France

L'interminable cortège funèbre de François Hollande

Temps de lecture : 6 min

Le chef de l'État qui se disait déjà «hanté par la mort» est contraint cette année de multiplier les hommages aux victimes.

François Hollande, le 19 novembre à l'hôtel des Invalides I REUTERS/Philippe Wojazer
François Hollande, le 19 novembre à l'hôtel des Invalides I REUTERS/Philippe Wojazer

Est-il hanté? Sent-il, penchée sur son épaule, la cohorte fantomatique de ces victimes que par la Constitution il doit faire siennes, celles du terrorisme, et plus largement, de tous ces morts qu’il lui est revenu d’accompagner, en 2015? De ces morts à venir, aussi, qui lui seront peut-être promis, en 2016, par la chronique djihadiste, et dans tous les combats dont il vient d’ordonner le déclenchement ou l’intensification, par les forces françaises de sécurité? Le cortège funèbre de François Hollande ne cesse de s’allonger.

L’impression que son image ne quitte plus la cour d’honneur des Invalides, où se rendent les hommages de la République à ses enfants estimables disparus. De plus en plus de photos montrant le chef de l’État figé dans un garde à vous un peu gauche de civil, pendant les minutes de silence. À son pupitre, il prononce plus d’oraisons qu’à son tour. L’histoire retiendra que 2015 restera comme l’une des pires années de la Ve République, et qu’il y a présidé souvent depuis les cimetières. Qu’il y a tiré sa seule gloire aussi, puisqu’il a fallu que des femmes et des hommes tombent, par deux fois, après les attentats de janvier, après ceux de novembre, pour que remontent ses sondages de popularité.

Il est loin le «capitaine de pédalo»

Ironique autant que cruel: même auréolé de son mandat élyséen, François Hollande enviait les hommes d’État auxquels leur destinée avait permis de tutoyer le tragique. En particulier François Mitterrand, alias Morland, sous la résistance, ou le jeune Garde des sceaux de la IVe République qui avait assumé la responsabilité des exécutions d’indépendantistes algériens, à la fin des années 1950. François Hollande lui-même se savait ce que nous savions de lui: un socialiste de l’ère techno plus familier des comptes publics que du romantisme révolutionnaire; une silhouette, un tempérament, pour temps de paix. Et le voilà, lui, l’habile, l’homme de «la synthèse molle», «Flamby», disait-on, même, avant 2012, précipité dans un rôle de chef de guerre qu’aucun de ses prédécesseurs, depuis de Gaulle, n’a eu l’occasion d’endosser à ce point.

«Un capitane de pédalo» en «saison de tempête», ainsi Jean-Luc Mélenchon définissait-il la capacité d’action de François Hollande, en 2011. Il est des vacheries qu’il faudrait ravaler. Car depuis 2013, le chef de l’État ne cesse de montrer une disposition surprenante pour les assauts armés, au Mali, avec l’opération Serval, en Centre-Afrique, pour les tentatives de récupération d’otages français par des commandos, au Niger ou en Somalie, pour les frappes aériennes en Irak… Les Forces spéciales françaises interviennent discrètement sur plusieurs théâtres d’opération. Des drones américains visent des suspects djihadistes au Yémen, en Libye, au Pakistan, sur la base de renseignements français, et les éliminations directes, sans procès, par les équipes secrètes de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), auxquelles consent le chef de l’État, n’ont jamais été aussi nombreuses depuis la guerre d’Algérie.

Si François Hollande est hanté, s’il sent la présence, sur son épaule, des fantômes de ses concitoyens disparus, il en fera moins confidence qu’en janvier

«Impitoyable»

La besogne des djihadistes fous n’était pas achevée, le 13 novembre, aux terrasses des cafés parisiens et au Bataclan, que l’Élysée décidait déjà de tout un arsenal de réactions policières et militaires, aux limites de l’état de droit. Des images de compassion rappelaient bien encore celles des attentats de janvier. Comme devant les locaux de Charlie Hebdo, le 7 janvier, juste après l’attaque des frères Kouachi, François Hollande, sur le trottoir du Bataclan, au milieu d’hommes en armes et de secouristes. Le même, un peu plus tard, avec le personnel de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui avait basculé dans la chirurgie de guerre. «C’est horrible», devait lancer le président, plus bouleversé peut-être qu’on ne l’avait vu, après l’attentat contre Charlie Hebdo, pendant sa première intervention télévisée. Mais cette émotion cédait vite la place à des propos martiaux de répliques et de résistance armée. La réaction nationale allait être «impitoyable», l’adjectif a été prononcé.

