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Qui veut la peau du pape François?

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Le nouveau scandale qui a éclaté au Vatican après une fuite de documents compromettants met en péril sa politique de réformes.

Le pape François place Saint-Pierre à Rome, le 4 novembre 2015. REUTERS/Alessandro Bianchi.
Le pape François place Saint-Pierre à Rome, le 4 novembre 2015. REUTERS/Alessandro Bianchi.

À l’échelle des drames et conflits du monde d’aujourd’hui, le premier réflexe serait de hausser les épaules. Un nouveau scandale au Vatican? Mais l’histoire en regorge. De ce vin aigre, la coupe déborde depuis les papes Borgia, les empoisonnements, les promotions de neveux ou d’enfants de pape, les anathèmes, les mises à l’index. Histoire trop humaine d’une institution qui se voudrait d’abord morale et spirituelle, mais est bouffie de suffisance et d’ignorance, de cupidité et de débauche, loin du message humble de l’Evangile. Histoire de papes et d’antipapes, de dévôts et de tyrans, de mystiques et de combattants, de prophètes et de savants, de saints martyrs et de despotes. Tous catholiques, et si peu qui le furent vraiment.

Seulement, depuis le vingtième siècle, l’Eglise veut s’affranchir de ce passé tumultueux, de cette confusion malodorante du spirituel et du temporel. En 1929, par les accords du Latran signés avec Mussolini, elle a renoncé à sa souveraineté sur Rome et l’Italie et accepté d’être réduit à sa taille actuelle de «plus petit Etat du monde» (44 hectares). Au concile Vatican II, clos il y a exactement cinquante ans, elle s’est ouverte au monde moderne, a renoncé à son hégémonie sur les consciences, reconnu les autres religions, modernisé son fonctionnement, réformé son statut et ses structures. En l’an 2000, grâce à Jean-Paul II, elle s’est repentie de ses excès de pouvoir, des pages sombres de son histoire, notamment des persécutions contre les juifs et les hérétiques lors de l'Inquisition.

Sauf mauvaise foi, plus personne ne conteste qu’elle a changé, pris le parti des droits de l’homme, de la paix, de la liberté, de la justice pour les affligés de la terre. Seulement voilà! Si le vent de l’histoire passe, les hommes demeurent. Benoît XVI, pape de tempérament timide et doux, grand spirituel et théologien mais faible homme de gouvernement, s’est cassé les dents face à une Curie où, comme dans toutes les administrations humaines, règnent les conservatismes, les luttes de clans, la bureaucratie, les privilèges. Son pontificat –qu’il a de lui-même décidé d’abréger en 2013 dans un geste historique et prophétique– a été miné par les scandales et des affaires surmédiatisés. Vol de documents, arrestation du majordome, révélations sur des faits de corruption et de blanchiment…

Il s’en est suivi une profonde crise de «gouvernance» qui a précipité l’élection d’un pape venu du «bout du monde», loin des miasmes de la Curie, capable de porter le fer dans la plaie, trancher et réformer. C’est sur ce programme que l’Argentin Jorge Mario Bergoglio, devenu le pape François, a été élu en février 2013. Mais aujourd’hui, une nouvelle «curée» médiatique vise le Vatican et cette Curie romaine, devenu le lieu de tous les fantasmes, intrigues mafieuses, cabales, révolutions de palais et blanchiment d’argent! Une presse laïque à sensation, qui ignore généralement les initiatives au jour le jour en faveur de la justice sociale et internationale, colporte des bruits et des rumeurs, pirate des documents, bref se repaît de cette «légende noire» du Vatican, institution unique au monde qui n’est ni une théocratie tyrannique, ni une monarchie absolue, ni une démocratie représentative, mais qui ne porte jamais plainte.

La fin de l'état de grâce

Il faut reconnaître qu’après deux ans et demi d’«état de grâce» –une popularité mondiale stupéfiante, des réformes à un train d’enfer dans les finances de l’Eglise, la Banque du Vatican, les «dicastères» de la Curie (les «ministères»), dans les procédures de règlement des cas de pédophilie–, le pape François se trouve aujourd’hui à un tournant. Le climat s’assombrit.

