Santé / France

Attentats: comment prendre en charge les blessures psychiques

Temps de lecture : 4 min

Les attentats du 13 novembre ont exposé des centaines de personnes à un traumatisme psychologique. Victimes, témoins, familles, secouristes, ils sont nombreux à avoir eu une expérience directe de la mort et avoir potentiellement besoin d’une aide médico-psychologique.

Le 14 novembre, à Paris près du Bataclan, une femme rend hommage aux victimes des attentats du 13 novembre | REUTERS/Christian Hartmann
Le 14 novembre, à Paris près du Bataclan, une femme rend hommage aux victimes des attentats du 13 novembre | REUTERS/Christian Hartmann

Cent-vingt-neuf morts, trois-cent-cinquante-deux blessés en plein Paris. Des corps par dizaines aux terrasses des cafés ou au Bataclan. Les attentats qui ont eu lieu vendredi 13 novembre appartiennent à cette catégorie d’événements qui engendrent des traumatismes psychiques importants.

Stress dépassé

Dans les moments qui suivent un événement traumatisant au cours duquel des individus sont confrontés à la mort, les victimes peuvent présenter un stress adapté, c’est-à-dire une mobilisation de leurs ressources physiques et psychiques pour faire face au danger. D’autres peuvent présenter un état de stress dépassé, pouvant prendre la forme d’une crise d’angoisse, d’une sidération, d’une prostration ou au contraire un comportement désorganisé, d’une agitation.

Le premier travail des soignants, que ce soit au sein des cellules d’urgences médico-psychologiques (CUMP) ou dans les services d’urgence des hôpitaux, a consisté alors à repérer et prendre en charge les personnes en état de stress dépassé ou celles qui présentent des fragilités psychiques qui peuvent décompenser. Pour effectuer ce travail dans les premières heures, les CUMP se sont ainsi déployées dans les hôpitaux et au plus près des attentats; l’une a même été improvisée dans la salle des fêtes du XIe arrondissement, à 800 mètres du Bataclan. Les services d’urgences, mobilisés dans le cadre du plan blanc, ont aussi recueilli les premières victimes.

«Les premiers soirs, on a accueilli des personnes arrivant directement des terrasses, des restaurants ou du Bataclan. Beaucoup étaient en état de choc», nous explique par téléphone le docteur Joachim Mullner, médecin psychiatre aux urgences de l’Hôtel-Dieu, l’hôpital de référence pour la prise en charge des victimes d’attentats à Paris.

Verbalisation

Cette première évaluation effectuée, la prise en charge par les CUMP consiste en une phase verbalisation émotionnelle immédiate, appelé defusing. Le docteur François Ducrocq, psychiatre à la CUMP de Lille, est arrivé en renfort à Paris samedi 14 au matin. Après avoir passé toute la nuit à l’écoute des victimes, le psychiatre témoignait dimanche 15 de l’importance de cette «ventilation émotionnelle [pour] ne pas laisser s’enkyster le traumatisme». Quelques années auparavant, ce spécialiste écrivait qu’il s’agit à ce moment-là «d’une décharge émotionnelle, visant à lier le vécu traumatique par le langage pour permettre l’élaboration, soit l’intégration de l’événement».

Mais cette verbalisation ne doit pas s’adresser à tout le monde. «Il ne faut pas non plus dédramatiser ou déculpabiliser de manière sauvage au risque d’handicaper la nécessaire appropriation de l’événement traumatique par le patient encore en état de choc», explique le psychiatre. «Une cellule psychologique, c’est bien de la proposer, ce n’est pas bien de l’imposer», résumait quant à lui Boris Cyrulnik, neuropsychiatre qui a beaucoup travaillé sur le traumatisme.

Comme une blessure physique, il y a des moments où il faut la regarder, la toucher et la soigner et des moments où il faut la laisser cicatriser

Dr Joachim Mullner, médecin psychiatre aux urgences de l’Hôtel-Dieu

«Il ne faut pas forcer les gens à parler, explique le docteur Mullner, des urgences de l’Hôtel-Dieu. Dans ces moments-là, il ne s’agit pas d’obliger tout le monde à reparler immédiatement des faits qui viennent de se dérouler. Il s’agit surtout de pouvoir recevoir la personne telle qu’elle se présente, l’accueillir, la sécuriser. Dans les jours qui suivent certaines personnes se défendent d’en parler pour éviter d’y repenser et peuvent même essayer de faire comme si cela n’avait pas existé. Le risque est que, comme une plaie dont on ne s’occupe pas, la blessure psychique ne cicatrise pas. Et au contraire d’autres personnes peuvent en reparler en boucle aux amis, aux collègues, à la famille, aux médias, or, à nouveau, comme pour une blessure physique, il y a des moments où il faut la regarder, la toucher et la soigner et des moments où il faut la laisser cicatriser.» La résilience –soit la capacité à surmonter un traumatisme– est spécifique à chaque individu en fonction de ses fragilités personnelles et de son vécu antérieur.

Victimes directes, témoins, familles, depuis vendredi 13, ce sont environ cent personnes par jours qui se sont présentées aux urgences de l’Hôtel-Dieu pour être prises en charge psychologiquement. «Mercredi, le flux de patients était toujours soutenu», remarque le docteur Mullner.

Après la prise en charge en aigu et après avoir prévenu les patients des symptômes qui peuvent survenir par la suite, l’équipe réoriente les patients vers des centres de consultations spécialisés dans le psycho-traumatismes, vers les médecins généralistes ou vers les centres médico-psychologiques des différents arrondissements de Paris.

Hypervigilance

Dans les jours qui suivent, les individus soumis à un traumatisme psychique peuvent présenter un état de stress aigu. Ce qui se traduit par un syndrome de répétition: l’événement est revécu par flash ou lors de cauchemars récurrents. S’y associent une hypervigilance anxieuse (un état d’alerte permanent, des réactions intenses au moindre stimulus, un trouble de la concentration et du sommeil) et des conduites d’évitement des lieux ou des personnes leur rappelant les événements traumatiques.

Après un mois, peut se développer un état de stress post-traumatique (ESPT), qui est un état de stress aigu sur le long terme. On peut voir aussi se développer une dépression ou des addictions. Le docteur Pierre Besse, psychiatre, qui a créé et s’est occupé de la CUMP de Dijon pendant quinze ans, estime ainsi que «les gens qui ont été directement en contact avec la mort à la terrasse des cafés ou ceux qui ont marché sur les cadavres au Bataclan présentent un grand risque d’état de stress aigu et d’ESPT. S’ils présentent des difficultés pour dormir, des reviviscences invalidantes, ils doivent contacter leur médecin généraliste et être orientés vers des consultations spécialisées si nécessaire».

Un ESPT doit en effet faire l’objet d’une prise en charge spécifique psychothérapeutique, notamment par des techniques de type EMDR (eye movement desensitization and reprocessing, ou désensibilisation et reprogrammation par mouvement des yeux) et thérapies cognitivo-comportementales voire par des traitements médicamenteux, comme le préconise l’OMS. «À partir du moment où il y a une symptomatologie douloureuse, il ne faut pas hésiter à consulter: à l’Hôtel-Dieu, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ou dans un centre psychiatrique près de chez soi», conclut le docteur Mullner.

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