Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, est inquiet. Selon les dernières Perspectives économiques de son organisation, la croissance mondiale s’établirait à environ 2,9% seulement cette année, bien en dessous de sa moyenne de long terme (4% entre 1995 et 2007), du fait principalement du ralentissement observé en Chine et dans d’autres pays émergents (avec même une récession en Russie et au Brésil). Et, phénomène troublant, le commerce mondial enregistrerait un ralentissement encore plus prononcé, avec une progression limitée à 2%.
Ce chiffre s’écarte de la norme de façon spectaculaire. On s’était habitué à le voir évoluer deux plus vite que celui de la croissance. Si la tendance s’était poursuivie, avec une croissance voisine de 3%, on aurait dû voir une progression du commerce mondial de 6%. On en est très loin. Et il faut souligner que le chiffre de 2%, qui correspond à la moyenne annuelle, donne une image encore trop optimiste de la réalité. On avait abordé le début de l’année à un niveau nettement supérieur à celui du début de 2014. Une moyenne sur l’ensemble de 2015 supérieure à la moyenne de 2014 de seulement 2% laisse supposer que le commerce mondial est en fait en train de reculer. C’est d’ailleurs ce qu’affirme un rapport effectué par deux économistes de l’université de Saint-Gall, en Suisse:
«Qu’il soit mesuré en valeur ou en volume, le commerce mondial recule depuis la fin de l’an dernier. En moyenne, les exportations des pays du G20 ont reculé de 4,5% depuis le sommet atteint par le commerce mondial exprimé en valeur en octobre 2014».
Un recul inhabituel
Cette évolution peut paraître normale compte tenu de l’évolution de la conjoncture et de la forte baisse du prix des matières premières due au ralentissement de l’activité en Chine. Le pétrole brut et les autres produits pétroliers représentaient plus de 12% du commerce mondial à l’automne 2014; la chute de leur demande et de leurs cours explique à elle seule 44% du recul du commerce mondial entre cette période et le mois de juillet 2015. Mais elle n’explique pas tout. Les deux chercheurs de Saint-Gall observent que le recul des échanges est concentré sur un nombre limité de produits. Si la seule cause de la baisse du commerce mondial est d’ordre conjoncturel, comment se fait-il que tous les produits ne soient pas touchés de façon à peu près similaire?
Les pays du G20 ont pris 3.581 mesures ayant un impact négatif sur le commerce mondial depuis le début de la crise
Nos auteurs reprennent alors les pistes explorées par d’autres chercheurs, à la Banque mondiale ou en France. La première conduit à toutes les mesures prises à travers le monde depuis la crise financière de 2008, chaque pays essayant de protéger son économie. Les pays du G20, qui représentent les deux tiers de la population du monde et 85% de son économie, ont à eux seuls pris 3.581 mesures ayant un impact négatif sur le commerce mondial depuis le début de la crise et la plupart de ces mesures s’appliquent encore aujourd’hui. L’éventail des mesures concernées est large, avec des effets plus ou moins forts sur les échanges: interdictions d’importations, quotas, hausses de tarifs douaniers ou, plus subtilement, aides diverses aux entreprises locales et aux exportateurs, exigence d’intégration de production locale dans les produits achetés à l’étranger, etc. Comme par hasard, les produits sur lesquels on constate un ralentissement des échanges sont les plus concernés par ces mesures.
Reprise du commerce attendue pour 2016
La seconde piste mène à la supply chain, la chaîne logistique, par laquelle les entreprises gèrent tout le processus de fabrication et de commercialisation de leurs produits, depuis les matières premières jusqu’à la livraison du produit fini. Plus les entreprises d’un pays diversifient leurs sources d’approvisionnement, plus la croissance de ce pays stimule le commerce mondial. Or, la Chine, qui intégrait beaucoup de composants étrangers dans les produits qu’elle exportait, s’emploie à les remplacer par des composants issus de la production nationale; selon les estimations faites par des économistes de la Banque mondiale, la part des composants étrangers dans ses exportations serait tombée de 60% dans les années 90 à environ 35% aujourd’hui. Il semble également que la croissance américaine tire moins aujourd’hui le commerce mondial qu’elle ne le faisait auparavant.
Cela ne signifie pas que le mouvement qui s’est enclenché depuis l’automne 2014 soit irréversible. Les économistes de l’OCDE s’attendent à une reprise du commerce mondial en 2016 qui dépasserait celle de l’activité (3,6% contre 3,3% pour le PIB mondial en volume) et en 2017 (4,8% contre 3,6%). Mais sans doute cette alerte doit-elle inciter les économistes et les dirigeants politiques à mieux observer la façon dont évolue la mondialisation. On n’en est pas encore à la démondialisation. Il y a deux ans, lorsque Arnaud Montebourg était à Bercy, ses services s’intéressaient beaucoup à la relocalisation d’activités industrielles en France. Cette tendance, sans être négligeable, ne doit pas faire illusion: ce n’est pas elle qui va redonner une impulsion significative à l’activité industrielle française, toujours inférieure d’environ 16% à ce qu’elle était avant la crise de 2008. Même aux États-Unis, on s’intéresse moins au sujet qu’il y a un an ou deux.
La compétition avec les pays émergents ne se jouera plus seulement demain sur le coût du travail, mais sur l’organisation de la production
Nouvelle forme de mondialisation
Le vrai changement est ailleurs. Emmanuel Macron l’affirme: on sort de l’ère de la mondialisation du porte-conteneur pour entrer dans une mondialisation dématérialisée. Évidemment, ces propos ne doivent pas être pris au mot. Les porte-conteneurs en provenance de Shanghai ont toutes les chances d’être encore plus nombreux dans les prochaines années. Il ne faut pas donner au fléchissement des exportations chinoises des derniers mois une signification qu’il n’a pas. Que la Chine s’oriente vers une croissance davantage centrée sur la demande intérieure, cela signifie simplement que le poids de ses exportations est appelé à reculer en pourcentage de son PIB, mais, exprimé en milliards de dollars ou en part du commerce mondial, il est encore appelé à grandir.
Les propos du ministre de l’Économie nous signalent simplement que la compétition avec les pays émergents ne se jouera plus seulement demain sur le coût du travail, mais sur l’organisation de la production et les techniques. Sur ce terrain, les anciens pays industrialisés comme la France ne partent pas perdants, à condition de procéder à la recherche et aux investissements nécessaires. Ce sera une nouvelle étape dans la mondialisation, mais ce n’en sera pas la fin.