Sports

Que reste-t-il de l'échec de Paris 2012?

Temps de lecture : 5 min

Pourquoi la France n'arrive pas à obtenir l'organisation des grandes compétitions internationales.

Le 6 juillet 2005, à Singapour, le ciel tombait sur la tête du sport français et du pays tout entier. Alors qu'elle faisait figure de (légère) favorite, Paris était battue par Londres lors du vote servant à désigner la ville hôte des Jeux Olympiques de 2012. Par 54 voix contre 50, la perfide Albion, sous les traits de Tony Blair et de l'ancien champion Sebastian Coe, mettait ko la France de Jacques Chirac et de Bertrand Delanoë.

Vendredi 2 octobre, à Copenhague, ce sera donc vraisemblablement au tour de Chicago ou de Rio de Janeiro de rire ou de pleurer à la même seconde dans la mesure où ces deux villes, comme Londres et Paris il y a quatre ans, seraient les mieux placées pour l'attribution de l'organisation des Jeux de 2016 décidée dans la capitale danoise où Madrid et Tokyo pourraient se contenter de faire de la figuration. Et pour les Américains comme pour les Brésiliens, à l'heure de la défaite, ce sera le début des interrogations habituelles. Où était donc la faille dans mon dossier de candidature? Qui m'a trahi? En avons-nous trop fait? Pas assez?

Réactions à chaud

En 2005, pour la troisième fois en vingt ans, Paris, déjà postulante pour les Jeux de 1992 et de 2008, avait donc été recalée. Et pour expliquer cet échec retentissant, plusieurs causes avaient été avancées, à chaud, côté français. On stigmatisa l'habileté des Britanniques qui avaient franchi, paraît-il, la ligne jaune des règles du Comité International Olympique en matière de lobbying. On montra du doigt Juan Antonio Samaranch, l'ancien président du CIO de 1980 à 2001, qui roulait pour Madrid, également candidate, et qui aurait intrigué dans notre dos pour nous faire trébucher sur la ligne d'arrivée. Bertrand Delanoë déplora qu'une certaine idée du marketing ait triomphé aux dépens des valeurs de l'olympisme et de la solidarité évidemment défendues par Paris. Interrogé par L'Equipe, Jean-Claude Killy, en larmes à l'annonce du verdict rendu par la voix de Jacques Rogge, le président du CIO, n'y alla pas, lui, par quatre chemins. «Notre image aujourd'hui est celle du rejet, asséna-t-il. Du refus de l'autre. Du nanti qui repousse le pauvre. Nous avons une image d'égoïstes depuis le non à la Constitution européenne, en particulier envers les pays de l'Est. Comment voulez-vous recevoir quelque chose d'une personne que vous repoussez?»

Bigre. Plus sereinement, et avec le recul du temps et de la réflexion, Alain Luzenfichter et Patrick Issert, journalistes à L'Equipe, jetèrent sur le papier leur bilan de l'expérience par le biais d'un livre, Malheureux aux Jeux. Au-delà des crocs en jambes, des manigances et des coups tordus de dernière minute qui devraient être encore en vogue à Copenhague, les auteurs soulignèrent que les hiérarques de Paris 2012 n'avaient tous simplement pas vu le(s) coup(s) venir, et que la France avait surtout payé le prix d'avoir perdu nettement pied au sein des instances mondiales du sport où sa présence était devenue fantomatique. Le constat n'était pas nouveau. A Moscou, en 2001, quand Paris avait été battue à plates coutures par Pékin pour les Jeux de 2008, ces mêmes lacunes avaient été mises en relief, mais guère relevées parce qu'il s'agissait alors d'une candidature de «témoignage» face à la capitale chinoise, ultra favorite.

En 2005, avant le choc de Singapour, les signes avant-coureurs s'étaient pourtant succédés. Marseille, candidate à l'organisation de la Coupe de l'America en 2007, avait été, par exemple, supplantée par Valence. Pour une voix, face aux Turques, la France avait laissé échapper la mise sur pied du Mondial 2010 de basket. Patrie de Pierre de Coubertin, la France n'était plus entendue au sein de la famille olympique ou semblait carrément sourde à ses évolutions.

