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Afghanistan: il existe une troisième voie (MàJ)

Temps de lecture : 9 min

Un 36éme soldat du contingent français en Afghanistan est mort jeudi 8 octobre des suites de ses blessures.

Un soldat blessé en Afghanistan le 4 septembre est mort jeudi 8 octobre en France des suites de ses blessures, portant à 36 le nombre des pertes françaises depuis leur arrivée sur le territoire afghan. Dans un communiqué, Nicolas Sarkozy déclare que cette nouvelle perte n'affaiblit pas «la volonté de la France de poursuivre son engagement en Afghanistan». Le Président de la République s'est aussi associé à la douleur de la famille. Le soldat Johann Hivin-Gérard a été blessé le 4 septembre lors d'un accrochage entre un convoi du 3éme régiment d'infanterie de marine de Vannes et des insurgés dans la province de Kapisa, entre Nijrab et Bagram.

La sentence semble rendue: en Afghanistan, les armées occidentales auraient couvert la réélection frauduleuse d'un gouvernement corrompu. Elles n'arriveraient pas, non plus, à assurer la sécurité d'une population qui ne croit plus au développement de son pays. C'est, en forçant le trait, la position tenue par un nombre croissant d'articles publiés sur l'Afghanistan depuis quelques mois.

Une intervention internationale incontestée

Rappelons tout de même que la présence de l'OTAN en Afghanistan est exigée par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, qui renouvelle son mandat année après année. Personne ne s'en étonne, mais la Chine et la Russie acceptent, presque à leurs frontières, la présence de plusieurs dizaines de milliers de soldats de l'OTAN, équipés des technologies les plus récentes, y compris dans le domaine du renseignement. L'engagement en Afghanistan est même l'un des rares points sur lesquels la Russie et l'OTAN ont poursuivi des discussions constructives, même à la fin de l'année 2008 alors que la Russie sortait de l'affrontement avec la Géorgie.

Si aucune puissance ne trouve à redire à la présence militaire occidentale, c'est sans doute que celle-ci remplit une fonction utile. Rappelons, donc, que les principaux responsables historiques du mouvement terroriste Al-Qaïda se trouvent vraisemblablement à la frontière du Pakistan et de l'Afghanistan. Rappelons également que les réseaux talibans afghans et pakistanais, réseau Haqqani, groupe Hekmatyar, mouvement Tehrik-e-Taliban et autres organisations plus limitées en nombre, ont déjà aidé les groupes djihadistes internationaux dans le passé, en abritant notamment des camps de formation d'Al-Qaïda.

Certes, les talibans afghans et pakistanais ne sont pas assimilables aux réseaux terroristes islamistes. Ils partagent néanmoins des sources de financement et certaines orientations idéologiques qui peuvent faire admettre cette affirmation: un Afghanistan gouverné par des talibans représente une menace plus importante qu'un Afghanistan gouverné par d'autres. L'éventualité d'un Pakistan dominé par les talibans fait trop frémir dans les capitales mondiales pour qu'il en soit fait mention ici...

Une présence militaire pour aider l'Etat afghan

Personne ne conteste donc qu'il faille empêcher le retour au pouvoir des talibans. La question porte sur les méthodes.

Là encore, il faut rappeler que, depuis l'origine, la FIAS, nom de la coalition dirigée l'OTAN, a pour mission d'aider l'Etat afghan à se doter de forces de sécurité suffisamment efficaces pour assurer la sécurité du pays. Même si les déclarations diplomatiques n'engagent souvent que ceux qui y croient, notons tout de même que l'acronyme FIAS signifie « force internationale d'assistance à la sécurité ». En l'espèce, c'est l'Etat afghan que l'OTAN assiste. Dès lors, la mission première de la coalition reste la sécurité du territoire et de la population afghane, et pas l'exportation de la démocratie. Les questions institutionnelles ont été réglées par le cycle dit de Bonn, une conférence diplomatique réunissant les différents groupes politiques afghans - les talibans sont restés chez eux - dont les résultats ont été validés par un référendum.

Pour aider les Afghans à faire la police chez eux, plusieurs actions sont menées simultanément. Bien sûr, la formation et l'équipement de l'armée nationale afghane, et de la police nationale. Mais également la constitution d'équipes mixtes, baptisées OMLT, où quelques militaires occidentaux accompagnent les Afghans sur le terrain. Et enfin, dans la plupart des régions du pays - sauf à Kaboul, dont la sécurité est assurée depuis janvier 2009 par les seuls Afghans - un appui direct des militaires occidentaux aux troupes afghanes.