Des rumeurs ont couru en octobre à Rome sur une tumeur cancéreuse dont il souffrirait au cerveau. A la veille d’un synode consacré à la… famille, un prêtre polonais de la Curie, Krzysztof Charamsa, a fait bruyamment son coming-out et révélé sa vie de couple homosexuel. Ensuite, ce même synode a révélé de profondes fractures sur la manière de tenir un discours plus réaliste sur le sexe et le couple et mis à jour des manœuvres fort peu catholiques, comme la fuite dans la presse d’une lettre confidentielle de cardinaux très conservateurs mettant en garde le pape, en termes très vifs, contre tout assouplissement de la discipline ecclésiastique concernant les couples divorcés et les homosexuels.

Devant cette avalanche de mauvaises nouvelles, François avait surpris les siens, le 14 octobre, en déclarant place Saint-Pierre: «Je demande pardon, au nom de l’Église, pour les scandales de ces derniers temps au Vatican et à Rome.» Pressentait-il le pire, à savoir le retour du cauchemar vécu par Benoît XVI? Effectivement, quelques jours plus tard, le 30 octobre, Lucio Angel Vallejo Balda, évêque espagnol de la commission pour la réorganisation des services économico-administratifs du Vatican (COSEA), ainsi qu’un membre de cette commission, Francesca Chaouqui, étaient arrêtés et interrogés par la gendarmerie du Vatican. Le premier reste détenu, la seconde a été libérée. Celle-ci est connue à Rome comme une intrigante, célèbre pour ses tweets polémiques, amie de Gianluigi Nuzzi, ce journaliste d’investigation à l’origine du premier Vatileaks sous Benoît XVI. Depuis son arrestation, elle clame son innocence, se défend sur Facebook d’être un «corbeau» et de trahir le pape.


Cet évêque espagnol en prison et cette collaboratrice du Vatican sont accusés d’avoir transmis des documents confidentiels aux auteurs de deux livres de révélations qui viennent de sortir à Rome dans une savante mise en scène médiatique: Chemin de croix, écrit par ce même journaliste du Vatileaks de 2012, Gianluigi Nuzzi, qui veut rééditer son «coup» avec le pape François; puis Avarice, d’Emiliano Fittipaldi, journaliste de l’hebdomadaire L’Espresso. Ces deux ouvrages –qui ne sont pas encore disponibles en français (la traduction du premier paraîtra le 11 novembre) et que nous nous garderons de commenter– confirmeraient et démontreraient, grâce à des «fuites» à la Curie, ce qu’on savait depuis longtemps, à savoir l’ampleur des résistances au grand nettoyage opéré par François, l’opacité maintenue dans la gestion des «dicastères» du Vatican, la sous-évaluation des biens immobiliers du Saint-Siège et les détournements de fonds.

Le porte-parole du pape ne dément pas, mais il dénonce «des publications qui ne concourent en aucune façon à établir la clarté, mais plutôt à générer la confusion et des interprétations partielles et tendancieuses». A cette accusation, Emiliano Fittipaldi, l’un des deux journalistes mis en cause, réplique que son enquête révèle «la distance entre le positionnement du pape en faveur des pauvres et le fonctionnement réel de la machine vaticane». De son côté, l’autre journaliste, Gianluigi Nuzzi, dans une interview au Monde, assure que «le pape lui-même est vu comme un intrus» à la Curie et qu’«il est plus facile pour lui de réconcilier les États-Unis et Cuba que de réformer le plus petit État du monde»!

Des résistances et des réformes trop lentes

Sans doute le Vatican n’est-il pas ce nid de vipères souvent décrit, survolé par un vol de corbeaux. Mais il serait tout aussi faux de réduire ce nouveau scandale à un complot des médias. La vérité est que la politique de réforme est mal en point.

Le pape François en porte une part de responsabilité. Il n’a pas toujours fait preuve d’une grande subtilité. Devant des publics sidérés, et un peu outrés, il a multiplié les charges contre sa propre Curie, accusée de tous les péchés: l’«immobilisme», le «goût des mondanités», le «carriérisme». Il a aussi répété plusieurs fois qu’il ne s’accrocherait pas à son mandat de pape, ce qui affaiblit sa position, laisse aux conservateurs le soin de compter les points, faire le dos rond, freiner les initiatives, en un mot d’attendre la fin d’un pontificat qui fut celui de toutes les promesses, qui n’est pas achevé, mais pourrait bien rester dans l’histoire comme celui d’un feu de paille.

