France

Avec la «guerre contre le terrorisme», il y a un risque que l’état d’exception devienne la règle

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Des membres des forces de police, place de la République, dimanche 15 novembre. Crédit photo : REUTERS/Pascal Rossignol
Des membres des forces de police, place de la République, dimanche 15 novembre. Crédit photo : REUTERS/Pascal Rossignol

Sommes-nous en «guerre»? Dans quelle «guerre»? Faut-il prolonger l’état d’urgence et réformer la Constitution pour créer un régime juridique exceptionnel adapté à la lutte contre le terrorisme? Le «pacte de sécurité» voulu par François Hollande menace-t-il nos libertés? Depuis les attentats du 13 novembre, qui ont fait au moins 129 morts dans l’est parisien et à Saint-Denis, le risque d’une surenchère sécuritaire, au détriment des libertés et de l’Etat de droit, est pointée du doigt, notamment à gauche et parmi les représentants de la société civile (Ligue des droits de l’Homme, Syndicat de la magistrature, etc).

Dans une interview au Monde, datée du 17 novembre, la juriste de renommée européenne Mireille Delmas-Marty, professeur honoraire au Collège de France, où elle a enseigné de 2003 à 2011, s’en inquiète également. «En droit interne, les textes permettent déjà beaucoup de choses, et sans doute y a-t-il aussi un effet d’affichage dans le recours à la loi sur l’état d’urgence», met en garde l’auteur de Liberté et sûreté dans un monde dangereux (Le Seuil, 2010) et Terrorismes: histoire et droit (CNRS, 2010). Elle ajoute: «L’inquiétant est que chaque attentat terroriste est suivi d’un renforcement de l’arsenal législatif, sans résultat satisfaisant. Il y a là une sorte de course qui, à terme, pourrait être mortelle pour la démocratie.»

Le risque que l’exception devienne la règle

Car depuis 1986, quinze textes de lois censés lutter contre le terrorisme ont été votés en France –dont deux depuis 2012. Et le risque que l’Etat d’exception ne devienne la règle n’augure rien de bon pour notre démocratie.

«Si nous sommes effectivement engagés dans une "guerre" contre le terrorisme global, elle va durer longtemps. Le risque est, au motif de défendre les valeurs humanistes, de les mettre en danger, comme l’ont fait les Américains en autorisant la torture et en ouvrant Guantanamo. Le risque est aussi que le droit dit d’exception devienne la règle car la difficulté sera de mettre un terme à ces mesures», souligne Mireille Delmas-Marty. «En attendant, on est contraint de faire du "bricolage" et d’utiliser le cadre ancien pour faire face à une situation nouvelle», ajoute-t-elle.

La question n’est évidemment pas nouvelle puisque la juriste avait donné en 2009 un cours à ce sujet au Collège de France dans le cadre d’un séminaire sur les politiques sécuritaires. En partant du cas concret de la loi sur la rétention de sûreté de 2008, Mireille Delmas-Marty y expliquait notamment comment, dans l’après 11-Septembre, s’était enclenché un processus de «déshumanisation du droit pénal et d’une radicalisation du contrôle social qui remettent en cause l’État de droit» au nom «de la guerre contre le terrorisme», et où les notions de culpabilité, dangerosité et responsabilité sont dangereusement confondues.

De la «peur-exclusion» à la «peur-solidarité»

Et face à la peur, comment sortir de l’engrenage des réponses sécuritaires répressives? Pour l’ancienne universitaire, la réponse passe par une prise de conscience globale et internationale. «Si la peur de l’autre conduit en effet à la haine et à l’exclusion, symbolisée par la construction de murs, en revanche la peur des risques et des catastrophes, autrement dit la prise en compte de la puissance de l’imprévisible, peut engendrer une solidarité mondiale, d’abord involontaire, qui contribuant à faire prendre conscience des interdépendances, lancerait des ponts pour réconcilier libertés, sûreté et égale dignité», propose-t-elle.

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