D’un côté, Brian Eno, sculpteur sonore et inventeur de l’ambient, musique de l’espace souvent apaisante qui se déploie dans des volumes bleutés; de l’autre le rouge Yanis Varoufakis, économiste et motard énervé du gouvernement Tsipras, élevé au statut de rock star par l’opinion et les médias, évincé après des désaccords avec le chef du gouvernement grec. Quoi de plus improbable qu’une telle rencontre? C’est pourtant ce qu’a choisi d’organiser le quotidien britannique le Guardian.
Mais doucement, au fil de la conversation, les deux hommes paraissent plus proches qu’il n’y paraît. L’un n’a-t-il pas rêvé d’être pianiste? L’autre n’est-il pas lui aussi passionné de politique, défenseur d’une «écologie de la culture» et ayant pris partie pour le candidat du Labour Jeremy Corbyn? Quand Varoufakis s’inquiète du fait que les robots pourraient un jour remplacer les humains, au point que les humains, privés de travail, en deviendraient de fait d’une certaine manière leurs esclaves, Brian Eno, lui, propose d’instaurer un revenu universel. Il cite l’exemple réussi du Brésil, qui a accordé 100 euros de prime aux résidents des favelas qui envoient leurs enfants à l’école.
Politiquement, ils sont, à n'en pas douter, assez proches. Varoufakis est un marxiste assumé; Eno, qui avoue avoir été dans sa jeunesse un anarchiste, estime que l’on a peut-être trop vite enterré les questions soulevées par les idées communistes. «Je me souviens qu’Octavio Paz disait que le communisme avait peut-être été la mauvaise réponse, mais ce n’était pas la mauvaise question. Et parce que nous avons décidé que la réponse était mauvaise, nous avons pensé aussi que nous n’aurions plus à répondre à la question des inégalités».
«Les artistes ne sont plus importants»
La conversation file sur les balades, pour rebondir sur le darwinisme, un amour commun du vinyle, avant que l’un ne file une métaphore mettant en selle Star Trek et Matrix, et que l’autre évoque la psychologie du djihadisme. On notera cette phrase surprenante de Brian Eno, pop star par excellence, et qui prend le contre-pied des idées reçues:
«Les économistes sont bien plus des stars du show biz que les artistes. Vous connaissez le magazine Prospect? Chaque année ils mettent en valeur 50 figures proéminentes, et l’année dernière 17 d’entre elles étaient des économistes. Vous étiez l’un d’entre eux. J’en ai fait partie un jour, mais les artistes ne sont plus importants aujourd’hui... »
A quoi Yannis Varoufakis acquiesce, répondant que «lorsque l’on a un tremblement de terre, les sismologues deviennent importants. Maintenant que nous avons une crise économique, les économistes sont importants».