Nicolas Sarkozy n'a visiblement pas apprécié d'être associé à l'affaire Air Cocaïne. C'est en tout cas ce qu'on apprend en lisant les premières lignes qui servent d'introduction à son interview publiée ce mardi 3 novembre dans Le Parisien:
«C'est un Nicolas Sarkozy en proie à une colère froide qui répond à notre journal ce lundi matin au siège des Républicains: la veille, il a vu son nom associé à l’affaire “Air cocaïne”. L’ancien chef de l’État a du mal à croire que cette histoire “grotesque”, dit-il, ne soit pas orchestrée au sommet de l’État. Le pire, “c’est que je n’ai jamais fumé de ma vie”, s’étrangle-t-il!»
C'est d'ailleurs sur ce sujet que débute une interview largement consacrée à la sécurité:
«Je veux savoir au nom de quoi un magistrat a pu prendre de telles mesures, pour la seule raison que j’ai voyagé avec la même compagnie d’avions. Je veux savoir si un autre client de la compagnie aérienne a été géolocalisé et écouté: y en a-t-il d’autres ou est-ce un traitement qui m’a été réservé? C’est impossible de prendre de telles mesures sans demander l’autorisation du bâtonnier, car je suis avocat: l’ont-ils demandé? Croyez-vous qu’on géolocalise le chef de l’opposition, qu’on écoute ses conversations au téléphone, tout son entourage, sans que la garde des Sceaux en soit informée?»
«Même Pablo Escobar n'a pas été écouté»
En marge de cet entretien il aurait également balancé cette petite phrase: «Même Pablo Escobar n'a pas été écouté.»
.@NathalieSchuck raconte que Sarkozy a dit pendant l'entretien : "même Pablo Escobar n'a pas été écouté" https://t.co/yLyXB7bt3a
— Vivien Vergnaud (@Vergnaud) 3 Novembre 2015
La veille, le sénateur parisien (Les Républicains) Pierre Charon avait pourtant appelé à ne pas faire de comparaison entre les deux hommes:
Il ne faut pas confondre Nicolas Sarkozy et Pablo Escobar ‼️ #Herzog #Air_Cocaïne #E1matin https://t.co/qG2j3VoiD6 https://t.co/qG2j3VoiD6
— Pierre Charon ن (@pierrecharon) 2 Novembre 2015
Certains observateurs ont jugé cette phrase pas vraiment judicieuse, comme notre contributeur Olivier Biffaud:
"Même Pablo Escobar n'a pas été écouté" : Sarkozy sur #AirCocaïne. Pas sûr que se comparer à un baron de la drogue soit vraiment judicieux !
— Olivier Biffaud (@bif_o) 3 Novembre 2015
Ah mais quel argument génial de Sarkozy pour justifier l'acharnement dont il serait l'objet : "même Pablo Escobar n'a pas été écouté"
— Helene Bekmezian (@Bekouz) 3 Novembre 2015
Nicolas Sarkozy n'a pas été «écouté»
Tout d'abord, remarque Delphine Legouté sur Marianne, Nicolas Sarkozy n'a pas été «écouté»:
«Là encore, affirmer qu’il a été “mis sur écoute” permet à Nicolas Sarkozy de donner un sentiment d’acharnement, lui qui a déjà été mis sur écoute dans l’affaire Paul Bismuth. Mais cela n’a pas été le cas dans ce dossier. Géolocalisation de ses deux téléphones portables oui, détail des fadettes –ces factures détaillées des communications téléphoniques– oui, mais pas de mise sur écoute de lui et "tout son entourage” selon les éléments dévoilés par le JDD.»
Et puis comme l'ont très vite noté beaucoup de gens sur Twitter, cette petite phrase sur le baron de la drogue est tout simplement fausse:
@CChaffanjon Ah. Bon. Il faut lui offrir un abonnement à @NetflixFR pour qu'il savoure Narcos.
— Nicolas Delame (@nicolasdelame) 3 Novembre 2015
Ouais bof. C'est un peu comme ça qu'ils l'ont attrapé Pablo Escobar. Faut que Sarkozy revoit Narcos. https://t.co/YqFHuH275H
— Michael Bloch (@Micbloch) 3 Novembre 2015
Lignes interceptées
Narcos pouvant cependant être sujet à des erreurs, nous avons décidé de nous replonger dans le livre de Thierry Noël, Pablo Escobar, Trafiquant de Cocaïne. Et on y apprend que si, Pablo Escobar était bel et bien écouté à partir de 1989, et qu'il le savait:
«L’un des premiers succès de Martínez consiste à identifier un homme qui, au sein de l’entreprise publique des téléphones de Medellín, assure la sécurité des communications d’Escobar lui-même, en mettant à sa disposition des lignes sûres. Cela permet à Martínez d’intercepter un certain nombre de communications entre Escobar et ses hommes, en particulier Pinina. Cependant, l’emploi d’un langage codé, rudimentaire mais efficace, complique l’interprétation de ces écoutes. De plus, il apparaît bien vite qu’Escobar est conscient d’être écouté et utilise ces lignes pour envoyer des messages visant à dérouter ses poursuivants.»
Thierry Noël a d'ailleurs quelques anecdotes sur ces écoutes et évoque les Américains qui surréagissaient à chaque fois qu'ils entendaient un homme avec un accent similaire à celui d'Escobar s'exprimer ou à chaque fois qu'ils entendaient un «Pablo». Il souligne également à quel point tout a été fait pour écouter et localiser l'ancien trafiquant. «Tous les moyens possibles avaient été mis en œuvre à l'époque», raconte-t-il.
Des moyens exceptionnels
Comme on peut le lire dans son livre:
«Les Américains procèdent à des formations accélérées pour les troupes, assurées par les fameux Commandos Delta, et mettent à disposition un budget illimité destiné au matériel de guerre, aux écoutes, mais aussi au paiement des informateurs et des primes sur Escobar et des siens, qui atteignent alors des montants exceptionnels. De gros transports Hercules des forces aériennes américaines, chargés de matériel d’écoutes, prennent leurs quartiers à Medellín et multiplient les missions au-dessus de la région, tandis qu’une batterie d’hélicoptères de combat est mise à disposition permanente du Bloc. D’autres pays, comme la France et l’Allemagne, font parvenir des équipements d’écoutes et de localisation du dernier cri, que le fils du colonel Martínez s’empresse de mettre en service.»
Comme nous le résume Thierry Noël, «oui, Pablo Escobar a bel et bien été écouté dans tous les sens, et c'est d'ailleurs avec ça qu'il a été localisé».