Le navigateur Web Google Chrome est désormais disponible dans une version bêta sous Mac OS X et Linux. Il s'agit dans les deux cas d'une exacte copie de ce que l’on trouve dans la version Windows, La plus grande qualité de Chrome, c'est sa rapidité. Que ce soit au démarrage ou pour charger une page, le navigateur de Google n'est talonné que par Safari 4. Firefox comme Internet Explorer sont loin derrière.
En un peu plus d'un an, Google Chrome, le navigateur web rapide et innovant conçu par la firme du moteur de recherche, a réussi à conquérir à peu près 3% des internautes. Est-ce bon ou mauvais ? Ce n'est certainement pas un énorme succès mais il faut tenir compte des obstacles auxquels Google doit faire face. A l'inverse d'Internet Explorer ou de Safari, Chrome n'est pré-installé dans aucun ordinateur. Certes, c'est le même problème que Firefox — mais Firefox qui avoisine aujourd'hui les 23% de part de marché existe depuis 2004. Vous pourrez aussi objecter que Firefox a capturé un marché facile — les gens qui en avaient marre d'IE et qui recherchaient quelque chose de mieux. Chrome ne peut pas faire la même chose; tous ceux qui ont voulu quitté IE l'ont déjà fait et les quelques gusses qui restent à convertir sont ceux qui ne connaissent rien de mieux.
Je ne dis pas que ces irréductibles ignorent l'existence d'alternatives. Le problème est plus profond: ils ne savent même pas qu'ils utilisent Internet Explorer. Ils ne savent pas qu'ils utilisent quoique ce soit en particulier — beaucoup pensent, en cliquant sur l'icône bleue, qu'ils cliquent sur «l'internet». Comme le dit Brian Rakowski, chef de produit chez Chrome: «les gens ne savent tout simplement pas ce qu'est un navigateur web».
Nous ne disposons pas de chiffres solides là-dessus, mais Rakowski ne blague pas. Demandez à vos amis néophytes ou à vos parents quel navigateur ils utilisent, il y a des chances qu'ils vous répondent, avec un air perplexe «j'utilise Yahoo! — mais ce n'est peut-être pas un navigateur?». C'est ce qu'a répondu une femme, interrogée par un représentant de Google qui arrêtait des gens sur Times Square au printemps dernier en leur posant cette simple question: «qu'est-ce qu'un navigateur?». Voyez ce qui s'est passé dans la vidéo ci-dessous.
De nombreuses personnes ont donné des réponses du style «C'est ce dans quoi je fais des recherches — par exemple, pour trouver des choses». Ou encore «un navigateur c'est quand vous savez ce que vous cherchez, et un moteur de recherche c'est lorsque vous ne savez pas quel est l'objet de votre requête». Seuls 8% des personnes interrogées, dans ce questionnaire évidemment non-scientifique, ont su répondre correctement à la question.
Comment faites-vous donc pour convaincre quelqu'un de mettre à jour son navigateur quand il ne sait même pas ce qu'est un navigateur? Vous cachez la mise à jour. Telle semble l'ingénieuse théorie derrière Chrome Frame, une extension pour Internet Explorer que Google a révélée cette semaine. Chrome Frame fait à IE ce que les épinards font à Popeye — immédiatement, il permet au navigateur de Microsoft de faire des choses incroyables.
Chrome Frame fait cela en remplaçant les entrailles d'IE. Au cœur de tout navigateur web, vous avez le «moteur de rendu» — le code qui traite et affiche les pages web. La moitié des internautes, environ, tournent sous de vieilles versions d'IE - les versions 6 et 7 - aux moteurs de rendu vétustes; ils ne peuvent pas traiter les nouveaux tags HTML requis par les applications web les plus avancées, et ils ont des moteurs JavaScript lents, ce qui rend l'utilisation de programmes complexes tels Gmail ou Google Maps fastidieuse. Chrome Frame injecte simplement le moteur de rendu de Chrome dans IE. Après l'avoir installé, votre navigateur pourra faire tout ce que Chrome fait — et cela même si vous continuez d'utiliser IE.
Aider Wave
Google promeut actuellement Chrome Frame auprès des développeurs web qui se sont longtemps sentis restreints par les limitations d'IE. Si vous voulez créer un site qui utilise beaucoup de JavaScript compliqué, demande de stocker des documents hors-ligne ou effectue d'autres choses merveilleuses, vous pouvez maintenant le faire sans vous soucier des problèmes d'incompatibilité. Quand un utilisateur d'IE arrivera, demandez-lui simplement d'installer l'extension — ce qui est bien plus simple que d'installer un nouveau navigateur. Les extensions sont pénibles, mais les gens concèdent à les installer afin de pouvoir faire des trucs cools sur Internet; à peu près tous les internautes ont une version de Flash, par exemple.
Pourquoi Google encourage-t-il ces injections de Chrome? Pour une simple raison, cela aidera la compagnie lors de la sortie de Wave, la très attendue application collaborative qui a été dévoilée au début de l'année. Parce que le but de Wave est de reproduire la réactivité de vos programmes de bureautique, comme Outlook, mais à l'intérieur de votre navigateur, elle a besoin de bien plus de puissance que celle proposée par les anciennes versions d'IE.
Sur leur blog, l'équipe Wave déclare avoir passé «des heures innombrables pour améliorer le rendu de Google Wave sur Internet Explorer». Visiblement, ils sont en train d'abandonner tout cela - quand Wave sera disponible en bêta à la fin du mois, les usagers d'IE auront le choix soit d'installer Chrome Frame soit d'utiliser Safari, Chrome ou Firefox à la place. Il est possible d'utiliser Wave sur IE sans installer Chrome Frame, mais vous serez averti de la sorte : «Si vous voulez continuer à vos propres risques et périls, cliquez ici».
Faire un meilleur web, c'est bon pour Google
Suggérer que l'utilisation d'IE comporte des risques semble certainement agressif. Mais un porte-parole de Google m'a assuré que Chrome Frame n'était pas une attaque contre Microsoft. Certes, c'est assez sournois, mais Chrome Frame ne fait rien pour tuer Internet Explorer. En effet, il aide même en quelque sorte IE — en faisant que le navigateur de Microsoft fonctionne de la même manière que Chrome, Google élimine toute raison que pourraient avoir les utilisateurs d'IE de passer à quelque chose de mieux. Si IE peut maintenant faire tout ce que Chrome fait, quel est le problème?
Pour Google, il n'y a aucun problème. Rakowski, directeur de la gestion projet, dit que l'entreprise du moteur de recherche a deux objectifs pour Chrome. Bien sûr, Google voudrait que les gens utilisent en fait leur rutilant navigateur. Mais Google ne fait pas d'argent avec Chrome; tous leurs revenus viennent du Web et leur avenir dépend de l'amélioration continue de l'Internet en tant que plateforme d'applications. C'est le second but de Chrome — faire que les développeurs d'autres navigateurs ne cessent d'améliorer leurs logiciels. Si Chrome réussit dans cette voie, Google gagnera toujours — le Web devenant plus rapide et plus stable, nous serons tous incités à utiliser de nombreux produits Google. En d'autres termes, tant que l'Internet fonctionne bien, Google s'en fiche que vous connaissiez ou non le navigateur que vous utilisez — tant que ce navigateur vous permet de cliquer sur les pubs Google.
Farhad Manjoo
Traduit par Peggy Sastre