«La France est en guerre», a d’emblée assuré François Hollande devant le Congrès. Trois jours après les attentats du 13 novembre, le chef de l’État a présenté toute une série de décisions, au premier rang desquelles une réforme constitutionnelle, s’inscrivant pleinement dans la perspective d’un conflit long. Comme s’il avait désormais surtout du sang et des larmes à promettre aux Français.
Certaines déclarations avaient préparé le terrain à ce durcissement assumé de l’exécutif qui ne manquera pas de prendre de court l’opposition. Manuel Valls avait annoncé, le matin même, que nos compatriotes devaient s’attendre à de «nouvelles répliques» dans «les jours qui viennent, dans les semaines qui viennent».
Nous serions condamnés à «vivre longtemps» sous l’épée de Damoclès du terrorisme. «Nous entrons dans les années de sang» avait prophétisé sombrement, en écho, Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du Parti socialiste. Des propos cohérents avec la rhétorique martiale choisie par le chef de l’État.
Des combattants, les terroristes?
Celui-ci avait déjà qualifié d’«actes de guerre» mais aussi d’«actes d’une barbarie absolue» –ce qui n’est pas la même chose– les attentats terroristes. La première riposte à ces actes a d’ailleurs été une importante frappe militaire à Rakka, fief syrien de Daech. Et le président a annoncé ce lundi l’intensification de ces interventions.
«Nous sommes en guerre», avait déjà affirmé Nicolas Sarkozy, rejoint dans cette analyse par le président de la République. La notion de «guerre contre le terrorisme», qui nous rappelle la thématique du président George W. Bush après le 11 septembre 2001, n’en demeure pas moins problématique. Jean-Pierre Raffarin trouve cette expression «extrêmement dangereuse» et en appelle, un peu confusément, à «une autre réponse que la guerre contre le terrorisme».
Déclarer la guerre à l’État Islamique reviendrait à le flatter, lui accorder la dignité qu’il recherche avidement
The Guardian
Ce vocable a l’immense inconvénient d’accorder aux terroristes le statut de combattants. Et, comme le quotidien britannique The Guardian l’a relevé, de faire cadeau à Daech d’un statut étatique qu’il ne mérite pas: «Déclarer la guerre à l’État Islamique reviendrait à le flatter, lui accorder la dignité qu’il recherche avidement.» Le président Hollande a visiblement choisi de ne pas s’encombrer de telles considérations.
Révision constitutionnelle
L’annonce la plus importante faite ce 16 novembre par le président concerne une révision constitutionnelle, s’inspirant des propositions de la commission Balladur de 2007, visant à créer un régime juridique exceptionnel adapté à la lutte contre le terrorisme. Il s’agit, en quelque sorte, de prolonger «l’état d’urgence» qui restera en vigueur trois mois.
Annonçant en outre une nouvelle politique pénale et des moyens accrus pour les forces de l’ordre et de la justice, Hollande a résolument assumé une politique sécuritaire que pourra difficilement contester la droite. «Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité», a-t-il fièrement déclaré.
Ces orientations, avec la promesse de faire examiner les propositions de l’opposition, ne manqueront pas de relancer les spéculations sur les formes que pourra prendre, à l’avenir, «l’union nationale» ainsi souhaitée. Porté par ses sombres analyses, le chef du gouvernement n’a pas hésité à proclamer que «plus que jamais», celle-ci est «indispensable».
L’expression renvoie ici à l’union de l’éventail politique au début de la guerre de 1914-1918, ce qui n’est quand même pas rien. Claude Bartolone, président socialiste de l’Assemblée nationale, est allé jusqu’à envisager un «gouvernement d’union nationale».
Unité nationale et stratégies politiques
Le chef de l’État s’en tient, pour sa part, à «l’unité de la nation» dans l’épreuve. Mais ce «rassemblement» doit surmonter les stratégies politiques des uns et des autres.
Le président de Les Républicains a affirmé dimanche que les choix actuels ne garantissent pas «la sécurité des Français»
Après s’être, dans un premier temps, déclaré favorable aux initiatives prises par le président de la République, Nicolas Sarkozy avait pris soin de s’en distinguer clairement. Le président de Les Républicains a affirmé dimanche que les choix actuels ne garantissent pas «la sécurité des Français» et avancé toute une panoplie de mesures sécuritaires. En outre, il estimait urgent de réorienter nos choix stratégiques en Syrie.
Ces angles d’attaques ne sont pas très différents de ceux de Marine Le Pen. La présidente du FN accuse, elle aussi, le pouvoir de n’avoir pas été capable de protéger les Français et plaide pour un rapprochement avec la Russie dans la crise syrienne. La concurrence frontiste interdira sans doute à Sarkozy de céder aux appels à une «unité politique» même s’il aura du mal à condamner les dernières initiatives du chef de l’État.
Fermer les «mosquées radicales»
La menace de l’extrême droite a certainement pesé aussi dans les choix de l’excécutif. L’extension à trois mois de «l’état d’urgence», sur tout le territoire, va rendre possibles toute une série d’opérations de sécurité. Une première vague de perquisitions dans les milieux islamistes, sans rapport obligé avec les attentats de vendredi, a déjà eu lieu. Jean-Luc Mélenchon n’a pas caché son «scepticisme» sur ces mesures d’exception. Le futur régime juridique issu de la révision constitutionnelle ne manquera pas de faire ressurgir les vieux débats sur les rapports entre sécurité et liberté.
Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve promet désormais de fermer les «mosquées radicales» et d’expulser les prêcheurs de haine, ce qui correspond peu ou prou à ce qu’exigeait le FN précédemment. Le parti lepéniste est bien placé pour tirer partie du nouveau climat, surtout s’il se confirmait que certains terroristes étaient entrés en Europe avec le statut de réfugié.
Sommes-nous certains de réagir très différemment des Américains après le drame du 11-Septembre?
Les régionales maintenues
La France se prépare, en tous cas, à la situation inédite de devoir voter alors que l’état d’urgence est maintenu sur tout son territoire. Les élections régionales des 6 et 13 décembre seront immanquablement impactées par le lourd climat qui règne depuis vendredi dernier. Les campagnes des uns et des autres ont généralement été suspendues le temps du deuil national. Mais la sérénité n’en sortira pas forcément gagnante au bout du compte.
La rhétorique guerrière et l’agenda sécuritaire portés par le président posent de lourdes questions. Sommes-nous certains de réagir très différemment des Américains après le drame du 11-Septembre? Les événements qui se sont déroulés depuis lors devraient pourtant inciter les Français à emprunter d’autres chemins.