Monde

A Prague, Benoît XVI prêche dans un désert religieux

Temps de lecture : 4 min

La fin du régime communiste n'a pas redonné aux Tchèques l'appétit du religieux. Le taux de pratique est le plus faible d'Europe.

Benoît XVI a choisi Prague pour célébrer les vingt ans de la chute du mur de Berlin et le rétablissement de la démocratie à l'Est. Sa visite du 26 au 28 septembre, en République tchèque, se fait dans un pays marqué par une longue tradition d'anticléricalisme et d'athéisme, où le taux de pratique religieuse (5%) est le plus faible d'Europe. Le pape qui, à l'invitation du président Vaclav Klaus, visite Prague, Brno et le sanctuaire marial de Stara Boleslav, a une parole qui dépasse la singularité tchèque. « La République tchèque se trouve historiquement et géographiquement au cœur de l'Europe, a t-il dit avant son départ. Après avoir traversé tous les drames du siècle passé, elle a besoin, comme tout le continent, de retrouver des raisons de croire et d'espérer ».

En avril 1990, l'ex-président Vaclav Havel avait déjà invité Jean Paul II à Prague. L'ancien dissident, issu de la puissante tradition laïque de Bohême, avait tenu à ce que le pape polonais vienne donner une dimension spirituelle à la «Révolution de velours» qui rompait avec l'un des régimes communistes les plus durs. A elle seule, la rencontre entre Jean Paul II et Vaclav Havel avait symbolisé l'achèvement victorieux de la lutte contre l'empire totalitaire. Havel avait payé de sa personne pour que cette première visite fût un succès et le pape avait reçu le meilleur accueil de la population praguoise. Ce n'était pas une mince affaire dans un pays où, depuis le supplice du réformateur Jean Hus en 1415 - qui dénonçait la corruption de l'Eglise, fut accusé d'hérésie et brûlé vif - le sentiment anti-romain est fortement ancré et où la persécution antireligieuse fut l'une des pires à l'Est: mise sous contrôle des prêtres et des fidèles, déportation de 13.000 religieux, confiscation des biens d'Eglise, interdiction de toute assocation catholique.

Il reste des traces de ce double héritage puisqu'en République tchèque, on évalue à plus de 60% le nombre de personnes qui se déclarent sans confession en 2009. Sur le plan religieux, la Tchéquie et la Slovaquie ont connu des évolutions très différentes depuis leur «divorce de velours», le 1er janvier 1993.

Le mouvement de sécularisation s'est accru en République tchèque, tandis que près de 70% de la population slovaque est catholique. On compte à peine 3 millions de catholiques tchèques pour une population totale de 10 millions d'habitants, soit moins d'un tiers. Les ordinations de prêtres sont, chaque année, de moins en moins nombreuses. Le souvenir de la période communiste continue de peser: après plus de quarante années de trou noir dans l'exercice des libertés religieuses, l'Eglise avait appelé à la résistance, tardivement approuvée par une hiérarchie longtemps timide, puis convertie par l'exemple de Jean Paul II et de la Pologne. Elle avait participé sans complexe, à côté des intellectuels laïques de la Charte 77 comme Havel, à la chute du régime.

L'effondrement du communisme en 1989, la chute du régime soviétique en 1991, l'élargissement de l'Union européenne à l'Est en 2005 ont inauguré une ère de paix et de liberté religieuse sans précédent en Europe centrale. Mais ils n'ont pas fait place à l'Europe néo-chrétienne rêvée par le pape Jean Paul II et par les milieux catholiques les plus conservateurs. La sécularisation de type occidental a été contagieuse à l'Est, favorisée par les aspirations nouvelles de sociétés aux frontières et aux économies enfin ouvertes. Un néo-cléricalisme a tenté de se manifester, mais il a suscité beaucoup de résistances lors de polémiques sur la libéralisation de l'avortement, la restitution de leurs biens d'autrefois aux Eglises - le problème reste entier en République tchèque - , l'introduction de cours de religion à l'école ou la signature de concordats avec le Vatican.

Hormis le cas de la Pologne, de la Slovaquie, de la Croatie où le sentiment national reste identifié au catholicisme, puis le cas de la Roumanie et de la Bulgarie où la foi orthodoxe reste majoritaire, la «sortie» du communisme a plutôt joué contre des Eglises déjà appauvries par des décennies de censures et de privations. Elles peinent à refaire leurs forces et portent encore les stigmates de la clandestinité: clergé pauvre, âgé et peu formé, fidèles rares et disséminés, ayant perdu leurs repères dans des sociétés qui s'enrichissent, se modernisent, se libéralisent à toute vitesse, avant de se contraindre, de nouveau, en raison de la crise mondiale. Les pratiques religieuses ont disparu ou manquent de régularité ou se dispersent dans des formes de réveil évangélique ou dans des sectes nombreuses. Aux certitudes assénées par le modèle communiste d'hier, a succédé un univers fluide de représentations et de croyances flous.

Ce voyage du pape allemand, vingt ans après la chute du mur, sera l'occasion d'un bilan. L'Europe demeure sensible à ces cicatrices anciennes. L'Eglise rencontre aujourd'hui à Prague les mêmes obstacles qu'à Varsovie et à Budapest, mais aussi qu'à Paris et à Madrid. Benoît XVI rappellera donc les sources les plus anciennes et les plus populaires du christianisme en Europe centrale, mais nul doute qu'il portera plus loin son regard. Il s'alarmera à nouveau du vieillissement spirituel de l'Europe, de son renoncement à sa mémoire chrétienne. Il dira que la relation à l'histoire ne doit pas être synonyme d'enfermement dans le passé.

Le présent en Europe centrale est traversé par les grandes mutations économiques, l'ouverture des marchés, la crise mondiale. Dans l'un des pays européens les plus touchés par cette crise, Benoît XVI redira les limites des modèles libéral et matérialiste qu'il avait exposées début juillet dans son encyclique sociale. Il s'adressera à toute l'Europe, a t-il dit avant de partir, afin qu'«elle ne se réduise pas aux seuls aspects matériels et économiques, mais porte en elle la richesse de valeurs partagées pour garantir la dignité de la personne humaine».

Henri Tincq

Image de Une: le Pape célèbre une messe en République tchèque  Laszlo Balogh / Reuters

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