En résumé, il est faux de dire que l'OTAN se comporte en Afghanistan comme des troupes métropolitaines dans une colonie. Les militaires occidentaux s'efforcent au contraire de mettre en avant les forces de sécurité afghanes pour les inciter à prendre en charge plus directement les missions de maintien de la sécurité. C'est en tout cas de cette manière que procèdent les troupes françaises.

Militairement, la discussion pourrait s'arrêter là: l'OTAN quittera l'Afghanistan le jour où cet Etat sera capable d'assumer seul la sécurité de ses citoyens, et la stabilité de ses institutions. Après 30 ans de guerre, dans une situation de délabrement économique difficile à imaginer, l'Afghanistan mettra beaucoup de temps à y arriver, et nos troupes sont donc condamnées à rester, à moins d'assumer un revers historique pour la quarantaine d'Etats qui contribuent à cette opération.

Quelles perspectives pour la présence militaire occidentale ?

Reste à discuter des formes que prendra notre engagement en Afghanistan dans les prochaines années. C'est sur ce problème que se penchent aujourd'hui les grands responsables de ce monde, qui ont à choisir entre plusieurs options.

D'abord, le retrait pur et simple. Les conséquences d'une telle décision viennent d'être évoquées. Pour résumer : risque accru de retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, pression renforcée des talibans au Pakistan, perte durable de crédibilité pour l'OTAN. Avec, comme scénario noir, une prise de pouvoir des talibans au Pakistan, et donc leur prise de contrôle d'un arsenal nucléaire conséquent.

Autre option, défendue notamment par des responsables militaires britanniques et américains, le renforcement des troupes sur place. Il fait figure de serpent de mer des rapports militaires de l'OTAN. Les demandes de troupes et de matériels supplémentaires s'appuient en général sur des appréciations alarmistes de l'évolution du rapport de forces, aboutissant à un effet très paradoxal. En brossant un tableau noir de la situation, les militaires entretiennent l'opinion publique dans l'idée que le combat est perdu d'avance, et retardent d'autant l'empressement des responsables politiques à répondre à leurs exigences.

En troisième lieu, un changement radical de stratégie, qui se recentrerait sur la lutte contre le terrorisme et la formation des forces afghanes. C'est, en quelque sorte, le « plan C » de la coalition. Il mérite que l'on s'y penche un peu plus précisément.

Bien que les détails n'aient évidemment pas été rendus publics, il est possible d'imaginer comment l'engagement militaire occidental s'organiserait dans ce cas. On assisterait sans doute à une réduction importante, voire une suppression des bases militaires régionales, les Forward Operating Bases, comme celle qu'occupent les Français dans la région de la Kapisa. Le départ des Occidentaux signifierait le transfert aux forces afghanes de l'ensemble des missions de sécurité, sur tout le territoire. Aujourd'hui, l'armée et la police afghanes assument cette responsabilité pour la seule région de Kaboul.

En contrepartie de ce reformatage, un effort accru serait consenti pour former les forces de sécurité afghanes. Les besoins sont effectivement énormes, pour l'armée et, surtout, la police, à la fois mal formée, mal équipée et sous-payée.

Enfin, la coalition se réserverait le droit de mener des opérations militaires ciblées, contre les responsables terroristes identifiés comme appartenant à des groupes internationaux faisant peser une menace réelle sur le reste de la planète. Elle remplacerait alors les forces d'infanterie, massivement présentes sur le théâtre afghan, par des forces commandos, particulièrement aguerries à ce genre de missions.

Faut-il changer de stratégie?

Le plan qui pourrait être choisi par les autorités occidentales est séduisant. Il réduit en effet l'exposition des militaires occidentaux aux attentats perpétrés par l'insurrection. Se trouver dans une base d'entraînement présente nettement moins de risque qu'assurer la sécurité dans des vallées reculées.

L'opinion publique serait d'autant plus encline à changer de position que la coalition pourrait alors se targuer de privilégier des ennemis déclarés de l'Occident, à savoir les terroristes islamistes, sans se mêler d'affaires afghano-afghanes.

Enfin, la présence de forces spéciales en Afghanistan donnerait sans doute une plus grande marge de manœuvre aux puissances occidentales pour intervenir de l'autre côté de la frontière, au Pakistan, là où se trouvent les principales bases arrières du mouvement taliban afghan, dans les cités de Quetta et Peshawar.

