Monde

Utilisons le Brexit pour relancer l’Europe

Temps de lecture : 3 min

L’éventuelle sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe devrait être l’occasion de faire d’un mal un bien: dire ouvertement dans nos pays, où l’euroscepticisme gagne aussi, ce qu’est le projet européen et le relancer gaillardement

REUTERS/Toby Melville
REUTERS/Toby Melville

Est-il possible de faire d'un mal un bien? Non pas de faire des Britanniques de bons citoyens européens, jamais rétifs, jamais quémandeurs d'exemptions, toujours payants, toujours allants, ce serait demander la lune. Mais d'utiliser le référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne, le «Brexit» promis stupidement par le Premier ministre, David Cameron en 2013, pour répondre à l'injonction légitime qui est derrière: améliorer l'Europe.

Ce que réclame David Cameron est regardé de très haut par les autres chefs d'Etat ou chefs de gouvernement de l'Union: il s'est mis tout seul dans un mauvais cas, à lui de s'en sortir. Pour de pures raisons de politique intérieure et d'unité de son parti, il a promis des «changements» de l'Union européenne qu'il est impossible de lui accorder. Soit il l'admet et se couche, alors il sera dévoré par ses ennemis eurosceptiques de l'intérieur. Soit il va jusqu'au bout du vote, alors il prend le risque de conduire son pays à une sortie de l'Union, qui sera une catastrophe pour l'Europe, mais une catastrophe encore plus grande pour la Grande-Bretagne. Dès 1975, deux ans à peine après son entrée dans la Communauté, le Premier ministre, Harold Wilson, organisait un référendum de sortie. Deux Britanniques sur trois voteront pour le «in»: rester à l'intérieur. Même Margaret Thatcher, pourtant farouche eurosceptique, n'a jamais envisagé de quitter la CEE. David Cameron a fait preuve d'amateurisme en se lançant dans la voie populiste, qu'il en paie les conséquences.

Les partenaires vont pourtant essayer de lui donner quelques avancées pour le consolider. Angela Merkel a gentiment reconnu cette semaine qu'il y avait des «préoccupations britanniques qui étaient justifiées», comme «la compétitivité et un meilleur fonctionnement de l'Union». Mais le différend est radical et le «Brexit» devrait être l'occasion de faire d'un mal un bien: dire ouvertement sur le continent européen, où l'euroscepticisme gagne aussi, ce qu'est le projet européen aujourd'hui et le relancer gaillardement. Répondre aux Britanniques est répondre aux critiques, aux frustrations et aux craintes d'une grande partie des opinions publiques, à celles et ceux qui, au fond, sont tentées de voir dans le combat contre l'Europe une issue à leurs malheurs.

Deux visions de l'Europe

Il existe deux visions de l'Europe. Les Britanniques veulent un grand marché, les autres veulent une union «toujours plus étroite», fédérale, monétaire, écologique, politique, etc. aboutissant à un ensemble soudé par des valeurs humanistes communes. Deux visions dans les têtes, mais dans les faits une seule Europe. Celle fondée par les Six de départ, il y a plus de cinquante ans. Elle s'est agrandie en accordant des dérogations, des délais des exemptions, des «opt-out» sous pression anglaise, mais il n'y a toujours en principe qu'une Europe, celle qui veut/doit avancer. L'étonnant dans les revendications Cameron est que, après Maastricht, les Britanniques ont formidablement réussi à imposer l'élargissement et à ramener l'Union au seul grand marché. On a parlé d'une Europe «à deux vitesses», mais, en réalité, les deux bicyclettes avaient une vitesse également nulle.

Aujourd'hui, la crise grecque relance le moteur fédéral, il faut aller plus loin et plus vite. Les continentaux l'ont compris, même s'ils bougent à la vitesse d'un escargot. Pour les Britanniques, c'est déjà trop, c'est trop sur le principe, Bruxelles va peu à peu prendre le pas sur Westminster et sur la City. Il est temps de marquer dans les traités l'existence de deux Europe, de plusieurs monnaies et d'une Union qui n'est pas vouée à devenir «toujours plus étroite». David Cameron devrait lister ses exigences dans une lettre envoyée la semaine prochaine au président du Conseil européen.

Les réponses des autres membres seront forcément limitées en droit comme sur le fond. En droit, parce que ce que veut Londres impose un changement des traités, ce que toutes les capitales refusent. Ce n'est pas le moment de déchaîner les passions eurosceptiques, Cameron fait cette sottise, on ne va pas le suivre.

Sur le fond, parce que, pour avancer, il faut plutôt débloquer les freins qu'en rajouter encore. Parce que, pour les autres, vouloir «deux Europe» n'a pas de sens, ni pratique ni historique. L'Europe ne peut avoir qu'une seule monnaie, et c'est l'euro. «Ce que veulent au fond les Britanniques, c'est reproduire l'India Office, décider des lois qui s'appliquent aux millions d'Indiens mais ne les concernent pas eux», résume Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen. Avoir les mains dedans, mais les pieds dehors.

Ils savent ce qu'est le capitalisme et la démocratie

Est-il possible de trouver quand même un usage utile du «Brexit»?

Les Britanniques savent ce qu'est le capitalisme. Il faut écouter les demandes de David Cameron concernant l'extension du marché unique aux services (dépasser les réticences allemandes) et au numérique, la lutte contre la bureaucratie, la négociation de traités de libre-échange, comme celui avec les Etats-Unis.

Les Britanniques savent ce qu'est la démocratie. Il est aussi possible de reprendre le sujet des «cartons jaunes», qui donnent depuis Lisbonne un droit de blocage temporaire si un quart ou un tiers des pays membres bloquent une directive. C'est l'occasion de refonder le rapport entre Strasbourg et les Parlements nationaux, sujet essentiel. Efficacité économique ou gains démocratiques, ces deux thèmes ne sont pas l'exclusive de Cameron, mais le «Brexit» donne l'occasion.

Tout le reste sera fort limité, à cause de la complexité générique de l'Union, à cause de l'Histoire: il faut que l'intégration progresse. Encore faut-il oser le dire. Le «Brexit» impose aux proeuropéens de se battre. C'est un bien.

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