France

Faut-il (vraiment) éviter les polémiques?

Temps de lecture : 3 min

Engueulons-nous, oui! Continuons à être ce peuple qui est d'accord pour ne pas être d'accord, pour ne pas céder à l'EI qui voudrait nous soumettre à ses valeurs.

Prières devant Le Carillon, le 15 novembre 2015. REUTERS/Jacky Naegelen
Prières devant Le Carillon, le 15 novembre 2015. REUTERS/Jacky Naegelen

Mettre ou ne pas mettre le drapeau français sur sa photo de profil, quand dans le coeur de certain.es, le sentiment patriotique n'a aucune résonnance? Chanter ou ne pas chanter la Marseillaise, quand en «temps normal», nous sommes un certain nombre à répugner à ses paroles sanguinaires, sexistes et patriarcales, quand même elles seraient entonnées «en reggae» comme Renaud le disait en 1980. Accepter ou refuser l'appel #prayforparis, quand parmi nous, il y en a qui ont assez soupé de religion pour le moment, pour un bon moment?

Celles et ceux qui se seront sentis suffisamment audacieux.ses, ces dernières heures (quand on ne dort plus, c'est en heures, pas en jours que l'on mesure le temps), pour exprimer cela entre autres dissonnances, se seront presque systématiquement entendu rétorquer, d'une façon ou d'une autre, «ah non! pas de polémique, c'est pas le moment!»

Et si...? Et si c'était justement le moment? Précisément le moment de continuer à débattre? Exactement le moment de dire que ce que nous sommes, c'est un peuple qui sait s'engueuler. Que c'est peut-être là le seul truc démocratique pour lequel on est doué.es. Notre culture du débat, inverse à ce que prône l'EI.

Nous avons lu partout ou presque, ce week-end, le texte si éclairant et tellement réconfortant de ce commentateur du site du New York Times rendant hommage à notre culture hédoniste, celle-là même qui est si antagoniste de celle de terroristes peine-à-jouir qui ne comprennent pas que nous aimions la bouffe, le vin, le cul, les clopes, bouquiner, flâner, prendre des vacances... Ce que nous aimons aussi, très très fort, c'est croiser le fer des arguments. Passer des heures à nous prendre la tête entre copains et copines.

On appelle ça «refaire le monde» et c'est souvent pour faire ça, avec ferveur et coeur (le coeur, c'est à dire courage et générosité), qu'on se retrouve à des terrasses de café ou de restaurant le vendredi soir. Quand on sort d'un film ou d'un concert, on se dit ce qu'on a trouvé bien et moins bien, on partage nos impressions, on défend nos goûts et notre point de vue avec nos tripes. On se sait autorisés à avoir des avis, à exprimer des convictions, à mettre sur la table ce que l'on a sur l'estomac et dans la tête, quitte à dire parfois aussi des conneries, ce qui fait réagir les autres et nous aide à réfléchir un peu plus loin, pour parfois dire moins de conneries la fois suivante.

Parfois, on se fâche vraiment. Sévèrement, sérieusement, pour de bon. Pour une heure ou pour longtemps.

Pouvoir se fâcher, c'est la nature même des relations électives. Des amitiés, pour le dire autrement.

L'amitié, c'est aussi ce qui a été ciblé, vendredi. L'amitié, c'est le lien humain sans obligations matrimoniales ni familiales et sans relation patrimoniale. L'amitié, c'est le choix par excellence. Celui des personnes qu'on a vraiment envie d'aimer, avec qui on a le désir de passer du temps, en laissant pour quelques heures son conjoint, ses parents, ses enfants, ses obligations et ses responsabilités. L'amitié, c'est le lieu idéal de la libre engueulade sans compromission, de la discussion franchement ouverte et surtout des réconciliations voulues, désirées, construites ensemble.

Continuons à être ce peuple qui est d'accord pour ne pas être d'accord, qui a cette merveilleuse habitude de tout critiquer tout le temps

Alors, engueulons-nous, oui! Continuons à être ce peuple qui est d'accord pour ne pas être d'accord, qui a cette merveilleuse habitude de tout critiquer tout le temps, de ne pas supporter les doxas et les mots d'ordre, de prendre à parti ses dirigeant.es, d'être irrévérencieux.se avec les dogmes. Cet art de la dispute qui nous rend si singuliers dans le monde, je crois pour ma part que c'est précisément ce qui nous préservent de croire qu'au final, c'est forcément le maître, le chef, la loi ou Dieu qui a raison.

Il ne s'agira pas de tout niveler, de prendre la liberté chérie d'expression pour une équivalence indistincte entre toutes les opinions. Ne versons pas dans le fanatisme de la synthèse: la raison n'est pas toujours dans le noyau mou de l'expression majoritaire ni dans la fusion mal cuisinée des avis contraires. Gardons bien sûr ce droit absolu d'affirmer avec force que nos valeurs non discutables et non négociables sont l'égalité, la liberté et la fraternité. Et que nos ennemi.es sont tou.tes les endoctriné.es du monde.

Restons des indigné.s, des chamailleur.ses, des emmerdeur.ses, des empêcheur.ses de tourner en rond, des querelleur.ses d'idées, des demandeur.ses de compte, des polémiqueur.ses. La noblesse de notre âme française, c'est la dispute, au sens philosophique du terme. «La dispute est d'un grand secours. Sans elle, on dormirait toujours», écrivait La Fontaine.

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