Pauvre gauche gouvernante! Depuis 2012, elle a déjà subi un brutal virage économique qui l’a obligée à répudier ses raisonnements traditionnels. Tout fut subitement subordonné au double impératif de compétitivité et de réduction des déficits. Et voici que les frappes terroristes la contraignent à se rallier aux manières de penser de la droite, voire de l’extrême droite.
Qu’aurait dit la gauche si Nicolas Sarkozy, dans le feu d’événements tragiques, avait proposé une réforme de la Constitution et un arsenal impressionnant de mesures sécuritaires? Aurait-elle accepté qu’un Premier ministre de droite explique, comme vient de le faire tranquillement Manuel Valls, que «pour assurer la sécurité des Français, parfois on doit restreindre un certain nombre de nos libertés»?
De rares et timides critiques
Le plus extraordinaire est que le nouveau discours de François Hollande ne suscite que fort peu de critiques à gauche, quand il n’est pas approuvé par ceux-la mêmes qui devraient pourtant avoir du mal à le digérer.
On songe ici à l’éditorial de Libération, au lendemain du Congrès de Versailles, très favorable au discours présidentiel au mépris des positions constamment défendues par ce journal. Même tonalité au Monde, qui a salué «le vigoureux tournant sécuritaire» du chef de l’Etat en se contentant, in fine, d’une simple et générale mise en garde relative aux «libertés fondamentales».
Le Parti socialiste, d’ordinaire prompt aux discussions et aux divisions, avale sans broncher la nouvelle ligne élyséenne. Seul un député PS très marginal, Pouria Amirshahi, a osé s’y opposer avec cette remarque de bon sens: «Il y a eu onze lois sécuritaires en cinq ans, est-ce que cela a empêché les attentats?»
Malgré leur sortie du gouvernement, les écologistes eux-mêmes n’osent pas condamner des mesures dont beaucoup avaient été proposées par LR ou le FN. «Sans aucune ambiguïté, les écologistes soutiennent le président de la République dans cette période difficile», a déclaré Emmanuelle Cosse. Seulement «inquiète et vigilante», la dirigeante de EELV ne dénonce que la proposition de pouvoir déchoir de leur nationalité française des binationaux nés Français.
Du côté des communistes, la critique reste mesurée, même si Pierre Laurent a mis en garde contre le risque de «tomber dans le piège tendu par Daech». Seul finalement Jean-Luc Mélenchon s’est clairement opposé au nouveau discours présidentiel en y discernant une «défaite morale» et en condamnant la fabrication d’un «état d’exception permanent».
Le risque de la posture guerrière
Quand on commence une «guerre», on ne peut savoir comment elle se finira
Dans un premier temps, la posture guerrière adoptée par François Hollande ne peut certes que lui être profitable. L’état de sidération de l’opinion au lendemain des massacres du 13 novembre la rend très réceptive aux ripostes militaires et à de drastiques mesures sécuritaires.
Pas moins de 84% des Français seraient ainsi disposés à accepter une certaine limitation de leurs libertés pour mieux assurer leur sécurité, selon une enquête de l’Ifop. Un sondage Odoxa précise que la plupart des mesures annoncées par le chef de l’Etat, à l’exception de la révision de la Constitution, sont massivement approuvées par les personnes interrogées.
Nul doute que l’on se félicite, à l’Elysée, du bénéfice politique qui peut être retiré de ce contexte dramatique. Le conseiller communication du palais, Gaspard Gantzer, l’a maladroitement confirmé en tweetant, mercredi matin, en plein assaut du Raid à Saint-Denis (avant de supprimer son message): «Attentats: 73% des Français estiment que Hollande est à la hauteur.»
Par sa réaction martiale, Hollande a certainement renforcé sa stature présidentielle. De manière plus politicienne, le tournant sécuritaire du président lui permet de prendre Nicolas Sarkozy en tenaille entre Marine Le Pen et lui-même. L’ancien chef de l’Etat en est désormais réduit à s’en prendre à l’action passée du président faute de pouvoir attaquer véritablement ses choix présents.
Mais l’option militaire et sécuritaire ne va pas sans sérieux risques à plus long terme pour Hollande. Quand on commence une «guerre», on ne peut savoir comment elle se finira. Et les précédents récents de guerre contre le terrorisme incitent à la perplexité.
Le président sera, par ailleurs, jugé pleinement responsable de ce qu’il adviendra de la sécurité des Français. D’ores et déjà, 63% des personnes interrogées estiment que les frappes en Syrie «vont contribuer à davantage nous exposer à des risques d’attentats» (Odoxa). Si la lutte contre le terrorisme remporte de réels succès, comme dernièrement à Saint-Denis, de futurs drames risquent de montrer les limites d’un empilement de nouveaux textes législatifs ou constitutionnels.
Renforcement probable du FN
La droite républicaine étant partiellement piégée par le virage hollandais, le Front national a bon espoir d’en tirer profit. L’extrême droite ne pouvait que sourire en entendant le président de la République, d’ordinaire zélateur de «l’ouverture», annoncer, au soir des attentats, «la fermeture des frontières» (il voulait parler d’un rétablissement des contrôles aux frontières).
Le discours
ultra-sécuritaire
a l’inconvénient majeur de créer, dans le pays, un climat lourd et pénible
Le FN ne peut qu’être renforcé dans sa légitimité démocratique par la reprise de certaines de ses propositions par le chef de l’Etat, comme celle de la déchéance des binationaux coupables de terrorisme. Marine Le Pen a eu l’habileté de saluer «les bonnes inflexions» du président Hollande en matière sécuritaire comme sur le plan diplomatique. Avant de revenir dans son registre habituel de la surenchère.
Le parti frontiste ne manquera pas d’exploiter les peurs et les tensions au sein de la société française qui se manifesteront une fois le temps de la stupéfaction passé. Le discours ultra-sécuritaire du pouvoir a l’inconvénient majeur de créer, dans le pays, un climat lourd et pénible.
Les courageux résistants de l’«happy hour» ne sauraient dissimuler que nous vivons une époque où les Restos du cœur sont contraints de suspendre leur distribution de repas chauds dans la capitale. Le risque d’une surréaction du pouvoir est d’alimenter une psychose qui fait précisément partie des objectifs poursuivis par les terroristes.