«C'est un scandale», s'est insurgé Frédéric Mitterrand, après l'arrestation en Suisse de Roman Polanski. Le ministre de la Culture a jugé l'événement «absolument épouvantable» et décrété qu'il s'agissait là d'une «histoire ancienne qui n'a pas vraiment de sens». L'indignation dont a fait preuve le ministre est partagée par l'un de ses prédécesseurs, Jack Lang, qui a évoqué un «acte [qui] paraît inimaginable et disproportionné». Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères a souligné dans une lettre adressée à Hillary Clinton que «La partie américaine [devait] demander à la Suisse de libérer Roman Polanski».
Le réalisateur du Pianiste, né à Paris et élevé en Pologne, a la citoyenneté française. Mais la France ne peut rien pour lui, explique l'avocat pénaliste Pierre-Olivier Sur. «C'est un ressortissant français mais l'arrestation se déroule en Suisse et sur demande d'extradition des Etats-Unis. Juridiquement, la France n'est donc pas concernée.» Elle ne peut donc en aucun cas s'opposer à l'extradition du réalisateur. Son seul recours est la diplomatie, recours déjà entamé depuis lundi matin avec les déclarations des ministres, mais aussi à travers la mobilisation des artistes. Une pétition, déjà signée par Bernard-Henri Levy, Isabelle Adjani, Pascal Bruckner et Milan Kundera s'insurge contre la transformation de Polanski «en martyr d'un imbroglio juridico-politique indigne de deux démocraties telles que la Suisse et les Etats-Unis.»
Si Roman Polanski s'était trouvé en France, il aurait été protégé, à double titre:
1. la France n'extrade pas ses nationaux, «c'est un principe général du droit français», rappelle Pierre-Olivier Sur. Si un Français a commis un crime ou une faute aux Etats-Unis, qu'il est arrêté sur le sol français, on le jugera en France pour ce qu'il a commis. Hervé Témime, avocat français de Polanski, qui était en Suisse lundi à ses côtés, souligne que son client aurait donc théoriquement pu être jugé en France pendant tout ce temps. «Cela a d'ailleurs été envisagé, il y a un certain temps. Mais ça ne s'est jamais produit parce que la procédure n'a pas été mise en oeuvre. Il aurait fallu que les Etats-Unis "dénoncent les faits"; ils ne l'ont probablement pas souhaité.» La porte-parole du procureur général de Los Angeles, Sandi Gibbons confirme qu'un procès contre Roman Polanski en France n'aurait eu aucun sens à leurs yeux: «Polanski a été jugé, il a été déclaré coupable. Selon la loi californienne, lorsqu'un crime est commis en Californie, et que le prévenu est jugé dans l'Etat, la peine doit être purgée dans l'Etat».
2. Il y a en France des règles de prescription qui auraient doublement protégé le cinéaste: si la prescription de l'action publique en matière pénale n'existe pas aux Etats-Unis, on ne juge pas, dans l'hexagone, trente ans après les faits.
«Aujourd'hui on s'aperçoit que la Suisse est plus que jamais du gruyère, on n'y est plus protégé, que ce soit dans le cas de Polanski ou des banques», conclut Pierre-Olivier Sur.
L'explication bonus: Pourquoi la justice frappe aujourd'hui? Il ne pouvait pas être arrêté partout, puisque comme expliqué ci-dessus, certains pays n'ont pas d'accord d'extradition. Si Roman Polanski se rendait régulièrement en Suisse, les autorités, suisses comme américaines, n'avaient pas toujours connaissance en avance de ses allers et venues. Sandi Gibbons raconte que les autorités américaines avaient déjà tenté d'interpeller le réalisateur lorsqu'il sortait de l'hexagone, mais un retard dans les formalités nécessaires les en avait empêché.
Dans la présente situation, la justice américaine était au courant puisque le cinéaste était invité à un événement culturel public, elle a donc délivré un mandat d'arrêt et les autorités suisses étaient tenues de le respecter, en vertu de l'accord d'extradition passé avec les Etat-Unis. «La Suisse n'a pas tendu un piège à Roman Polanski, elle n'a fait que ce qu'elle était tenue de faire», précise Hervé Témime. Mais les explications de la justice américaine sont à ses yeux «peu crédibles»: «sachant qu'il a une maison en Suisse, les autorités américaines pouvaient savoir qu'il y était fréquemment.» Mais le bureau du procureur général déclare que les Etats-Unis n'ont appris «que la semaine dernière l'existence de cette maison». Peut-être que les recours déposés en juillet 2009 aux Etats-Unis pour qu'enfin la procédure soit annulée ont remué l'affaire et les velléités judiciaires, envisage Maître Témime. On le suivait en tous cas à la trace.»
Charlotte Pudlowski
Image de une: Roman Polanski, reuters, Ina Fassbender 29/09/2008
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