Pourtant, cette réforme du Vatican a bien commencé, notamment celle de la gestion économique et financière, qui était la plus urgente et qui nourrit aujourd’hui toutes les rancoeurs, les rumeurs et les révélations. Créé par le pape, dirigé d’une main de fer par le cardinal australien George Pell, le puissant «Conseil pour l’économie» oblige tous les autres secteurs de la Curie à bouleverser leurs habitudes, à établir et respecter un budget prévisionnel, rendre compte de leur fonctionnement, de leurs appels d’offres, de leurs embauches. Pour réformer les finances, le pape a aussi fait appel à des cabinets d’audits internationaux, recruté de vrais professionnels laïcs (non-prêtres), aligné la comptabilité et le management aux normes d’une organisation internationale. Désormais dirigée par un Français, Jean-Baptiste de Franssu, la «banque du Vatican» (IOR, Institut des œuvres de la religion) a fait le ménage et ne compte plus que 15.000 clients sûrs, contre près de 19.000 il y a trois ans.

Au changement
des structures et des organigrammes,
le pape préfère

la conversion

des mentalités

Mais cette irruption de méthodes d’entreprises anglo-saxonnes dans les vénérables couloirs de la Curie romaine a provoqué un choc. Le «Conseil pour l’économie» fait doublon avec la «préfecture des affaires économiques», enfin dissoute. L’absence de délimitation claire entre les anciennes et les nouvelles structure entretient la confusion et les luttes de pouvoir. Annoncées très tôt, les fusions entre «ministères» redondants de la Curie (laïcs, familles, communication) tardent à voir le jour. En juin a été créé un nouvel organisme appelé «Secrétariat pour la communication», qui devrait regrouper, sans licenciement, tous les médias du Vatican d’ici à quatre ans, mais les hommes en place s’inquiètent pour leur avenir et freinent. De même, la nouvelle commission capitale, «chargée de la protection de l’enfance», présidée par le cardinal américain Sean O’Malley, qui veut aider les évêques du monde entier dans leur gestion des abus sexuels sur mineurs, n’est toujours pas réuni au complet.

Cette lenteur s’explique. Au changement des structures et des organigrammes, le pape préfère la conversion des mentalités. Il consulte, écoute les conférences épiscopales, empile les commissions. Il veut ménager les susceptibilités, ne pas privilégier un clan contre un autre, «recaser» des gens dans un jeu de chaises musicales qui prend du temps. Anomalie, ce pape jésuite aime le «discernement», les processus de décision longs, mais chacun sait que son pontificat sera court (il aura 79 ans en décembre).

Rien ne saurait justifier, pour autant, la passivité et le retour en arrière. Benoît XVI s’était employé à réformer, mais avec trop de prudence. Jean-Paul II fermait les yeux. Depuis son expérience de la Pologne communiste, il était convaincu que les «rumeurs» sur ses collaborateurs étaient autant de coups montés par les «services» pour déstabiliser l’Église. D’où la stupéfiante affaire Maciel, du nom du fondateur mexicain des Légionnaires du Christ, qu’il n’a cessé de soutenir, alors même que des enquêtes internes le mettaient en garde contre ce personnage pervers, pédophile, maniaque sexuel qui entretenait femmes et enfants.

François n’a d’autre choix aujourd’hui que d’aller de l’avant. Sa politique de réformes est irréversible. Dans son discours de clôture du synode, il a déploré une «politique de l’autruche» qui a fait trop de dégâts. Par exemple, à Rome aujourd’hui, dans le scandale qui a suivi l’arrestation de Francesca Chaouqui, on se demande encore comment cette consultante italienne avait pu atterrir à un poste aussi exposé dans une commission vaticane, sinon par l’une de ces pressions amicales à l’ancienne dont le Vatican a le secret. Un processus de «tolérance zéro» doit se mettre en place, rompant définitivement avec l’amateurisme des nominations, les reflexes claniques et courtisans. Un éditorialiste français, Jean-Pierre Denis, directeur de l’hebdomadaire catholique La Vie, écrit justement:

«On doit laver le linge sale, même le linge sacré, surtout s’il contient le pain des pauvres. Et si cela ne se fait pas en famille, il ne faut pas s’offusquer quand la lessive devient publique.»

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