Santé / France

Don du sang chez les gays: le difficile exercice de la démocratie sanitaire

Temps de lecture : 5 min

À partir du 1er juin 2016 les homosexuels pourront, en France, donner leur sang. À condition d’assurer ne pas avoir eu de relations sexuelles depuis douze mois. Une décision élaborée non sans difficulté après un long travail qui a réuni les autorités sanitaires et les nombreuses associations de donneurs, de patients et de personnes homosexuelles.

Une infirmière prélève un échantillon sanguin pendant qu’un homme donne son sang, à Guatemala, le 5 septembre 2012 | REUTERS/Jorge Dan Lopez
Une infirmière prélève un échantillon sanguin pendant qu’un homme donne son sang, à Guatemala, le 5 septembre 2012 | REUTERS/Jorge Dan Lopez

«Un bel exercice de démocratie sanitaire.» Le professeur Benoît Valet, directeur général de la Santé, n’est pas contre cette formule. Il vient d’achever la première étape d’un exercice d’équilibriste à très haut risque: traduire concrètement une promesse faite il y a près de trois ans et demi par Marisol Touraine. Un processus qui, trente ans après les faits, s’inscrit dans les suites des affaires dite du sang contaminé et qui conduit à ne plus faire des homosexuels des donneurs définitivement «à risque».

Celle qui venait d’être nommée ministre de la Santé déclarait en juin 2012:

«Les homosexuels hommes devraient bientôt être autorisés à donner leur sang en France alors qu’ils en sont, jusqu’à présent, exclus en raison d’un risque, considéré comme accru, de contamination par le virus du sida. Le critère de l’orientation sexuelle n’est pas en soi un risque. En revanche, la multiplicité des relations et des partenaires constituent un facteur de risque, quels que soient l’orientation sexuelle et le genre de la personne. Dans les mois qui viennent, nous serons en mesure de faire évoluer cette situation.»

Il s’agissait ici de parvenir à résoudre une équation sanitaire et politique à très haut risque: mettre un terme à ce qui pouvait être perçu et vécu comme une discrimination tout en maintenant le niveau de sécurité du système transfusionnel français (avec la disparition du risque de transmission du VIH).

Risque de transmission virale

La situation ne devrait finalement évoluer qu’à compter du 1er juin prochain. Soit quarante-huit mois après l’annonce ministérielle. À dire vrai, Marisol Touraine n’était pas la première à s’intéresser à ce dossier à haut risque. La précédente passe d’armes médiatique sur le sujet datait du 14 juin 2006, date de la mise en place par l’Organisation mondiale de la santé de la Journée mondiale du don de sang. Le 11 mai de cette année-là, Jack Lang, alors député socialiste du Pas-de-Calais, dénonçait dans une lettre à Xavier Bertrand (alors ministre de la Santé et des Solidarités du gouvernement Villepin) «une mesure discriminatoire extrêmement choquante». L’ancien ministre de la Culture demandait que l’on mette fin à la mesure (mise en place en 1983) de l’exclusion des homosexuels du don du sang. L’affaire en resta là, ou presque, Xavier Bertrand répondant dans son courrier à Jack Lang que ce n’était «pas le fait d’être homosexuel, mais la pratique de relations sexuelles entre hommes qui constitue une contre-indication au don du sang». D’ailleurs, l’homosexualité féminine n’est pas une contre-indication, ajoutait-il.

Et maintenant? Marisol Touraine a annoncé ce mercredi 4 novembre que l’arrêté du 12 janvier 2009 pris par Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé et des Sports, allait être modifié. Cet arrêté fixait les critères de sélection des donneurs de sang. Parmi la liste des contre-indications au don de sang figurait le fait d’être un homme ayant eu des rapports sexuels avec un homme. C’était là une contre-indication absolue et définitive, à rapprocher des nombreux autres motifs d’exclusion du don de sang de nature sexuelle. «Lorsque vous changez de partenaire, vous devez attendre un délai de quatre mois pour donner votre sang, même si vous avez utilisé un préservatif. D’une manière générale, lorsque vous avez un nouveau partenaire sexuel, il faut attendre un délai de quatre mois après le dernier rapport non protégé pour pouvoir donner votre sang», explique-t-on ainsi lors de l’interrogatoire préalable au don et établi par de l’Établissement français du sang.

