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Poutine, le diplomate tacticien devenu incontournable

Temps de lecture : 4 min

Du côté français comme russe, on a intérêt à un rapprochement. Reste à savoir sur quelles bases.

Le président russe, Vladimir Poutine, à une réunion de travail sur l’économie mondiale au G20, à Antalya, en Turquie, le 15 novembre 2015 | REUTERS/Jonathan Ernst
Le président russe, Vladimir Poutine, à une réunion de travail sur l’économie mondiale au G20, à Antalya, en Turquie, le 15 novembre 2015 | REUTERS/Jonathan Ernst

Fin septembre à l’ONU, François Hollande jugeait une coalition sur la Syrie incluant la Russie «possible, même souhaitable, nécessaire», mais il posait une condition: l’objectif de cette coalition devait être de lutter contre le terrorisme et d’établir un gouvernement de transition à Damas, sans Bachar el-Assad. «On ne peut pas faire travailler ensemble les victimes et le bourreau», ajoutait-il. C’était une fin de non-recevoir à la proposition de Vladimir Poutine d’une large coalition.

Moins de deux mois plus tard, la donne a complètement changé. Le président de la République a entrepris une sorte de navette diplomatique pour convaincre et le président américain (mardi 24 novembre) et le président russe (jeudi 26) que cette coalition est en effet «possible et nécessaire». Les attaques terroristes de Paris ont été l’élément déclencheur de ce virage de la diplomatie française. Le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a beau expliqué que ce n’est pas la France qui a changé de position mais la Russie, il n’en reste pas moins que le «ni-ni», ni Bachar, ni Daech, qui constituait le principe de la politique française a cédé la place à une priorité. Daech est notre ennemi, a déclaré François Hollande à la réunion du Congrès à Versailles.

Démonstration de force

Il est vrai que la Russie aussi a modifié sa position depuis la fin septembre. Deux raisons y ont contribué. La première est la décision de Vladimir Poutine d’envoyer son aviation bombarder en Syrie les groupes hostiles à Bachar el-Assad, dès le lendemain de son discours à l’ONU. Cette décision avait été préparée de longue date. Depuis des semaines et des mois, Moscou avait accru sa présence en Syrie, en particulier autour de sa base maritime de Tartous et autour de Lattaquié, le réduit alaouite dont est originaire la famille Assad.

La Russie a fait une démonstration de force, en engageant de nouveaux types d’avions et en tirant des missiles de croisière depuis la Caspienne, à plus de 900 kilomètres de la Syrie. Ces frappes viennent en appui à des troupes au sol, composées essentiellement de pasdarans iraniens, de combattants du Hezbollah et de ce qui reste de l’armée régulière syrienne, appuyée par des conseillers russes.

Cependant, cet engagement a eu aussi pour conséquence de mettre en lumière une certaine vulnérabilité de la Russie. Malgré les premières dénégations, le Kremlin a été obligé de reconnaître que l’Airbus de la compagnie russe Metrojet, qui assurait la liaison Charm el-Cheikh-Saint-Pétersbourg, avait bien été victime d’un attentat revendiqué par l’État islamique. Conséquence: en Syrie, l’aviation russe a alors dirigé ses frappes aussi bien contre Daech que contre les forces des opposants à Assad, qui, au début de la campagne aérienne russe, avaient été les cibles principales. À Moscou, cette réorientation des objectifs est jugée d’autant plus possible qu’entre temps on estime avoir suffisamment conforté la position de Bachar el-Assad. Avant l’intervention russe, le dictateur de Damas était aux abois. Depuis, il a regagné quelques positions.

Pierres d’achoppement

Du côté français comme russe, on a donc intérêt à un rapprochement. Reste à savoir sur quelles bases. «Si la Russie fait partie de la coalition, elle bombardera exclusivement Daech», a déclaré le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. C’est peut-être aller un peu vite en besogne. Une des pierres d’achoppement des réunions de Vienne sur la Syrie, qui cherchent une issue politique à la guerre, est justement le désaccord sur la liste des groupes considérés comme «terroristes» entre Russes et Iraniens, d’une part, coalition arabo-occidentale d’autre part. Pour les premiers, tous les adversaires d’Assad, laïques ou religieux, sont des terroristes, pour les seconds la nomenclature est plus compliquée, mis à part l’État islamique qui fait –officiellement– l’unanimité contre lui.

On est convaincu à Paris que le soutien russe au président syrien est purement tactique

Un compromis peut-il être trouvé entre François Hollande et Vladimir Poutine sur le sort de Bachar el-Assad? Sur ce point aussi, la position française a évolué mais cette inflexion ne date pas des attentats du 13 novembre. Au slogan «Assad doit partir!», mis en avant dès le début des manifestations pacifiques de Damas, en 2011, ont succédé des formules plus souples. «Assad ne peut faire partie de la solution», «le départ de Bachar est posé à un moment ou à un autre», «Assad doit être neutralisé», et la dernière expression en date utilisée par le président de la République au Congrès: «Assad ne peut constituer l’issue.»

On est convaincu à Paris que le soutien russe au président syrien est purement tactique. C’est une monnaie d’échange qui pourra être lâchée à la fin de la négociation si la Russie est convaincue de la continuité de l’État syrien et de la défense de ses intérêts stratégiques. En revanche, l’Iran semble plus déterminé dans le soutien à Assad, bien que Vladimir Poutine et l’ayatollah Khamenei aient souligné «l’unité de points de vue entre Moscou et Téhéran», lors de la visite du président russe, lundi 23 novembre. Avant de rencontrer François Hollande, le président russe s’est en tous cas assuré de la solidité de son alliance avec l’Iran.

Pousser l’avantage

Reste à savoir s’il tentera de pousser plus loin son avantage et s’il cherchera à tirer un profit de sa relative position de force pour arracher des concessions sur d’autres dossiers, notamment celui de l’Ukraine. La situation y était plutôt stable au cours des dernières semaines. La Russie avait même fait un geste en acceptant le rééchelonnement d’une partie de la dette ukrainienne. Début septembre, François Hollande avait déjà laissé entrevoir un allègement progressif des sanctions économiques qui frappent la Russie depuis plus d’un an, si les accords de Minsk étaient respectés.

Aussi, ce n’est sans doute pas une coïncidence si des inconnus ont fait sauter dans la nuit de samedi 21 à dimanche 22 plusieurs pylônes alimentant en électricité la Crimée depuis le continent. Nationalistes ukrainiens ou Tatars, les auteurs de ces attentats ont voulu attirer l’attention à un moment où les occidentaux se voient contraints de traiter Vladimir Poutine comme un interlocuteur indispensable.

C’est l’art des diplomates de savoir séparer les dossiers ou de s’adonner au donnant-donnant, selon les circonstances. Pendant plus d’un an et demi, la crise ukrainienne n’a eu aucune influence dans la négociation sur le nucléaire iranien, malgré la tension entre les Russes et les Occidentaux. En Syrie, Vladimir Poutine leur a déjà sauvé une fois la mise en proposant la destruction des armes chimiques de Damas, alors que les États-Unis renonçaient à faire respecter la «ligne rouge» édictée par eux-mêmes. Il n’est pas pressé pour présenter l’addition.

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