Quelle question délicate et — oh combien! — personnelle que celle posée ces jours-ci par une femme au monde médical et à la justice: peut-elle obtenir la restitution des gamètes congelées de son mari décédé pour «tenter» d'avoir post mortem un enfant de lui?
Notre droit positif interdisant l'insémination post mortem, c'est de ce fait la mise en possession du sperme congelé de son défunt conjoint que Fabienne Justel sollicite du Centre d'Etudes et de Conservation des Œufs et du Sperme de Rennes. L'objectif sera ensuite de se rendre chez nos voisins européens — en l'occurrence l'Espagne — afin d'y subir en toute impunité et légalité une technique d'assistance médicale à la procréation. Le Centre médical ayant opposé son refus, c'est tout naturellement que la demanderesse vient de saisir, en référé (procédure d'urgence) le tribunal de grande instance de Rennes, auquel il appartient maintenant de trancher, l'affaire étant mise en délibéré.
Dans cette espèce, évidemment, le Parquet, qui représente la société et veille au respect de l'intérêt général et de l'ordre public, rappelle le contenu des textes: le Code de la santé publique dispose alors incontestablement à ce jour dans ses articles L. 2141-1 et suivants que «l'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d'un couple», que «l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants» et que «font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons le décès de l'un d'entre eux... »
Mais, à l'aube du réexamen des lois dites de bioéthique de 1994 et 2004 l'an prochain, et après la clôture des Etats généraux qui y ont été consacrés jusqu'au 23 juin dernier — sans oublier un environnement européen somme toute assez libéral, cette requête mérite d'être entendue par nos pouvoirs publics: le législateur français devra inévitablement examiner le sort de l'insémination post mortem tout comme d'ailleurs celui du transfert d'embryon post mortem. Mais, plus en amont de cette question, il s'agit également de préciser les «droits» ou prérogatives des patients sur leurs gamètes ou sur leurs embryons.
Le débat peut manifestement se déplacer, comme c'est indubitablement le cas dans cette procédure: puisque la procréation médicalement assistée est aujourd'hui réservée aux sujets vivants, autant tenter de se voir restituer les produits humains. Ce ne sont sûrement pas des choses comme les autres — car ils sont porteurs d'un espoir de vie — mais peut-être pas non plus des objets dont les médecins auraient la possibilité de déterminer le sort et la destinée librement... Dans la mesure où l'un des deux membres du couple porteur du projet de parentalité est encore en vie, sans doute doit-il pouvoir être à même de manifester sa volonté...
Dans le même ordre d'idées, Il est également nécessaire de souligner l'expression d'un consentement exprès et éclairé au moment du dépôt du sperme, comme à l'instant de la congélation de celui-ci en vue justement de ce projet de conception... Ce consentement - dénué de tout vice - existait réellement et avait certainement été donné en prévision de l'évolution de cette terrible maladie du donneur. Or le juge qui examine la portée et la validité d'un consentement ne se place-t-il justement pas habituellement au moment où celui-ci a été exprimé? C'est effectivement lors de la rencontre de l'offre et de la demande que le consentement ne doit pas être vicié par une erreur, un dol ou un phénomène de violence.
Par conséquent, même si les tentatives de fécondation in vitro s'adressent aux couples et qu'il ne faut pas favoriser la construction de familles monoparentales avec la bénédiction de la science et des pouvoirs publics (diront certains), même si par ailleurs on pourrait objecter que l'adoption d'un enfant par une personne célibataire aboutit à une situation similaire (mais c'est un autre débat), écoutons cette bataille de la vie contre la mort et n'oublions pas que ce ne sera — finalement et peut-être malheureusement — qu'une «tentative» de fécondation... Faut-il alors encourager le «tourisme procréatif» ou admettre que le droit doit pouvoir tolérer, pour des raisons humaines et à titre exceptionnel, des situations hors la loi?
Rendez-vous est fixé au 15 octobre prochain, mais espérons que cette jeune veuve trouvera une écoute dans son malheur et que les juristes ne seront pas insensibles à son combat. Peut-être cette réflexion pourrait-elle d'ailleurs continuer de trouver écho dans l'interdisciplinarité, pas seulement auprès des professionnels du droit, mais aussi des philosophes, des sociologues, des psychologues et même des associations de représentants de patients... de là à ce qu'ils décident de confier aux notaires la rédaction de cette donation particulière!
Caroline Chabault-Marx
Image de une: une séquence d'une micro-injection de spermatozoïdes / fertilitycenter-crete.gr