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La Russie face à l'État islamique: l'épreuve de choc

Temps de lecture : 4 min

Mutique depuis le crash qui a causé la mort de 224 personnes dans le Sinaï, Vladimir Poutine pourrait bien voir ses rêves de puissance contrariés par Daech.

REUTERS/Maxim Shemetov
REUTERS/Maxim Shemetov

Le premier réflexe, c’est la dénégation. C’est celui de tous les régimes autoritaires, pas seulement de la Russie poutinienne. Il s’agit de nier ce qui gêne. La deuxième réaction est le silence. Vladimir Poutine est présent chaque soir sur les écrans de télévision, comme au bon vieux temps de l’Union soviétique quand le moindre geste du chef du Parti communiste faisait l’ouverture des journaux.

Mais depuis la catastrophe de l’Airbus A321 dans le Sinaï, on ne l’a pas vu. Quand en 2000, le sous-marin nucléaire Koursk avait sombré avec ses 118 hommes d’équipage, Poutine avait mis six jours avant de faire une déclaration. Les circonstances ne sont pas tout à fait comparables, mais on se rappellera que Staline, en juin 1941, avait laissé le soin à Molotov d’annoncer l’attaque allemande contre l’URSS et qu’il avait attendu plusieurs jours pour s’adresser à ses compatriotes.

Une remise en cause du Kremlin

Le délai est mis à profit pour mettre au point la thèse officielle, celle qui devra être reprise par tous les médias pour tenter de convaincre la population de la justesse de la politique suivie par le pouvoir. Immédiatement après l’explosion de l’Airbus A321 qui reliait Charm el-Cheikh à Saint-Pétersbourg, avec 224 passagers et membres d’équipage à bord, les autorités russes ont mis en cause un incident technique. Tous les avions de la compagnie de charters Metrojet ont été cloués au sol. Ce n’est qu’après plusieurs jours que Moscou a interdit tous les vols vers l’Égypte, reconnaissant implicitement que la thèse de l’attentat devait être prise au sérieux.

L’engagement en Syrie avait au contraire entre autres buts de montrer le retour de la puissance russe

S’il s’agit bien d’un attentat, comme la grande majorité des experts en semble convaincue, perpétré par une branche égyptienne de l’État islamique, c’est une mise en cause de la stratégie de Poutine dans la guerre en Syrie. Certes, ce ne serait pas la première fois que la Russie est visée par des actions terroristes liés plus ou moins directement à la mouvance islamiste radicale. Celles-ci se sont produites jusqu’à maintenant en Russie même, y compris dans la capitale Moscou, et le pouvoir russe en a profité pour accentuer la répression contre les indépendantistes tchétchène ou contre les groupes radicaux dans d’autres républiques caucasiennes. Le Kremlin a même été soupçonné, indices concordants à l’appui, d’avoir organisé lui-même certains attentats pour justifier sa politique.

Pour l'église orthodoxe, une «guerre sainte»

Toutefois, l’attentat probable contre l’Airbus russe en Égypte souligne la vulnérabilité de la Russie. Or, l’engagement en Syrie avait au contraire entre autres buts de montrer le retour de la puissance russe. Face à des Occidentaux, en particulier des Américains, qui essaient depuis un an d’endiguer l’avancée de Daech, Vladimir Poutine voulait faire la démonstration que la Russie avait la détermination et les moyens d’utiliser la force pour atteindre ses objectifs politiques. En encadrant les soldats restés fidèles à Bachar el-Assad, en s’appuyant sur les forces iraniennes et leurs affidés du Hezbollah, il disposait des deux composantes indispensables à un succès: des frappes aériennes et une intervention au sol par alliés interposés, une équation que les Occidentaux n’ont pas réussi à résoudre.

L’autre risque est lié à la présence de quelque 20 millions de musulmans en Russie même, dont la majorité est sunnite

Le président russe était certainement conscient des risques. S’il a envoyé des troupes pour protéger la base russe de Tartous et des conseillers pour encadrer l’armée d’Assad, il hésitera avant d’envoyer des forces combattantes, car il craint un enlisement comme celui qu’a connu l’Union soviétique en Afghanistan. L’autre risque est lié à la présence de quelque 20 millions de musulmans en Russie même, dont la grande majorité est sunnite. Leurs réactions sont imprévisibles alors que l’église orthodoxe russe a cru bon de qualifier l’intervention en Syrie de «guerre sainte». En revendiquant la destruction de l’Airbus de Metrojet, l’État islamique s’est fait gloire d’avoir éliminé des «croisés». Vladimir Poutine n’a pas besoin chez lui d’un «clash de civilisations».

Daech pour cible

Plus généralement, l’opinion russe ne manifeste pas à la guerre en Syrie le soutien enthousiaste qu’elle a montré pour l’intervention en Ukraine. Son influence sur les décisions du Kremlin est faible. Pourtant elle n’est pas insensible quand il y a des victimes russes. Les mères de soldats se sont mobilisées naguère contre la guerre en Afghanistan, puis contre le soutien inavoué aux séparatistes du Donbass, entrainant un élan de sympathie. Les autorités le savent si bien qu’elles ont cherché à faire passer pour un suicide la mort du premier soldat russe en Syrie, sans doute assassiné par des islamistes radicaux.

La perte de l’Airbus de Metrojet et de 224 vies humaines ne changera pas la stratégie de Vladimir Poutine. Elle ne le fera pas reculer. Au contraire, il sera tenté d’accentuer l’engagement de ses forces en Syrie, en ciblant Daech plus qu’elles ne l’avaient fait jusqu’à maintenant. Les frappes russes se sont d’ailleurs intensifiées au-dessus de Raka qui passe pour être un des centres de commandement de l’État islamique. Mais l’attentat du Sinaï, s’il se confirme, est un avertissement que le président russe serait bien avisé de ne pas ignorer: dans la guerre asymétrique, la puissance russe rencontre les mêmes limites que ses rivales occidentales.

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