50.000 euros. La somme déboursée par le Daily Mail pour acquérir les images de vidéosurveillance du restaurant Casa Nostra, où une des attaques commises le 13 novembre dans le XIe arrondissement de Paris a fait cinq morts, choque depuis sa révélation par le Petit Journal.
Accusé d'avoir gagné de l’argent sur le dos des victimes, le gérant du restaurant, Dmitri Mohamadi, se retrouve au cœur du scandale: dans des interviews à Nice Matin et France Télévisions, il a depuis affirmé ne pas avoir vendu la vidéo et avoir refusé de le faire quand le journaliste qui a tourné le sujet pour Le Petit Journal le lui a suggéré –il ne cite pas nommément la personne responsable de la vente, affirmant seulement «J'ai un doute, je sais qui c'est».
Si la vente d’images ou d'interviews aux médias est monnaie courante outre-Manche, elle est très stigmatisée en France. Mais si la morale condamne les agissements du vendeur et du journal britannique, qu'en est-il de la loi?
Le restaurant est-il propriétaire des images?
Sans aucun doute pour Anthony Bem, avocat au barreau de Paris: «Ces images ont été captées à l’intérieur de la pizzeria, dans une enceinte privée, et elles appartiennent donc au gérant du restaurant.» Même constat pour Baptiste Nicaud, également avocat au barreau de Paris et pour la préfecture de police de Paris, qui estime que, bien que les fonctionnaires de police «ont un droit de regard sur ces images pendant un mois, elles restent la propriété du restaurateur». Si ce n'est pas lui qui les a vendues, on se trouverait donc face à un vol.
Etait-il légal de vendre ces images, et pour le Daily Mail de les diffuser?
Me Nicaud admet que l’«on peut effectivement se poser la question de la légalité» de la diffusion des images. Pour lui, «l’atteinte au droit à l’image est manifeste» et la diffusion des images par le média pourrait même constituer une «atteinte à la dignité humaine».
Me Bem partage les mêmes conclusions. Selon lui, deux problèmes sont à souligner dans la diffusion des images: «Le premier tient évidemment du droit à l’image protégé par l’article 9 du Code civil. Les clients identifiables peuvent facilement interdire, dans un délai assez court, leur diffusion et réclamer des dommages et intérêts» –plusieurs milliers d'euros, estiment les deux avocats. La deuxième infraction pourrait-elle être pénale, selon l'avocat, qui rappelle l’article 226-1 du Code pénal, qui «punit d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui».
Néanmoins, le Daily Mail pourrait, d’après Me Nicaud, revendiquer «l’utilité de la diffusion de ces images dans un droit à l’information», du fait qu’elles sont «au cœur de l’actualité». C'est d'ailleurs l'argument avancé par le journal britannique dans un communiqué publié ce 24 novembre:
«Il n’y a rien de controversé à propos de l’achat de cette vidéo par le Daily Mail, la police avait déjà une copie en sa possession. Elle a été obtenue après une négociation féroce entre plusieurs médias français et internationaux dans une perspective d’information […] La publication de la vidéo sur le site, ainsi que des photos dans le journal, était dans l’intérêt du public. Les images ont depuis été diffusées à la télévision, sur Internet et dans la presse en France et dans le monde entier.»
En revanche, l'avocat Stéphane Babonneau, interviewé par 20minutes.fr, rappelle que «le détournement d’images de vidéosurveillance à des fins étrangères au maintien de la sécurité est puni de trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende» au pénal, selon l’article L.254-1 du Code de la sécurité intérieure.
La qualification de «violation du secret de l'instruction», elle, ne s'appliquera pas si les images ont directement été vendues par un particulier au Daily Mail: ce délit ne concerne que les professionnels de la justice et de la police (avocats, policiers, juges...). Un autre point tangent est en revanche la façon dont la vidéo a été «déchiffrée»: Le Petit Journal a affirmé qu'elle avait été cryptée par les autorités et que le vendeur a dû faire appel à un hacker pour que le Daily Mail puisse s’en servir, ce qui, si ce n'est pas le propriétaire qui les a vendues, constituerait, en plus d'un vol, une atteinte à un système automatisé de données. Contactée par Slate.fr, la préfecture de police de Paris s’est refusée à tout commentaire sur cet éventuel cryptage.