemble entre 50 et 200 millions de personnes, selon les modes de calcul) approuve invariablement les décisions du Parti, qui compte environ 75 millions de membres? Le Parti recrute principalement au sein de ces élites, qui sont composées d'un quart d'ouvriers qualifiés, d'un tiers d'étudiant et d'un tiers d'entrepreneurs. Et comment s'en étonner? Parce qu'il contrôle les grandes industries, la plus grande partie du capital (à travers les banques d'Etat) et le vaste système qui établit les critères d'excellence et décide des promotions, le Parti est, plus que jamais, le passage obligé vers la réussite économique et professionnelle.

Pendant ce temps, environ un milliard de personnes restent totalement exclues de cette nouvelle prospérité car elles ne peuvent s'intégrer à ce modèle de développement. Ce milliard de pauvres a peu d'espoirs d'échapper à sa condition et ploie sous le joug de quelques 45 millions de responsables locaux souvent corrompus et incompétents. Selon une étude réalisée par l'Académie chinoise des sciences sociales en 2005, au cours des dix dernières années, plus de 40 millions de foyers se sont vus confisquer leurs terres par des responsables locaux qui jouissent d'une impunité quasi totale. Dans les années 1990, la réduction de la pauvreté a ralenti de manière dramatique. Et depuis 2000, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a doublé en valeur absolue. En une génération, la Chine est passé du statut de pays le plus égalitaire d'Asie à celui de plus inégalitaire.

Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Il ne faut pas oublier que 80% des centaines de millions de Chinois qui sont sortis de la pauvreté l'ont fait au cours des dix premières années de réformes qui ont précédé Tian'anmen, c'est-à-dire avant que l'Etat ne reprenne le contrôle de l'économie. Pendant cette période, les revenus de toutes les catégories ont augmenté de manière significative et le nombre de responsables locaux a diminué, ainsi que l'importance de leurs missions et de leurs prérogatives. Les entreprises privées obtenaient de meilleurs résultats que celles opérant sous la mainmise de l'Etat et une classe moyenne moins docile commençait à émerger. Tout cela a mené à Tian'anmen et le Parti a arrêté les réformes et changé de politique. Evidemment, ce n'est pas le genre de chose que vous apprendrez en regardant The Founding of a Republic.

Les festivités qui auront lieu à Beijing seront certainement spectaculaires. La parade militaire, au cours de laquelle le public pourra contempler les cinq nouveaux modèles de missiles conçus et fabriqués en Chine, sera une nouvelle démonstration de force du Parti. L'évènement sera encadré par la police ainsi que par l'armée, au cas où des manifestants auraient la mauvaise idée d'essayer de se faire entendre. Pour faire bonne mesure, des tireurs d'élites seront installés sur les toits des immeubles que longera la parade. Le 1er octobre, la Chine fêtera la réussite du Parti, ainsi que la puissance et la richesse de l'Etat, mais pas celles du peuple.

La Chine doit laisser s'épanouir la société civile en faisant appliquer partout la loi et le principe de la transparence. Quant à l'Etat, il doit renoncer à la domination qu'il exerce aujourd'hui sur l'économie. Le Parti sait pertinemment que de telles évolutions entraîneront une démocratisation de la vie politique du pays, et c'est pour cela qu'il freine des quatre fers. Pourtant, c'est le seul moyen de voir un jour l'ensemble de la population tirer les bénéfices d'un développement économique qui ne profite pour l'instant qu'à une élite.

John Lee

Traduit par Sylvestre Meininger

Image de Une: Banquet organisé pour fêter le 60éme anniversaire de la République populaire de Chine à Beijing Reuters

Newsletters

Le Ghana, poubelle textile des pays industrialisés

Le Ghana, poubelle textile des pays industrialisés

«Chaque jour, des centaines de tonnes de vêtements de seconde main sont expédiés par les pays industrialisés en Afrique, notamment au Ghana, relate la photographe Isabelle Serro. Dans l'inconscient collectif, l'idée semble généreuse. On pense que...

Trump: la connerie ne meurt jamais

Trump: la connerie ne meurt jamais

[BLOG You Will Never Hate Alone] Si Trump fascine autant, c'est qu'il existe chez lui une part de mysticisme, d'absolu de la connerie.

Port d'armes à feu: comment les États-Unis en sont-ils arrivés là?

Port d'armes à feu: comment les États-Unis en sont-ils arrivés là?

En l'espace de quinze ans, la Cour suprême a offert une série de victoires aux lobbies pro-armes.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio