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Déségrégation scolaire: la France a des leçons à prendre des États-Unis

Temps de lecture : 7 min

Il est possible d’encourager la mixité scolaire sans faire fuir les familles des classes moyennes. Les États-Unis l’ont prouvé localement.

Elizabeth Moguel et sa classe de 5ème à la Boston Latin School, la plus vieille école publique des États-Unis, le 17 septembre 2015 | REUTERS/Brian Snyder
Elizabeth Moguel et sa classe de 5ème à la Boston Latin School, la plus vieille école publique des États-Unis, le 17 septembre 2015 | REUTERS/Brian Snyder

Mardi 10 novembre, la ministre de l’Éducation présentait un plan pour contrer la ségrégation scolaire: à la rentrée 2016, dix-sept départements, dont la Seine-Saint-Denis et l’Hérault, vont expérimenter une modification de la carte scolaire pour augmenter la mixité sociale au niveau du collège.

Un comité de chercheurs a été consulté par le ministère pour définir quelles stratégies d’affectation des élèves pourraient être mises en place afin que certains collèges ne concentrent pas tous les jeunes issus de milieux modestes. Plusieurs possibilités de réforme ont été envisagées: notamment des tirages au sort, ou encore une refonte de la carte scolaire suivant les lignes de transport en commun, pour faire en sorte que des élèves de quartiers divers puissent facilement se rendre au même établissement.

«L’objectif d’une refonte de la carte scolaire est de faire vivre ensemble des élèves venant de quartiers différents, explique l’économiste Arnaud Riegert, qui fait parti du comité. Au lieu d’avoir un secteur pour un collège, on pourrait par exemple faire des secteurs avec deux, trois collèges. À partir de son adresse, on ne connaîtrait donc pas son collège de manière certaine, mais il y aurait aussi d’autres paramètres, et pourquoi pas une part de tirage au sort.»

Avec Son Thierry Ly, Riegert est un des co-auteurs d’une étude de juin 2015 qui mesurait pour la première fois au niveau national la ségrégation scolaire sur le territoire francais. On y apprend notamment que les établissements accueillent un public soit très favorisé, soit très défavorisé. Par exemple, en 3ème, 5% des élèves vont dans un collège où il y a plus de 60% d’élèves CSP+ dans leur niveau et 5% des élèves dans des établissements avec 71% d’élèves issus des milieux les plus populaires (ouvriers, chômeurs, inactifs).

Aux États-Unis, où la ségrégation socio-économique est encore plus marquée, et presque toujours calquée sur la ségrégation raciale, environ quatre-vingt-dix districts scolaires ont mis en place des initiatives de déségrégation au niveau socio-économique. Avant une décision de la Cour Suprême de 2007, les efforts de mixité étaient plutôt fondés sur la déségrégation raciale mais la Cour a indiqué qu’il était désormais préférable de viser la diversité socio-économique.

L’effet cumulatif des décisions parentales, notamment en matière de choix du logement en fonction de l’école, a créé des concentrations de familles blanches aisées. Ils voient une bonne école, et ils y vont tous

David Tipson, de New York Appleseed, organisation qui met en place des initiatives de mixité scolaire

Même si les situations sont très différentes par rapport à la France, les exemples américains réussis montrent de quelle façon il est possible, au niveau local, d’encourager la mixité sans faire fuir les familles des classes moyennes.

Carte scolaire et loterie

Comme en France, la gentrification de certains quartiers américains n’a pas mené à plus de mixité scolaire, notamment à cause de plusieurs stratégies parentales d’évitement. Ces dix dernières années à Park Slope, un quartier de Brooklyn, de nombreuses écoles publiques locales ont connu des changements démographiques radicaux: les écoles sont passées d’une population d’élèves à forte majorité noire et pauvre à une grande majorité blanche et de milieu aisé.

«L’effet cumulatif des décisions parentales, notamment en matière de choix du logement en fonction de l’école, a créé des concentrations de familles blanches aisées. Ils voient une bonne école, et ils y vont tous», explique David Tipson, qui travaille pour New York Appleseed, une organisation qui aide à mettre en place des initiatives de mixité scolaire.

Tipson cite l’exemple de deux écoles publiques de ce quartier de Park Slope: elles ne sont qu’à 500 mètres l’une de l’autre, mais l’une comprend 10% d’élèves boursiers, et l’autre 55%.

Afin de profiter de la gentrification pour créer de la mixité à l’école, l’organisation de Tipson a travaillé avec le district scolaire pour mettre en place un système de loterie dans une école primaire locale (PS133). Les affectations ne sont pas directement calquées sur la carte scolaire et un minimum de 35% des places sont réservées à des élèves pauvres (définis dans le contexte américain par leur éligibilité à obtenir des repas gratuits) ou d’origine immigrée. L’initiative est en place depuis la rentrée 2013 et, dans les classes de maternelle, Tipson explique que les élèves sont environ un tiers blancs, un tiers latino et un tiers noirs. Même si l’idée est techniquement d’encourager la mixité socio-économique, les efforts de déségrégation demeurent bien souvent définis en termes ethniques aux États-Unis. L’expérience a l’air de plutôt bien fonctionner et d’autres écoles de Brooklyn envisagent de mettre en place des initiatives similaires.

Échec des transferts forcés

Mais à quelques kilomètres de là, dans le quartier de Dumbo, un autre projet de mixité se heurte à de fortes résistances. L’école primaire PS8, dans laquelle 15% des élèves sont boursiers, a de très bons résultats, mais est surpeuplée. Le district a donc proposé de transférer une partie des élèves vers une école voisine, où 90% des élèves sont pauvres, noirs et vivent dans des HLM. Pour l’instant, selon un article du New York Times, de nombreux parents sont fermement opposés à une telle initiative.

Richard Kahlenberg, qui est spécialiste de la mixité scolaire au think tank The Century Foundation, explique que ces transferts démographiques marchent lorsque les écoles réussissent à attirer les parents de leur plein gré. En général, pour que les parents des classes moyennes acceptent avec enthousiasme, il faut environ 50% d’élèves issus des classes moyennes et supérieures.

Dans l’histoire des États-Unis, la déségrégation forcée –notamment les politiques de busing, dans lesquelles des enfants de quartiers noirs vont dans les quartiers blancs et vice versa– a parfois été un désastre. Le cas de Boston, qui a commencé le busing en 1974, est emblématique à cet égard. Des familles blanches ont protesté contre l’initiative et il y a eu des émeutes violentes. Assez vite, les foyers blancs qui en avaient les moyens sont partis en banlieue pour éviter la mixité. En quatorze ans, le nombre d’élèves dans les écoles publiques de la ville est passé de 93.000 à 57.000. En 1988, il n’y avait plus que 28% d’élèves blancs, contre 65% en 1974, au début des efforts de déségrégation.

Préférence parentale rééquilibrée

Afin d’éviter ce type d’échec, d’autres initiatives ont été mises en place à partir des années 1980. Cambridge, une ville juste à côté de Boston, a introduit une initiative de déségrégation sans busing forcé, une tactique baptisée «choix contrôlé» (controlled choice), qui est toujours en place actuellement. La carte scolaire y est abolie et, à la place, les affectations se font via une combinaison entre choix des parents et rééquilibrage socio-économique.

Les parents visitent les écoles du district puis sélectionnent leurs établissements préférés. Un logiciel prend en compte ce choix mais aussi les objectifs de diversité socio-économique. À partir de ces deux variables, les affectations sont ensuite déterminées.

Nous voulions trouver une façon pacifique de créer de la mixité. Là où nous l’avons appliquée, la politique de choix contrôlé permet d’éviter les conflits

Michael Alves, administrateur qui a créé le système du «choix contrôlé» à Cambridge en 1981

«La stratégie du choix contrôlé a été créée en réponse à ce qui s’est passé à Boston, où il y a eu beaucoup d’hostilité contre la déségrégation. Nous voulions trouver une façon pacifique de créer de la mixité. Là où nous l’avons appliquée, la politique de choix contrôlé permet d’éviter les conflits», explique Michael Alves, l’administrateur qui a créé ce système à Cambridge en 1981.

Des dizaines d’autres villes ont ensuite adopté ce type de répartition des élèves avec succès, notamment Montclair dans le New Jersey, Champaign dans l’Illinois, Raleigh en Caroline du Nord ou encore Hartford dans le Connecticut.

Écoles aimants

«Les meilleures initiatives sont fondées sur des recherches faites au sein de la communauté. Il s’agit de demander aux parents ce qui les attireraient dans une nouvelle école, explique Richard Kahlenberg. Par exemple à Cambridge, dans une école primaire qui n’était pas populaire et avait une forte concentration d’élèves pauvres, le district a inauguré une école de style Montessori, et cela a attiré des familles de classes moyennes et supérieures.»

Ces écoles à thèmes sont qualifiés d’établissements «aimants» («magnet»), avec des thèmes susceptibles d’attirer des familles aisées: non seulement Montessori, mais aussi des programmes bilingues ou des spécialisations en maths et sciences. Au-delà des thèmes, ce qui rassure les familles des classes moyennes est aussi le fait de savoir que d’autres familles comme eux vont mettre leurs enfants dans cette école.

Michael Alves explique qu’en trois à cinq ans ces écoles aimants peuvent complètement se transformer. Lorsque le programme a commencé à Cambridge en 1981, 35% des familles envoyaient leurs enfants en école privée. Environ cinq ans après, le taux était tombé à 10%. La déségrégation n’a donc pas fait fuir les familles aisées et, dans la presse, un des administrateurs du district citait cette statistique: à Cambridge, 90% des garçons noirs finissent le lycée, contre 60% en moyenne aux États-Unis.

Succès académique

L’impact de ces situations de mixité sur les bons élèves des classes moyennes est difficile à mesurer, précise Arnaud Riegert, mais plusieurs recherches suggèrent des effets positifs. Par exemple, en analysant des données du test Pisa, des chercheurs ont conclu que le succès académique de la Finlande et du Canada étaient en partie lié au fait qu’il s’agissait de pays où la ségrégation socio-économique était beaucoup plus faible que la moyenne.

Jusqu’ici aux États-Unis, les initiatives de déségrégation se font au niveau local et, comme en France, le gouvernement avait plutôt tendance à se concentrer sur une politique de compensation, une orientation critiquée par un chercheur comme Richard Kahlenberg:

«Cela fait des années que nous essayons d’améliorer les écoles à forte concentration de pauvreté. Il y a très peu de réussites. Plutôt que d’essayer de faire quelque chose qui ne marche presque jamais, les districts disent: si nous avons plus de mixité socio-économique, nous pouvons mieux enseigner.»

C’est également ce genre de politique que veut maintenant expérimenter le ministère de l’Éducation français, d’autant plus que l’objectif de mixité sociale a été inscrit dans le texte de la loi sur la refondation de l’école de 2013.

Aux États-Unis aussi, les défenseurs de cette approche espèrent que le nouveau ministre de l’Éducation John King, qui a été nommé en octobre et qui a encouragé ce type d’initiatives par le passé, en profitera pour débloquer des fonds et financer d’autres programmes contre la ségrégation, plutôt que d’essayer de faire marcher des établissements sans mixité.

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