France

Quand Zemmour et le Fig Mag sonnent le rappel du maurassisme

Temps de lecture : 4 min

Encore Zemmour, votre méchant préféré, celui que vous adorez détester? Oui, car il sonne un drôle de tocsin, dans le Fig Mag, celui du rappel de l’extrême droite catholique contre la république (et la gauche). Le débat post 13 novembre doit-t-il pris en otage par des minorités actives?

Éric Zemmour en 2011 I REUTERS/Charles Platiau
Éric Zemmour en 2011 I REUTERS/Charles Platiau

Dans son numéro de vendredi, le Fig Mag met en Une, sur fond d’une Marianne la larme à l’œil, ce titre: «3 novembre 2015, comment en est-on arrivé là?» Vraie question, après tout. En sous titre: «Ceux qui avaient vu juste… et les autres.» On se dit qu’à peine hommage rendu aux victimes, la propension (lassante) de nos hebdos à faire des listes de bons et de méchants, est de retour… Mais l’essentiel est ailleurs, avec l’autre sous-titre de la Une: «La trahison des élites, par Éric Zemmour». Les trois pages du polémiste maison constituent l’éditorial du dossier. De fait, les autres articles sont plus banals: «les politiques qui ont vu juste» (Wauquiez, De Villiers, Boutih…), les experts, les hommes de terrain et bien sûr ces «intellectuels qu’on a voulu réduire au silence», dont Houellebecq et Finkielkraut, taiseux bien connus… Passons.

«Trahison des élites»? Depuis longtemps, mais plus encore depuis le 13 novembre, la faillite des élites est sur les lèvres de tout ce que la France compte d’experts en tout genres, qui se rejoignent pour clamer qu’eux avaient prévenu mais qu’on ne les a pas écoutés. Tel n’est pas le propos de l’auteur du Suicide français. Cette accusation des élites est un tour de passe-passe, qu’il explique ainsi: «En France, depuis la révolution, la gauche pense et la droite gère. La gauche commande et la droite obéit.» Oui, vous avez bien lu, depuis deux siècles, c’est une gauche diabolique qui dirige les esprits, à défaut de toujours gouverner les choses (ce qui fera rire les observateurs contemporains, mais ne riez pas trop vite…).

Une réécriture de l'histoire de la République

Car ces trois pages sont en réalité une reconstitution hallucinatoire, qui frôle le complotisme, du récit national. Résumons-la en 4 temps:
1) Au XIXe siècle, les républicains, de Germaine de Stael à V. Hugo en passant par Michelet, ont eu les yeux de Chimène pour l’Allemagne protestante, et quand les républicains arrivent enfin au pouvoir, avec la IIIe république, ils n’ont de cesse de «pourchasser» les catholiques: «Pour les élites républicaines, franc-maçonnes, écrit Zemmour dans un rappel de Charles Maurras, la République doit protestantiser et décatholiciser la France». Ce n’est que le début.
2) De la Première Guerre mondiale à la Seconde Guerre mondiale, la gauche de Jaurès à Briand, est pacifiste, et finira dans la collaboration. Toute seule?…
3) Après la guerre, la gauche, avec cette fois la décolonisation, se convertit à «l’amour immodéré de l’Autre qui conduit à la haine du français». On y arrive…
4) Depuis les années 1970/80, avec l’immigration et l’antiracisme, «ce n’était plus le protestantisme qui était en odeur de sainteté, écrit Zemmour, mais l’islam».

L’essentiel a été de sauver l’islam de France plutôt que de sauver la population

Éric Zemmour

Et c’est encore «le catholicisme qui est rejeté et ostracisé»: les socialistes ont traité «avec une rare brutalité» les «veilleurs» contre la mariage pour tous et «pourchassent les crèches dans les mairies au nom de la sainte laïcité»… La gauche d’aujourd’hui impose donc un «nouvel ordre multiculturaliste», grâce à la soumission de la droite classique. «Au nom de la paix, il ne fallait pas désigner l’ennemi», conclut notre polémiste, selon lequel –lisez bien cette phrase vertigineuse et glaçante–, «l’essentiel a été de sauver l’islam de France plutôt que de sauver la population».

Une bataille idéologique

Zemmour désigne donc les traites, ceux qui ont permis les victimes du 13 novembre. «Comment on en est arrivé là», demande le Fig Mag? Réponse: une même logique est à l’œuvre depuis deux siècles qui favorise d’abord le protestantisme puis l’islam, pour mieux décatholiciser la France.... On se moquait de Zemmour, bonapartiste nostalgique, au sexisme théorisée, dérapant parfois, mais finalement pas si méchant avec ses soldats de plomb. On se trompait.

Il serait trop long de reprendre chaque énormité historique ou les contradictions internes de son texte: son récit est partiel quand il n’est pas inexact, avec de récurrents trous de mémoires. Zemmour est comme ces étudiants qui ont beaucoup lu, mais seulement les livres qui sentent le soufre, et qui refont l’histoire avec beaucoup de révisionnisme, pour mieux justifier leurs détestations actuelles. Le sens de son récit ne fait pas de doute: il trouve sa source chez Maurras et l’extrême droite catholique, une droite radicale ligueuse et factieuse, anti-républicaine. Une droite qui ne s’est pas remise de l’indépendance de l’Algérie et qui semble aujourd’hui avoir envie de la rejouer, par une guerre civile et de civilisation contre l’Islam.

Une drôle de caution journalistique

Zemmour ne veut pas «réparer les vivants», selon l’expression du chef de l’État vendredi, il veut que nous nous combattions. À chaque moment tragique de notre histoire, il y a des rassembleurs et des fauteurs de troubles politiques. Ce qui est curieux, stupéfiant même, c’est que l’hebdo du grand «quotidien conservateur», publie ce texte qu’on aurait plutôt vu dans une obscure revue identitaire. En la cautionnant, puisque ce n’est pas une tribune, mais bien l’ouverture d’un dossier en Une.

Serons-nous-nous voués, après le 13 novembre, à repousser des minorités actives, auxquelles certains de nos grands médias choisissent de donner écho? Plus que du buzz, c’est la bataille idéologique qui est recherchée. À gauche parfois, on se délecte d’auteurs ou de mouvements qui veulent absolument culpabiliser notre pays, en donnant des explications, sinon des justifications, au terrorisme. Sans avoir l’influence, soulignons-le, du Figaro Magazine, ce bulletin paroissial de la France conservatrice, à une semaine des régionales.

C’est pourquoi on a envie de renvoyer à l’hebdo sa question initiale: comment vous, avez-vous pu en arriver là, à souffler dans les voiles du vieux maurrassisme?

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