Culture

Scrubs: la meilleure série médicale pour médecins

Temps de lecture : 8 min

Déjantée, parfois ridicule, «Scrubs» est pourtant la série qui représente le mieux le métier de médecin.

Les médecins de Scrubs © NBC
Les médecins de Scrubs © NBC

Le risque des séries télé axées sur un métier de la vie réelle, c'est d'en donner une fausse image. Je travaille pour un journal, et j'ai le poil qui se hérisse dès que je vois des journalistes dans des films ou
des séries. Ils apparaissent toujours intéressés et vénaux! C'est insupportable.

J'ai interviewé un professeur de criminologie pour savoir ce qu'il en était des séries criminelles. Il a déploré à quel point les personnages de la série Les Experts débitent des banalités devant une scène de crime. Il m'a expliqué que les vrais experts en médecine légale ne s'écrient pas «Hé, regarde ça! Ça ressemble à du sang! On ferait bien de le faire analyser au labo!».Mais quand vous parlez aux médecins, ils sont en général fans d'une série en particulier dont ils pensent qu'elle décrit assez bien le processus de formation et qu'elle traduit l'esprit de la profession et la dynamique d'un hôpital avec une justesse remarquable.

Non, je ne parle pas de Dr House, qui raconte l'histoire d'un médecin misanthrope. Ni de Grey's Anatomy, une histoire d'amour torride plantée dans un contexte médical. Ni même d'Urgences (récemment terminée d'ailleurs), une série télévisée pionnière en matière de gore réaliste. Je parle de Scrubs.

Après sept saisons diffusées sur NBC et huit sur ABC, il se peut que le dernier épisode de la série soit passé. Si jamais elle revenait à l'automne prochain — son créateur, Bill Lawrence, m'a confié qu'il y avait une chance sur deux que ce soit le cas, la série prendrait une autre tournure. On y reverrait des personnages connus, mais à d'autres moments de leur vie et de leur carrière. Scrubs suit le travail des médecins «J.D.» Dorian (Zach Braff), Christopher Turk (Donald Faison) et Elliot Reed (Sarah Chalke), qui ont débuté leur carrière en 2001 comme internes au sein de l'hôpital fictif du Sacré-Cœur.

Pour les non-initiés, la sitcom d'une demi-heure ne peut guère ressembler à un modèle d'exactitude factuelle. Son approche n'est ni réaliste, ni un tant soit peu proche de la vérité. En fait, cette série se veut un sketch sous forme de film, débordant de scènes loufoques, de blagues scatologiques et sexuelles et de danses énergiques. A tout moment, un médecin de l'hôpital peut imaginer que des patients souffrants dansent dans leur chambre ou qu'un avocat véreux débarque, l'air dédaigneux, dans la salle d'attente et distribue ses cartes de visite tel un croupier de black-jack. Quant à J.D., il a l'habitude de prendre des décisions médicales importantes tout en tapotant Justin, sa licorne en peluche «aux questions existentielles».

Ce n'est pas tout à fait comme dans les hôpitaux où vous êtes allés, n'est-ce pas? Mais si vous regardez au-delà de l'aspect humoristique, vous trouverez une série assez proche de la vraie vie des médecins. Et, contrairement aux séries médicales qui jouent toujours sur le côté mélodramatique, les épisodes de cette série n'ont pas besoin de s'achever sur une opération cruciale ou un diagnostique qui fait l'effet d'une bombe. Urgences, par exemple, montrait les exploits des médecins pour sauver des vies, et chaque épisode était ponctué d'événements tragiques. Scrubs prend le contre-pied de cette approche en montrant ce qui se passe dans les hôpitaux entre les situations de crises, la façon dont les médecins et les infirmières gèrent des cas ordinaires. Et les vrais médecins trouvent qu'en matière d'internat, cette série les ramène à des moments qu'ils ont effectivement vécus. A chaque épisode quasiment, J.D. dit des choses en voix off. Il fait notamment des plaisanteries et des transitions entre les scènes. On entend aussi ce qu'il se dit tout bas et ses sentiments d'insécurité. Les médecins retrouvent dans les monologues intérieurs de J.D. le cheminement intellectuel d'un jeune médecin sur son lieu de travail.