Le souhait de Marisol Touraine et des associations de personnes homosexuelles s’opposait à l’analyse de nombreux responsables de virologie et de sécurité sanitaire, qui observaient que la circulation du VIH demeurait élevée dans les communautés homosexuelles françaises et que, de ce fait, le risque de transmission virale par transfusion l’était tout autant, en dépit des mesures de dépistage systématiquement mises en œuvre. Interrogé sur ce point par Marisol Touraine, le Comité national d’éthique avait lui aussi émis les plus grandes réserves.

Délai d’ajournement

L’exercice de démocratie sanitaire entrepris par le professeur Benoît Valet a consisté à réunir à de nombreuses reprises depuis le mois de mai l’ensemble des acteurs concernés: les associations de donneurs de sang, de patients, de personnes homosexuelles ainsi que les «opérateurs» sanitaires (l’Agence nationale de sécurité du médicament, l’Institut de veille sanitaire et l’Établissement français du sang). Différents scénarios ont alors été étudiés et discutés portant notamment sur le délai d’ajournement entre le dernier «rapport sexuel entre hommes» et le don de sang. C’est, au final, un délai d’ajournement de douze mois (et non de quatre mois) qui est apparu être la meilleure solution de l’équation à résoudre, au vu des données épidémiologiques. «Il n’y a pas, à ce stade, de données suffisantes pour démontrer l’absence d’augmentation du risque transfusionnel VIH pour un délai inférieur à douze mois», souligne le professeur Valet. S’y ajoute une possibilité de don de plasma seul (plasmaphérèse) avec un délai d’ajournement de quatre mois.

Cinq associations se sont prononcées en faveur du délai d’ajournement à douze mois (Aides, association IRIS, le CISS, Inter LGBT ainsi que l’association française des hémophiles). Quatre ont rejeté l’ensemble des scénarios proposés, parmi lesquelles la Fédération des donneurs de sang bénévoles, l’Union nationale des associations de donneurs de sang bénévoles de La Poste et d’Orange, Act Up et SOS homophobie).

La solution retenue quant au délai d’ajournement est identique à celle d’ores et déjà progressivement mise en œuvre ces dernières années dans un nombre croissant de pays: l’Australie, le Japon, la Hongrie, le Royaume-Uni, la Suède, le Canada, la Finlande, la Nouvelle-Zélande ou les États-Unis. En revanche, la quasi-totalité des pays de l’Union européenne demeurent sur le modèle de la contre-indication permanente.

Abstinence sexuelle

À celles et ceux qui s’étonneront de la mesure retenue et des difficultés pratiques de sa mise en œuvre (une «abstinence sexuelle» de douze mois, y compris en ayant recours au préservatif), les autorités sanitaires font valoir que le don de sang n’est pas un droit mais une forme d’exercice de solidarité biologique qui impose des règles et des devoirs vis-à-vis des receveurs. Elles rappellent également que le modèle actuel n’est pas sans failles (entre 2011 et 2014, on a identifié et exclu vingt-quatre dons séropositifs au VIH) mais qu’il a néanmoins permis d’obtenir une réduction quasi-totale du risque de contamination post-transfusionnelle par le virus du sida.

En pratique, les autorités sanitaires estiment à 4% la proportion des 20 millions des hommes donneurs potentiels qui ont des relations homosexuelles. Sur la base de données (datant de 2006), elles estiment que les dispositions qui entreront en vigueur le 1er juin 2016 permettront d’augmenter de près de 40.000 le nombre des dons de sang et de plasma –soit l’équivalent de trois jours de dons, qui viendront aider à atteindre l’objectif d’autosuffisance nationale.

Cet exercice de démocratie sanitaire d’un nouveau genre n’est pas fini. Les homosexuels ne sont pas les seuls à revendiquer la fin de leur exclusion du don de sang. Il en va de même des personnes déjà transfusées qui, souvent, revendiquent la possibilité de pouvoir entrer dans cette chaîne de solidarité biologique. Et rien n’interdit de penser que la question se posera, un jour, de la possibilité d’une reprise des collectes de sang en milieu carcéral.

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