Fort du rapprochement sur les bonus des traders et les paradis fiscaux, Nicolas Sarkozy attendait les élections allemandes pour proposer une opération spectaculaire entre Paris et Berlin. Une sorte de Traité de l'Elysée-bis à l'image de celui signé en 1963 entre le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer, traité qui a soudé l'axe franco-allemand et en a fait la pièce maîtresse de l'Union européenne depuis 45 ans. La France comme l'Allemagne ont de quoi se redonner la main. Elles peuvent ensemble tirer les conséquences de la crise du capitalisme anglo-saxon et réaffirmer avec force leur souhait d'un capitalisme rhénan, tempéré, à vocation industrielle et sociale. Est-ce possible?
Les élections sont passées. Angela Merkel (CDU) est réélue chancelière pour cinq ans mais avec un changement de partenaire: la «Grande coalition» avec la gauche sociale-démocrate, laisse place à une alliance avec le parti libéral. Le FDP est classé souvent au centre, parce qu'il a servi historiquement de parti d'appoint autant à la CDU qu'au SPD mais il est, en matière économique, plus à droite, en tout cas plus libéral, que la CDU d'Angela Merkel. Le patronat germanique ne s'y est pas trompé pour qui «l'heure des réformes a sonné».
Ce basculement de coalition, loin d'être anodin, complique la tâche de Nicolas Sarkozy. Cette élection plutôt que de favoriser le couple franco-allemand va nourrir l'aigreur parce que les deux pays sont partis dans deux directions opposées. Pour schématiser: la France a une politique de la demande que la crise a accentuée, l'Allemagne a une politique de l'offre que les élections vont renforcer.
En 2003, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder a fait prendre le tournant des réformes à son pays. La réunification avait alourdi le déficit et le coût du travail, l'industrie allemande était menacée dans son existence. L'«Agenda 2010» du chancelier social-démocrate, lançait le pays dans une série de changements dont le coût social et politique allait être fort: il explique la création d'un parti plus à gauche, Die Linke, et la déroute du SPD aux élections du dimanche 27 septembre (23% et 11,9% pour Die Linke). Mais le résultat économique de cette «politique de l'offre» a été atteint: depuis quinze ans, l'Allemagne a fait baisser son coût relatif du travail pour le ramener grosso modo au niveau français. Notre voisin est redevenu le champion mondial de l'export, le «modèle industriel» a été sauvé. En France, on sait ce qu'il en est. L'immobilisme du «ni-ni» a régné sous Jacques Chirac et la France a plongé dans le déficit commercial.
En ce qui concerne les finances publiques, les dix ans passés se concluent par une seconde divergence. La France a baissé à grand peine son déficit budgétaire, l'Allemagne a pris le chemin vers l'équilibre. L'élection de Nicolas Sarkozy a marqué une «rupture» sur le trajet français, le déficit est reparti vers le rouge vif. Paris a choisi une politique de demande, la consommation est gonflée par les dépenses publiques.
Puis, lors de la crise, le plan de relance germanique a été assez volumineux, ce qui a fait plonger les chiffres allemands. Mais au total: en 2009, la France sera à -8% de déficit (en poucent du PIB), tandis que l'Allemagne sera à - 4%. Pour la suite, notre voisin a inscrit l'obligation d'équilibre budgétaire dans sa Constitution à l'inverse de la France où l'Elysée vante la dépense publique et le grand emprunt comme des gages d'une bonne préparation de l'avenir.
On peut juger ces deux parcours comme l'on veut. On peut critiquer «l'égoïsme» allemand parce qu'un pays en excédent «vit sur les autres» et lui demander de redresser sa consommation pour aider les exportations françaises, italiennes, etc. On peut s'alarmer de l'explosion des déficits français et de la négligence du pouvoir sur cette question. Mais le divorce entre l'un, rigoureux et excédentaire, et l'autre, prolixe et déficitaire, est patent.
Les élections de dimanche avec la petite victoire de la CDU (33,8% un score faible) et surtout la poussée des Libéraux (14,6%, un record) va immanquablement pousser à la discorde dans le couple. Le LDP a fait campagne autour d'une forte et immédiate baisse des impôts (simplifier l'impôt sur le revenu avec trois tranches de 10%, 25% et 35%). La CDU voulait attendre la fin 2010. Le tempo dépendra donc des discussions pour la formation de la coalition mais la direction est claire: la politique de l'offre va se poursuivre. L'Allemagne veut abaisser encore ses coûts et ses dépenses. Si le gouvernement veut consolider la consommation, cela ne passera pas par la distribution d'aides comme en France mais par la baisse des impôts. Autre sujet de futur éloignement: l'Allemagne va relancer les réformes qui étaient paralysées par la Grande coalition: le système de santé, les retraites, le système scolaire.
En France, la politique économique est moins facile à déterminer, la ligne est moins nette entre l'Elysée qui pousse à la dépense et Matignon qui la freine. Mais le résultat ex-post est que le déficit est devenu abyssal tandis que les réformes sont sinon abandonnées, du moins mises en sourdine.
La reprise rapprochera-t-elle les deux pays? Nicolas Sarkozy se félicite de voir que la France a mieux supporté le choc de la crise, la récession n'a été ici que de - 2,75% contre -5% outre-Rhin. Il croit pouvoir conclure que la dépense publique est efficace. Qu'en sera-t-il en 2010? Selon le FMI (Fonds monétaire international), la France sera positive, l'Allemagne encore dans le rouge. Selon Goldman Sachs, l'Allemagne remonte à une croissance de 1,6% contre seulement 0,9% en France. L'issue du match se jouera l'an prochain. Mais il s'agit d'un match, un pays contre l'autre, choix contre choix, politique de l'offre contre politique de la demande, loin donc de la coordination nécessaire pour illustrer un nouveau Traité de l'Elysée.
Eric Le Boucher
Image de Une: Angela Merkel et Nicolas Sarkozy Reuters