«Il dit exactement ce qu'un interne ressent pendant son travail ou en dehors. "Est-ce que je fais mal au patient? Est-ce que j'apprends ce qu'il faut? Est-ce que j'en fais trop par rapport au médecin traitant?"», explique Jonathan Samuels, rhumatologue à l'hôpital NYU spécialisé dans les maladies articulaires. «J'ai toujours trouvé que Scrubs était dans le vrai.»

Si en regardant la série, un médecin a l'impression de revivre son expérience, c'est probablement parce qu'elle reflète bien la réalité du milieu médical. Son créateur, Bill Lawrence (à qui on doit également les séries Spin City , Clone High et Cougar Town, qui sortira bientôt) a imaginé Scrubs à partir d'histoires que lui avaient racontées son ami d'université, Jonathan Doris, aujourd'hui cardiologue à Los Angeles et conseiller médical de la série. Bill Lawrence a trouvé beaucoup d'humour dans les expériences de son ami médecin, ainsi qu'une certaine vérité au sujet de la nature humaine qu'on voit rarement dans les séries hospitalières. «A la télé, on aime que les médecins soient héroïques et dramatiques. Qu'ils soient dynamiques, qu'ils sachent se dépasser et qu'ils donnent des ordres en abusant du mot immédiatement», analyse Bill Lawrence. Mais «quand votre pote de fac était un gars marrant qui sortait tout le temps des blagues, sa personnalité ne change pas du moment où devient médecin».

Certains épisodes de l'internat de Jonathan Doris ont été directement adaptés dans Scrubs, indique le Dr Paul Pirraglia, interniste à Providence (Rhode Island), qui était aux côtés de Jonathan Doris à l'internat de l'Université de Brown. Dans l'épisode pilote, J.D. réalise une opération appelée la paracentèse, qui consiste à évacuer un liquide contenu dans le ventre distendu d'un patient. Il se retourne un instant, puis regarde derrière lui avant de découvrir un geyser jaillissant vers le plafond. Cela s'est passé exactement comme ça pour l'un de nos camarades à l'université. Bill Lawrence explique que Jonathan Doris, tout comme le personnage de J.D., s'était lui aussi caché dans un placard au début de son internat pour ne pas être le premier médecin sur place quand un patient avait besoin d'une réanimation d'urgence.

En fait, poursuit le créateur de la série, presque tous les scénarios sont nés d'une situation réelle, avec évidemment certaines adaptations inhérentes à la télé et aux contraintes d'une sitcom d'une demi-heure. Chaque année, Bill Lawrence demande à ses scénaristes d'interviewer cinq médecins et de lui présenter des nouvelles idées d'intrigue. Souvent, les médecins livrent d'eux-mêmes des anecdotes comiques. Beaucoup concernent des objets que les patients réussissent à introduire dans leurs fesses (une idée que Bill Lawrence et son équipe n'ont exploitée qu'une seule fois. Dans Scrubs, il s'agissait d'une ampoule électrique!).

Mais Paul Pirraglia et d'autres médecins disent que ce qui fait que Scrubs parle aux professionnels de santé, ce n'est pas tant les scénarios en particulier que les sujets plus larges qu'elle aborde. La série fait ressortir les tensions qui existent entre les internes et les chirurgiens expérimentés. Elle exprime bien l'attrait d'avoir un cabinet médical privé: dans la saison 6, Elliot prend cette voie et profite des
joies d'un salaire qui a largement augmenté. La sitcom explore les risques et les avantages des liaisons intra-hospitalières à travers la relation intermittente entre Elliot et J.D (en ce moment, ça marche
plutôt bien entre eux). Elle dramatise le problème que rencontrent les hôpitaux pour trouver de l'argent (le Dr Kelso, médecin en chef à l'hôpital du Sacré-Cœur, a plus d'une fois refusé des soins à un patient
n'ayant pas d'assurance maladie). En outre, elle tourne en dérision la façon dont les jeunes internes tentent de décrocher une mission en or: dans un des épisodes, les internes se lancent dans une course, un peu comme dans une course de taureau, pour avoir le droit de soigner un membre de la direction de l'hôpital. Ils se marchent littéralement dessus, sans épargner plusieurs patients au passage.

