En visite à Moscou chez Vladimir Poutine, Nicolas Sarkozy a pris à contrepied la diplomatie française. Ce, à un moment où celle-ci fait face à des difficultés liées à sa position traditionnelle sur la Syrie. Certes, ce n’est pas la première fois qu’un responsable de l’opposition prend ses distances avec la politique étrangère officielle de la France. Les socialistes, quand ils n’étaient pas au pouvoir, ne se privaient pas de critiquer le président de la République. Mais une règle tacite voulait que ces critiques restent feutrées, surtout proférées dans un pays avec lequel la France officielle est en délicatesse.
Nicolas Sarkozy se veut l’homme de la «rupture» et la politique extérieure n’échappe à cette règle. Quand il aspirait au pouvoir, pendant la campagne de 2007, il avait annoncé vouloir rompre avec ce qu’il considérait comme de la complaisance de Jacques Chirac à l’égard de Vladimir Poutine. Il répugnait, avait-il dit, à serrer la main du président russe rougie du sang des Tchétchènes. Maintenant il se flatte de passer plusieurs heures en tête-à-tête avec le maître du Kremlin qui le reçoit comme un véritable chef d’État, ne serait-ce que pour souligner ses divergences avec François Hollande.
Oubli et ironie
Sur l’Ukraine, les sanctions à l’égard de la Russie, le refus de livrer les bateaux Mistral qui avaient été vendus pendant son quinquennat, Nicolas Sarkozy a pris à Moscou des positions opposées à celles de son successeur. Il a ironisé sur le fait que les porte-hélicoptères Mistral n’auraient pas été d’une grande aide pour la conquête de Donetsk, au milieu des plaines ukrainiennes. Un humour qui aurait pu se retourner contre lui. On se rappelle en effet une déclaration d’un haut responsable de l’armée russe en 2008, au moment de la guerre en Géorgie: si la Russie avait alors été en possession des Mistral, elle aurait atteint ses objectifs en vingt-quatre heures plutôt qu’en trois jours!
Le président des Républicains a défendu une position proche de celle de François Hollande. Mais la formule «Assad doit partir» date de 2011
Nicolas Sarkozy a passé par profits et pertes l’annexion de la Crimée, estimant que le temps passant on oublierait les conditions dans lesquelles le référendum avait eu lieu. Seuls les Tatars étaient peut-être contre le rattachement à la Russie, un petit peuple minoritaire que Staline avait exilé dans les années 1940 dans les steppes d’Asie centrale.
Sarkozy l'opposant en accord avec Sarkozy président
À propos de la Syrie, cependant, le président des Républicains a défendu une position proche de celle de François Hollande. Et pour cause c’est celle qu’il avait défendue lui-même quand il était encore à l’Élysée. La formule «Assad doit partir» date de 2011. L’actuel président de la République a assoupli cette exigence, présentée longtemps comme un préalable à toute issue négociée à la guerre civile. Et Nicolas Sarkozy avec lui. Lors de sa conférence de presse de septembre, François Hollande avait expliqué que Bachar el-Assad devait être «neutralisé», un terme qui aurait pu prêter à confusion mais qui, précisions données, signifiait sa mise à l’écart le temps que son sort soit réglé par une négociation internationale.
À Moscou, le chef des Républicains a repris la position qui est maintenant celle de la diplomatie française: entre le départ immédiat d’Assad –dont les Russes et les Iraniens ne veulent pas entendre parler– et son maintien au pouvoir pour des années encore, il y a une marge de compromis. Ce compromis n’a pas été trouvé à la conférence de Vienne qui vient de réunir l’ensemble des protagonistes internationaux de la guerre au Proche-Orient. Comme il n’avait pas pu être trouvé au cours de deux réunions, en 2012 et 2014 à Genève.
El-Assad en position de force
Entretemps la donne a changé avec l’engagement aérien de la Russie en Syrie, contre les «terroristes», c’est-à-dire indistinctement contre Daech et contre tous les groupes qui luttent contre le régime de Damas. Et avec l’intervention massive et ouverte de l’Iran qui a envoyé des troupes au sol soutenir, avec ses affidés du Hezbollah libanais, les soldats d’Assad. L’issue de la confrontation est plus qu’incertaine. Il n’en reste pas moins que grâce à Moscou et à Téhéran la position de Bachar el-Assad se trouve, au moins provisoirement, renforcée. Il est de moins en moins vraisemblable qu’il quitte «volontairement» le pouvoir.