Des minutes de silence encore, bien sûr, celle du 16 novembre, à midi, voyait le chef de l’État entouré d’étudiants et de lycéens, devant la Sorbonne. La photo de cet instant de recueillement fera, le lendemain, la «une», pleine page, du quotidien britannique The Independent. L’esprit, comme en janvier, face à la barbarie. Et, fixé au vendredi 27 novembre, l’hommage national aux victimes, dans la cour d’honneur des Invalides.

«La mort habite la fonction présidentielle»

Toutefois, en cette réplique surmultipliée des drames du début de l’année, les morts, les blessés, les familles endeuillées devront sans doute attendre de se faire une place dans le secret de l’intimité présidentielle. Si François Hollande est hanté, s’il sent la présence, sur son épaule, des fantômes de ses concitoyens disparus, il en fera encore moins confidence vraisemblablement qu’en janvier. «La mort habite la fonction présidentielle», avait fini par concéder à Society ce pudique. À une autre occasion, il avait concédé: «une épreuve comme celle-là change également celui qui, au plus haut niveau de l’État, a dû l’affronter». Dans les semaines à venir, de tels aveux a minima seront probablement plus retenus encore. Le chef de l’Etat ne se retournera pas. Ou pas dans l’immédiat. La guerre, puisqu’il assure que c’est ce dont il s’agit, requiert nécessairement toute l’attention, l’obsession, même, de celui qui la commande.

En conscience, François Hollande doit espérer faire reculer la mort. Faire le pari, non gagné à ce jour, que les forces sécurité, par chance ou par leurs enquêtes, parviendront à empêcher les prochaines tentatives d’attentats de masse, sur le territoire national, et que sur l’autre front, entre Raqqa et Mossoul, la coalition anti-Daech pourra «anéantir» –la promesse est de Manuel Valls– les «donneurs d’ordre» et les volontaires français candidats au suicide kamikaze, qui s’y entrainent. Le risque, toutefois, demeure, dans un premier temps, de voir d’autres victimes tomber, en France, sous les tirs ou les explosions des djihadistes.

Paris, fête djihadiste

Car aucune autre attaque que celle du 13 novembre n’a fait autant pour la réputation que recherche l’État islamique. L’émotion et les images, d’assauts et de secours, qui la supportaient, ont secoué le monde entier, au moins les démocraties, où un prix inestimable est donné à la vie. Il y a fort à parier que les responsables de Daech vont tout tenter, puisque cela leur réussit si bien, pour répéter le plus rapidement possible un état de tension extrême qui, depuis la capitale française, résonne si internationalement. Paris est une fête. Le titre du récit d’Ernest Hemingway, devenu ces jours-ci slogan de la résistance parisienne, vaut aussi pour les djihadistes. Paris restera longtemps une aubaine.

Les forces de l’ordre et de renseignement sont épuisées, mobilisées qu’elles sont depuis janvier au moins

D’autres morts sont à venir sans doute. La France fait la guerre sans en avoir les moyens, et sans beaucoup d’alliés, si ce n’est dans le ciel syrien. Le chef d’état major des armées, le général Pierre de Villiers l’a rappelé, 34.000 militaires sont actuellement engagés sur les fronts intérieur et extérieur, et ils sont, à écouter les experts, en limite de rupture, pour servir sans relève réelle depuis trop longtemps. Les forces de l’ordre et de renseignement sont épuisées, mobilisées qu’elles sont depuis janvier au moins. Le matériel est à bout, et les rallonges budgétaires, les effectifs supplémentaires, que François Hollande vient d’autoriser n’y suffiront pas.

Le pacte de sécurité

Cette réaction sécuritaire, cet orgueil national touché au cœur que l’exécutif traduit par la mobilisation générale, ne peuvent que ce que peuvent les moyens financiers d’une moyenne puissance, et même si le pacte de stabilité vient d’être remisé par le président de la République au profit du «pacte de sécurité», cela ne change rien. Le pays se réveille après un cauchemar avec trop de fronts ouverts pour sa force, et la prise d’otages meurtrière de Bamako, le 22 novembre, montre assez qu’une alliance est relancée, ou une compétition, entre les différents groupes islamistes qui vont se faire un devoir, en particulier au Sahel, d’adjoindre leurs mauvais coups à ceux de Daech, contre la France, ses alliés ou ses obligés.

Le concours est déjà ouvert, probablement: viser des civils ou des militaires français. Mali, Niger, Mauritanie, Tchad, Tunisie, Liban, il n’y a que l’embarras du choix. Forces spéciales, ici, navales, le long des côtes de Somalie ou de Djibouti, troupes engagées au titre de l’ONU, conseillers, agents secrets, en Irak ou en Syrie, diplomates… la liste est longue, et bien des vies de concitoyens seront difficiles à protéger.

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