Même ces séquences déjantées peuvent être considérées comme un ingrédient de la vraisemblance de Scrubs, qui suggère une sorte de tactique de survie, une manière de supporter le rythme de vie épuisant de la garde de 36 heures. La série saisit les épreuves que subissent les médecins, affamés et fatigués après de longues heures de travail, explique le Dr. Svetlana Krasnokutsky, la fiancée de Jonathan Samuels, elle aussi rhumatologue à l'hôpital NYU. (Les histoires d'amour à l'hôpital existent dans la vraie vie; comme quoi il y a encore de l'espoir pour J.D. et Elliot.) Elle se rappelle que dans un des épisodes de Scrubs, un médecin se sert dans le plateau repas d'un patient dans le coma. Svetlana Krasnokutsky assure qu'elle n'est jamais allée jusque-là, mais avoue qu'elle y a tout de même déjà pensé.

Cette rhumatologue dit également s'identifier à la réflexion et aux doutes constants de J.D. Dans l'épisode pilote, J.D. l'admet: «je sais que je ne sais rien». Du reste, la série insiste en permanence sur cet aspect d'incertitude. Les jeunes médecins ont souvent l'impression de tout ignorer, analyse Paul Pirraglia. En même temps, ils sont tout à coup investis d'énormes responsabilités, qui impliquent de donner des ordres aux infirmières pourtant bien plus expérimentées. Ils doivent prendre des décisions vite, sachant que c'est une question de vie ou de mort.

«Etre interne des hôpitaux, c'est être dans la position inconfortable du médecin officiel - car c'est ce que vous êtes - qui sait pertinemment qu'il lui reste beaucoup à apprendre», souligne Paul Pirraglia. «On vous donne cette autorité que vous croyez ne pas mériter. D'un seul coup, vous êtes le médecin, et c'est vous que les gens écoutent.»

«Ce qui vous aide - et on le voit dans Scrubs, raconte le médecin, c'est le soutien de vos collègues.» Pendant sa période d'internat, Paul Pirraglia a été confronté à une situation décisive: on l'a appelé pour
soigner un patient souffrant d'une grave hémorragie digestive. Son sang se répandait sur la table. Il fallait agir vite. Quelques secondes plus tard, ses collègues étaient présents dans la chambre du patient, prêts à aider alors qu'on ne leur avait rien demandé. De la même façon, même quand ils sont contraints par la politique de l'hôpital ou qu'ils se sont disputés, Elliot et J.D sont là l'un pour l'autre et se soutiennent mutuellement. Dans l'épisode «Mes conflits» de la saison 4, ils n'ont de cesse de s'envoyer des piques après avoir tous deux été nommés internes en chef. Mais quand un patient fait une crise cardiaque, ils travaillent main dans la main sans se poser de question. J.D. se dit tout bas: «Ce qu'il y a de génial dans cet hôpital, c'est que quand quelqu'un est dans une situation critique, la moindre mesquinerie disparaît».

Malgré les immenses efforts du personnel médical, il arrive que les patients de Scrubs meurent, et parfois parce que les médecins ont commis une erreur fatale. La série n'est pas construite autour de ces exploits mélodramatiques qui consistent à sortir les patients d'une situation quasi irrémédiable. D'ailleurs, beaucoup d'épisodes, aussi farfelus soient-ils, finissent sur une note de nostalgie ou de pure tristesse. Dans l'épisode intitulé «Mon meilleur souvenir» de la saison 4, le mordant Dr Cox avertit sèchement J.D: «Ne promet jamais à un patient qu'il s'en sortira. Dieu déteste les médecins. C'est vrai. (...)»

En l'occurrence, l'épisode se termine bien (il faut dire qu'il se déroulait à Noël). Impitoyable comme toujours, Scrubs confère aussi un caractère franchement sentimental à la médecine. C'est peut-être cet
aspect aussi qui plaît aux médecins et qui pousse les responsables des facultés de médecine à demander à Bill Lawrence de prononcer un discours lors des cérémonies de remise des diplômes. Si J.D et ses confrères sont tour à tour fanfarons, puis envahis d'un terrible manque d'assurance,
c'est parce qu'ils sont avant tout humains et bien intentionnés. Même le Dr Kelso, censé être un personnage sans cœur et proche de ses sous, s'est finalement révélé une bonne pâte. Alors, peut-être que dieu déteste les médecins, mais en tout cas Scrubs les adore, et c'est réciproque.

Joanna Weiss

Article traduit de l'anglais par Micha Cziffra

Image de Une: l'équipe de Scrubs. Allociné.

Scrubs est actuellement diffusé tous les vendredis sur M6.

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