L'attitude française a aussi évolué sous la pression de ses alliés qui n’ont pas toujours manifesté la même intransigeance
Ce renforcement du dictateur de Damas ne facilité pas l’action de la diplomatie française. Celle-ci s’est retrouvée en porte-à-faux, au moins à quatre reprises. D’abord elle a dû revoir sa position de principe d’origine –«Assad doit partir»–, sous la pression des faits. Depuis plus de quatre ans, le président syrien a montré sa capacité de résistance, son habileté à jouer des divisions de ses adversaires et son absence totale de scrupules dans le choix des moyens, y compris les plus barbares. Mais l’attitude française a aussi évolué sous la pression de ses alliés qui n’ont pas toujours manifesté la même intransigeance. Des déclarations ambigües d’Angela Merkel ont même pu être interprétées comme l’acceptation d’un dialogue direct avec Assad. Aujourd’hui, Paris et Berlin semblent sur la même ligne: Assad doit quitter le pouvoir un jour ou l’autre.
La cible Daech
La deuxième difficulté à laquelle la diplomatie française a été confrontée, et celle qui a sans doute laissé le plus de traces, est le refus de Barack Obama de faire respecter la «ligne rouge» qu’il avait lui-même fixée en 2013. Après l’utilisation par le régime de Damas d’armes chimiques contre la population civile, François Hollande était prêt à ordonner des bombardements sur les forces armées syriennes. La défection britannique a entrainé la démission américaine, laissant la France seule, dans l’incapacité politique et militaire d’agir. Vladimir Poutine a alors marqué un point contre les Occidentaux en se donnant le beau rôle avec un accord sur la destruction du stock d’armes chimiques syriennes.
La décision de bombarder en Irak et en Syrie est arrivée plus tard de la part d’une coalition internationale autour des États-Unis, mais pas dirigée contre Assad et son régime, mais contre l’État islamique. Dans un premier temps, François Hollande a décidé de limiter les raids aériens à l’Irak, bien que Daech s’étende sur les deux pays. Explication: la France agit à la demande du gouvernement de Bagdad et n’a pas de légitimité internationale à intervenir en Syrie. Changement de position à l’automne 2015. Le président de la République annonce l’extension des cibles françaises aux positions de Daech en Syrie, avec une explication qui ne convainc pas tous les juristes: la France agit au nom de la légitime défense contre des éléments terroristes qui la menacent directement par des attentats.
Ce sont les chefs des diplomaties américaine et russe qui ont présenté à la presse les résultats de la réunion de Vienne
Téhéran éclipse un peu plus Paris
Enfin, Paris a revu son attitude vis-à-vis de l’Iran. Pendant longtemps, la diplomatie française a refusé que l’Iran participe aux négociations sur la Syrie. Elle était ainsi en accord avec la position de fermeté manifestée pendant la négociation sur le programme nucléaire de Téhéran et avec ses alliés arabes sunnites du Golfe qui voient dans le régime chiite des mollahs leur pire ennemi. Là encore le principe de réalité s’est imposé. Certes les espoirs, exagérés, d’une «modération» iranienne à la suite de l’accord sur le nucléaire ont été déçus mais l’engagement de l’Iran dans la guerre civile syrienne en fait un interlocuteur indispensable à une éventuelle solution négociée. Paris s’est efforcé de se présenter comme l’organisateur de ce tournant, voire d’en être l’inspirateur. À la veille de la conférence de Vienne, Laurent Fabius a réuni au Quai d’Orsay ses collègues américain, européens et arabes pour préparer la rencontre avec les ministres des Affaires étrangères russe et iranien.
Même s’il ne faut pas surinterpréter les symboles, il reste que ce sont les chefs des diplomaties américaine et russe, encadrant l’envoyé spécial de l’ONU, l’Italien Staffan de Mistura, qui ont présenté à la presse les résultats de la réunion de Vienne, comme si Washington et Moscou étaient les deux protagonistes décisifs de la crise. Vladimir Poutine est sorti de l’isolement relatif où l’avait placé son intervention en Ukraine et les Américains renouent avec les Russes un dialogue auquel ils ne peuvent –et finalement, ne veulent– échapper.