Cette «option C» n'est pourtant pas exempte de défauts. D'abord, elle part du principe que l'armée et la police afghanes sont capables d'assumer seules la sécurité de provinces en proie à une violence chronique. C'est loin d'être le cas, et, sans soutien logistique et tactique occidental, le risque est grand que l'ANA (Afghan national army) et l'ANP (afghan national police) ne cèdent à la facilité en organisant une cogestion de la sécurité avec des forces ne relevant pas de l'Etat afghan.

En deuxième lieu, le choix de concentrer les forces occidentales sur Al Qaïda et ses soutiens directs ne va pas de soi. Que signifierait la multiplication d'assassinats ciblés contre des responsables djihadistes lorsque l'on connaît la capacité des mouvements terroristes à se réorganiser, comme l'a montré la rapidité de la succession de Baitullah Mehsud au Pakistan? Il est souvent admis que la lutte contre le terrorisme implique une action de fond, pour détourner la population des groupes armés. La disparition des leaders historiques d'un mouvement qui est devenu, selon certains auteurs, une véritable « marque déposée », bien plus qu'un réseau terroriste, suffira-t-elle à réduire significativement l'importance des cellules djihadistes dans la région?

La dernière remarque est plus large. Elle concerne les politiques censées accompagner l'engagement militaire occidental en Afghanistan. Que restera-t-il de l'aide publique au développement si les Occidentaux décident de laisser les forces afghanes assumer seules la protection de la population?

On le sait, alors qu'une aide importante est versée, une partie importante est perdue en chemin. Il est facile de pointer du doigt la corruption du régime, qu'on ne peut toutefois passer sous silence. Il faut aussi balayer devant notre porte. L'aide internationale suit des chemins trop complexes. Les donateurs ne jouent pas le jeu du multilatéralisme, et il est très difficile, voire impossible, de faire travailler tout le monde ensemble. Il a fallu plusieurs années à l'Union européenne pour seulement connaître l'ensemble des actions qu'elle-même et ses Etats membres menaient sur le terrain.

En plus de ces difficultés d'organisation, le premier problème que rencontrent les travailleurs humanitaires est celui de la sécurité. A l'heure actuelle, il est pratiquement impossible pour les civils d'aider au développement de certaines régions, tant les risques sont grands. L'ONU a publié des cartes rappelant que, sur une large partie du territoire afghan, sa première préoccupation reste la sécurité, avant même de songer au développement économique et social.

Imagine-t-on que les forces de sécurité afghanes permettront d'offrir aux ONG et aux travailleurs humanitaires internationaux la sécurité que l'OTAN ne peut pas toujours leur assurer ? Dans le cas contraire, comment organisera-t-on la coopération? Se contentera-t-on de financer les autorités locales, en assumant qu'aucun contrôle ne sera effectué sur la réalité des projets mis en place? Renoncera-t-on purement et simplement à aider le développement afghan?

En fait, il est vraisemblable que personne ne choisira de transférer massivement les missions de sécurité aux forces afghanes. De telles décisions seront prises au cas par cas, en fonction de critères locaux qui évolueront encore beaucoup dans les prochaines années. Ce mouvement est, là encore, conforme aux engagements initiaux de la coalition.

«L'option C»: des mots pour rassurer?

Il semble donc difficile, au-delà des changements rhétoriques, d'imaginer un changement radical de stratégie pour l'OTAN en Afghanistan. En réalité, les conditions d'intervention des troupes internationales sont déjà suffisamment fortes. Le changement stratégique le plus efficace serait en fait que la coalition assume l'ensemble de son contrat. Il faut se méfier des plans qui permettent, sur le papier, d'obtenir de meilleurs résultats en consentant moins d'efforts.

Pourtant, un changement de discours ne serait pas forcément sans effet. Il est nécessaire d'apporter des gages à celles et ceux qui croient pouvoir défendre l'option d'un retrait massif et rapide d'Afghanistan. Une telle solution est en fait bien plus risquée que le maintien de nos armées sur place. Toutefois, elle répond aux angoisses d'une partie importante, voire majoritaire, de l'opinion publique. Si la possibilité de réussir une opération éminemment complexe, mais d'une importance stratégique pour l'équilibre de la planète, est à ce prix, il paraît juste de le payer.

Gabriel Arnoux

Lire également: Il ne faut pas rester en Afghanistan et Il faut rester en Afghanistan.

Image de Une: Un marine américain du 2éme bataillon de reconnaissance Goran Tomasevic / Reuters

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