Monde

Une seule solution face au terrorisme: la démocratisation

Temps de lecture : 3 min

La lutte contre l'islamisme radical ne sera pas gagnée par un esprit «poutinien», par le rétablissement de dictatures dans le monde arabo-musulman. Si la région a engendré un atroce terrorisme, c'est par manque de démocratie et de modernisation.

Bachar el-Assad et Vladimir Poutine, le 20 octobre 2015. REUTERS/Alexei Druzhinin/RIA Novosti/Kremlin.
Bachar el-Assad et Vladimir Poutine, le 20 octobre 2015. REUTERS/Alexei Druzhinin/RIA Novosti/Kremlin.

On sent en France monter l'esprit poutinien. Devant la barbarie, il est temps de rétablir des pouvoirs forts. C'est la guerre, il faut des régimes qui ne font pas de chichis. La Russie de Poutine est confrontée aux mêmes périls que nous, elle est notre meilleure alliée. Bachar el-Assad a commis des atrocités, peut-être, entend-on, mais il n'est plus qu'un ennemi secondaire. Accordons-nous avec lui. En France aussi, il faut rétablir la force, surveiller et punir. Trop de complaisance, trop de laxisme, trop d'éloignement de nos «valeurs» fondamentales.

Je ne sais si, confrontée à l'Etat islamique, la France doit faire armes communes avec la Russie, comme avec Staline contre Hitler. Ceux qui le prônent oublient d'ailleurs de rappeler que ledit Staline avait signé un pacte de non-agression avec ledit Hitler qui dura jusqu'à l'offensive allemande Barbarossa en juin 1941.

Ce que je sais est que la lutte contre l'islamisme radical ne sera pas gagnée par le rétablissement de dictatures dans le monde arabo-musulman. Au contraire, si la région a engendré un atroce terrorisme, dont elle est la première victime, c'est par manque de démocratie, d'ouverture et de modernisation des esprits. Alan Krueger, professeur à Princeton, avance que c'est là la raison pour laquelle la religion de l'islam est restée bloquée dans le passé. Comme elle ne sépare pas l'Etat de la mosquée, toute tentative de lecture moderne des textes est associée à une complicité avec le pouvoir en place et est disqualifiée de fait. Archaïsme religieux et dictatures vont de pair. L'argument est fondamental. Si on le prolonge, c'est par la nouvelle Tunisie démocratique que passera une modernisation de l'islam.

Dans les pays en développement, la fête est finie

Mais le meilleur argument reste d'ordre économique. Je ne vais pas ici revenir sur les politiques économiques désastreuses de la région, mille études du FMI ou du World Economic Forum vont dans le mêmes sens: l'absence de «réformes» libérales y bloque la croissance par tête et les créations d'emplois. Sauf pour s'alarmer au passage de la situation dans l'Etat «fort» qu'est l'Arabie saoudite. La baisse du prix du pétrole va assécher les robinets de la paix sociale, tandis que Riyad est intimement déchiré sur la stratégie à suivre face à Daech. Beaucoup d'experts placent le pays au bord du désastre.

Mais la considération est plus générale pour le monde en développement. Goldman Sachs, qui avait inventé en 2001 l'acronyme de BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), vient de démanteler son fonds d'investissement BRICS. C'est que la fête est finie. Le Brésil est en récession, la Russie et l'Afrique du Sud aussi, la Chine a vu sa croissance tomber de 10 à 6%, chiffre officiel dont on peut douter. Seule l'Inde s'en tire mieux avec 7%.

Pourquoi leur croissance si «booming» pendant une grosse décennie (plus pour la Chine) s'est-elle essoufflée puis asphyxiée? Les économistes se disputent sur la réponse. La plus savante est celle de la «trappe du revenu moyen». Barry Eichengreen, professeur à Berkeley, a calculé que lorsqu'un pays atteint 17.000 dollars de revenu par tête, sa croissance plafonne parce qu'il tombe dans un piège: les salaires ont monté mais la production de haut de gamme, qui seule offre des feuilles de paie meilleures, n'a pas suivi. Le pays a perdu en compétitivité avant d'avoir pu transformer son économie vers des productions de plus haute valeur ajoutée.

La deuxième explication est plus simple: la chute des prix des matières premières, qui prive le Brésil comme la Russie ou l'Arabie saoudite d'une moitié de leurs revenus.

Mais ces explications aboutissent à la même conclusion: l'absence de réformes «structurelles» qui facilitent l'éclosion de la nouvelle économie à plus haute valeur ajoutée, qui laisse faire la société civile, qui facilite l'émergence d'«une petite bourgeoisie entreprenante», disait (déjà) Karl Marx.

La corruption, source d'immobilisme structurel

Reste un point à démontrer qui prouve que les dictatures sont pires que les démocraties émergentes dans cet immobilisme structurel. La raison est la corruption. Non pas que les démocraties soient vierges, on le voit au Brésil, où le scandale Petrobras a gangrené une fraction inouïe de la classe politique et de la haute administration, jusqu'à la porte du bureau de la présidente. Mais la corruption dans les dictatures est partout, bloquant les affaires, freinant toutes les initiatives et compliquant la moindre démarche administrative. Les pouvoirs forts, dans leur angoisse existentielle de vouloir tout contrôler, accordent les autorisations au compte-gouttes, moyennant pots-de-vin, en privilégiant les amis et les familles, jugés plus «fiables», jamais les plus innovants, les plus modernes.

En Chine, dictature du Parti communiste, le président Xi Jinping a pris personnellement la tête de la lutte contre la corruption considérable, parce qu'il sait justement qu'elle est le frein au passage à une nouvelle phase de croissance. Il veut démontrer que dictature ne rime pas avec corruption: bon courage!

En attendant, la Russie offre l'exemple primaire d'un pays bloqué dans une économie pétrolière. La Russie est le contre-modèle absolu, à surtout ne pas suivre pour tous les pays du Moyen-Orient.

La lutte contre l'islam radical passe par la démocratisation de la région. Le poutinisme, comme tout renfermement souverainiste, est une illusion. Que la démocratie politique et économique ne se parachute pas avec les GIs est une certitude. Mais elle doit rester l'objectif à défendre parce qu'elle est la seule manière de couper les racines profondes du terrorisme.

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