Perte d'influence

«Pour réussir, il faut pouvoir instaurer un dialogue permanent avec le monde de l'olympisme, avait relevé Jean-François Lamour, Ministre des Sports au soir de la débâcle de 2005, dans un entretien à L'Equipe. S'inscrire en partenariat, en affaires même, avec les grands réseaux qui composent le CIO, avec les membres du CIO eux-mêmes qui ont leur propre sphère d'influence, avec les fédérations internationales, avec les comités olympiques continentaux. Pour cela, il convient d'avoir des positions stratégiques et on voit bien qu'elles nous manquent contrairement aux anglo-saxons... Et il faut privilégier notre engagement dans le domaine du sport et des équipements qui nous manquent. Refaire aussi un tour de table afin de savoir si les maîtres d'ouvrage envisagent toujours de mener à bien les dossiers.»

Quatre ans plus tard, Jean-François Lamour, qui a néanmoins eu le mérite de mener à bien le projet de rénovation de l'INSEP pour un coût de 138 millions d'euros, pourrait poser le même diagnostic tant le paysage du sport français est resté figé et délabré depuis Singapour. Dans l'intervalle, les anglo-saxons ont même été impitoyables pour lui une deuxième fois en lui barrant sèchement la route de la présidence de l'Agence Mondiale Anti-dopage (AMA) qui a échu à un Australien sorti de nulle part -autre signe de la perte de l'influence française.

Infrastructures

Oui, en 2009, Paris n'est pas plus avancée sportivement qu'en 2005 puisque tous les jolis projets sont restés... des projets. Un exemple le démontre tristement. Depuis 2004, la France, forte de champions olympiques comme Laure Manaudou et Alain Bernard, est devenue une nation-phare de la natation, discipline olympique par excellence, mais n'est toujours pas capable d'organiser un championnat international digne de ce nom faute d'installations dans sa capitale ou ailleurs. Le centre nautique d'Aubervilliers, qui devait être construit malgré l'échec de Paris 2012, est toujours dans les cartons et n'en sortira pas. Pauvre natation tricolore qui, en dépit de ses champions et de ses médailles, peine même à trouver un cadre pour... ses championnats de France 2010 tant l'offre de piscines est maigrichonne!

Cette misère financière et logistique est également vécue par d'autres et notamment le sport roi, le football, dont les stades nouveaux tardent à sortir de terre que ce soit à Lille ou à Lyon. Que les Girondins Bordeaux, champions de France, défendent leurs chances en Champions League dans une enceinte aussi vétuste que le Stade Jacques Chaban-Delmas a, par exemple, de quoi faire sourire les grands d'Europe, Anglais, Italiens, Espagnols ou Allemands nettement plus soucieux du confort de leurs spectateurs. Si bien que la candidature de la France pour l'Euro 2016 paraît déjà mal engagée en raison de ces problèmes d'infrastructures et malgré les incantations de Rama Yade, que le mouvement sportif commence à trouver bien légère à ce poste après le passage, déjà peu convaincant, de Bernard Laporte.

Président de l'UEFA, Michel Platini aura un regard bienveillant sur cette candidature, mais ne pourra rien pour elle à cause de son devoir de neutralité. Platini, l'une des très rares personnalités françaises, depuis Singapour, à avoir émergé sur la scène des dirigeants internationaux, où la voix de la France est en train de s'éteindre au grand dam de Jean-François Lamour. Une trentaine de fédérations internationales sont affiliées au CIO lors des Jeux d'été et pas une n'est dirigée par un Français. Dans les années 80, les fédérations internationales de tennis (Philippe Chatrier), basket (Robert Busnel), volley-ball (Paul Libaud), escrime (Rolland Boitelle) avaient toutes un Français à leur tête. Si elle est candidate en 2020 ou 2024, Paris est prévenue: elle est déjà (encore) mal partie...

Yannick Cochennec

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Image de Une: Bertrand Delanoe et Jean-Claude Killy, REUTERS/Philippe Wojazer

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