Nous publions une série de cinq articles sur le soixantième anniversaire de la naissance de la Chine communiste. Cette première partie revient sur les hommes qui ont pris le pouvoir le 1er octobre 1949.
Il y a soixante ans, le 1er octobre 1949, Mao Zedong, du balcon de la porte sud de la Cité impériale, proclamait la création de la République Populaire de Chine. Mais à cette date, les troupes communistes, victorieuses des nationalistes du Kouo-Min-Tang sont dans Pékin depuis près de huit mois. En mars, Mao lui-même a franchi les portes de la ville en disant à Zhou Enlai : «Nous entrons dans la capitale passer les examens. Nous saurons être brillamment reçus». Référence aux candidats mandarins d'autrefois qui venaient des lointaines provinces de l'Empire (1).
En 1949, Mao intrigue beaucoup de ses concitoyens. Même les lettrés qui ne sont pas de son bord reconnaissent la personnalité forte et originale de sa calligraphie. Dans la capitale, il prend plaisir à assister à des représentations d'Opéra de Pékin. «Le Roi de Chu dit adieu à sa favorite» l'émeut particulièrement et il recommande aux membres du Comité Central d'aller voir la pièce.
Le travail politique commence aux Collines parfumées, à l'Ouest de Pékin, dans la villa de la «Double pureté» où Mao reçoit avec déférence des intellectuels membres de «partis démocratiques» qui ont accepté la venue du communisme. Puis, le pouvoir s'installe à Zhongnanhai, une dépendance de la Cité interdite. Mao choisi le bureau du «parfum des chrysanthèmes» qu'il aménage sans aucun luxe. Dans leur fuite vers Taiwan, les nationalistes ont emmené la plupart des mobiliers et des objets d'art de l'époque impériale.
Celui qui, à 55 ans, devient ainsi le maitre d'un pays de 450 millions d'habitants cultive l'allure d'un paysan simple et obstiné. Il se sert de baguettes en bambou - et jamais en ivoire - pour ses repas à base de légumes verts, de pâtés de sojas fermentés et de riz brun mélangé de haricots noirs ou de patates douces. Seule l'insistance de son entourage l'oblige le 1er octobre à se faire habiller chez un tailleur réputé de l'avenue Wangfujing alors qu'il porte habituellement des costumes rapiécés.
Mao Zedong, qui a écrit en 1927 que la «révolution n'est pas un dîner de gala» sort de plus de vingt ans de luttes acharnées. Outre les combats auxquels il s'est trouvé lui-même, beaucoup de ses proches ont finis tragiquement: des militants communistes qui ont mis en grève des ouvriers et se sont fait prendre par le Kouo-Min-Tang; sa seconde femme, mère de deux de ses fils, capturée en 1930 à Changsha; son frère, exécuté en 1943 par le seigneur de la guerre du Xinjiang.
Sa survie, Mao la doit à sa fuite dans les zones rurales. Très vite, il a eu l'intuition que la doctrine marxiste d'appui sur le prolétariat ne convenait pas à la Chine et que mieux valait mobiliser les «fureurs paysannes». En 1935, l'armée disparate de soldats de fortune qui le suit est en grande partie décimée tout au long de sa «longue marche» à travers le pays. Refugiés dans les montagnes de lœss de Yan'an, les survivants sont pilonnés par l'aviation nationaliste.
C'est pourtant là que le «maoïsme» se met en place. Les premières équipes de gouvernement militarisées et «au service du peuple» entourent Mao. Celui-ci écrit les textes de doctrine rejetant les pratiques «bourgeoises» et «féodales». En 1942, un mouvement de rectification écarte des intellectuels dissidents dont certains sont exécutés. C'est là aussi, en 1937, que Mao répudie sa troisième femme pour épouser l'actrice Jiang Qing, leader trente ans plus tard de la Bande des quatre.
L'alliance avec le Kouo-Min-Tang, pour combattre l'ennemi commun japonais, ne survit pas à la fin de la deuxième guerre mondiale. En plusieurs étapes, de 1947 à 1949, les armées de Mao conduites par Lin Biao, Deng Xiaoping ou Chen Yi s'emparent du pays. Dans chaque village, les paysans sont invités à «liquider» l'ancien régime. Les propriétaires terriens restés sur place sont abattus, les terres sont redistribuées et des coopératives mises en place. En 1950, la loi sur le mariage donne aux femmes l'égalité juridique et instaure le libre choix du conjoint.
Pour l'Histoire enseignée dans les écoles, 1949 marque la fin d'un siècle d'humiliation et de déclin chinois. A partir des années 1840, les guerres de l'opium ont ouvert la voie aux colonisateurs étrangers, à l'effondrement de l'Empire et aux guerres civiles. Soixante après, l'épopée maoïste et les premières réformes communistes sont présentées comme un moment de délivrance nationale rempli d'espoir.
Richard Arzt
(1)raconté en 1993 par Li Yinqiao, ancien garde du corps de Mao.
Image de Une: Statue de cire de Mao Zedong Siu Chiu / Reuters