Culture / Life

Jeux vidéo: comment jouer en respectant la Convention de Genève

Temps de lecture : 7 min

Capture d'écran d'une des scènes de «Call of Duty 5». DR
Capture d'écran d'une des scènes de «Call of Duty 5». DR

Edit du 13/03: Le Parlement européen a adopté jeudi à la quasi unanimité un rapport appelant les Etats membres à mieux contrôler la vente et l’utilisation des jeux vidéos violents. Le rapport souhaite une plus grande prévention, notamment sur les jeux téléchargés et «des règles harmonisées pour l'étiquetage des jeux vidéo». Il envisage la possibilité de mettre en place un « bouton rouge qui désactiverait un jeu donné ou contrôlerait l'accès à un jeu à certaines heures ou pour certaines parties du jeu ».
Ce bouton rouge serait extrêmement utilisé avec un jeu comme Call of Duty 5, interdit au moins de 18 ans.
Le rapport considère également que «les jeux vidéo constituent un important stimulant qui, outre son caractère récréatif, peut également être utilisé dans un but éducatif. Les écoles devraient se pencher sur les jeux vidéo et informer les enfants ainsi que leurs parents sur les effets positifs et négatifs que ces jeux peuvent avoir (…) Ils contribuent au développement des connaissances et de diverses compétences qui sont primordiales au XXIe siècle.»

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Jouer aux jeux vidéo violents, à la limite. Mais en respectant la convention de Genève! C’est ce qu’un père a demandé à son fils dépendant du jeu de guerre «Call of Duty». Et de lui faire lire ladite convention pour que cela rentre bien dans son crâne. Ma première réaction fut de me dire «Encore un de ces parents coincés qui n'ont rien compris aux jeux vidéos». Michael Stora, psychologue spécialiste des jeux vidéos, a confirmé mon intuition: «A première vue, ce père n'a pas compris les principes des jeux vidéos. Comme le jeu en général, ce sont des aires de transgression où l’on joue avec les lois et ses pulsions agressives. C’est un excellent espace de récréation, même pour l’adulte.»

Mais au moins ce père-là a reconnu la possibilité du jeu. Michael Stora finit par admettre que «d’un point de vue positif, encore à la préadolescence, le regard et la parole des parents restent la première des vérités. Les lois symboliques que l’on a en nous qui sont de ne pas tuer et de ne pas violer sont intégrées avant tout par leur discours.»

Peut-être ne comprend-on pas assez l’ampleur des dégâts des années Bush, de la banalisation de la torture, de la guerre, de Jack Bauer, Guantanamo… Alors, comme il est impossible d’empêcher les jeunes de jouer à des jeux vidéos guerriers, que la moyenne d’âge d’un soldat américain en activité est de 21 ans et que l’armée américaine est la seule au monde à avoir développé son propre jeu vidéo, America’s Army, pour faire sa pub, peut-être n'est-il pas si bête de montrer que, même dans le virtuel, il pourait y avoir une éthique.

J’ai choisi un certain nombre de jeux emblématiques de guerre ou de stratégie plus ou moins récents, imprimé la Convention de Genève de 1949 et ses Protocoles additionnels et j’ai décidé d’expliquer à mon petit frère, à cet adolescent inconnu de 13 ans et son père, quels jeux étaient «convention friendly». Et lesquels ne l'étaient pas.

«Call of Duty» et «Gears of War»

Deux séries à succès de ces dernières années. Dans le premier, vous incarnez un membre des SAS britanniques (dans CoD 4) ou des soldats américains ou russes (dans CoD 5). Dans le second, vous êtes un guerrier surpuissant qui affronte une espèce menaçante venue des profondeurs de la planète Sera (Gears of War). La Convention de Genève ne parle pas d’êtres humains mais «d’Etats», «de forces armées», de «Hautes Parties» ou de «Puissances»… Les extraterrestres ou autres adversaires bizarres doivent donc être traités avec respect.

Avec Call of Duty 5, il n’est tout simplement pas possible de respecter l’injonction du père. La Convention de Genève, qui n’interdit pas la guerre ni de tuer, cherche juste à instaurer de l’humanité notamment dans le traitement des blessés, des morts, des prisonniers et des civils. Problème… Contrairement aux précédents épisodes de la série CoD, vous aurez à gérer le sort de prisonniers; notamment quand vous jouez l’Armée Rouge. Les moments sont nombreux où les soldats russes torturent les prisonniers allemands (ou inversement). Comme ce sont des scènes animées non jouables, vous ne pouvez y échapper, vous êtes donc complice. Or l’Article 2 de la Convention de Genève de 1929 — pour un article de loi antérieur au temps du récit ou l’article 13 de la Convention de 1949 — précise que «les prisonniers de guerre doivent être traités, en tout temps, avec humanité et être protégés notamment contre les actes de violence (…) Les mesures de représailles à leur égard sont interdites.»

Tout au long de ce jeu très violent, le premier de la série à être déconseillé au moins de 18 ans, la Convention de Genève est régulièrement violée sans que cela soit possible de faire autrement. Vous devrez donc arrêter de jouer. Rabattez-vous plutôt sur Call of Duty 4, d’ailleurs largement préféré par les fans. Il y a moins d’hémoglobine. Tout le jeu est «Convention friendly» sauf la mission Cachette où là il faudra fermer les yeux pour ne pas être accusé de complicité puisque votre capitaine y torture et abat froidement un prisonnier.

Si Cod 4 n’est plus assez récent pour vous, allez jouer à Gears of War 2. Malgré sa violence, rien ne vous oblige à abattre les ennemis blessés qui gisent à terre. Sauf dans les parties exécutions en multi-joueurs, pas du tout «éthiques». Là justement, le but est d’achever les blessés. Par exemple en leur écrabouillant la tête à coup de pieds.

Wolrd of Warcraft

Dans ce symbole des jeux en ligne avec presque douze millions d’inscrits, vous incarnez un membre de la Horde ou de l’Alliance, et vous livrez une guerre fratricide. Votre objectif est de rendre votre personnage de plus en plus fort en alternant les missions «solo» et collectives. Il est possible d’y jouer éthique. Les quêtes sont tellement nombreuses que vous pouvez éviter les plus tendancieuses. De nombreuses missions imposent en effet d’assassiner quelqu’un et de ramener sa tête (en violation de l’Article 3 alinéa a) qui indique que «les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices» sont «prohibés»). Certaines missions en groupe sont aussi interdites pour le joueur éthique comme L’épuration de Stratholme où vous accompagnez le prince Arthas à travers la ville du même nom et où, encore dans une des séquences d’introduction animée, il massacre de nombreux civils.

Pour faire plaisir à votre père, préférez les missions où vous devrez chasser des animaux de toutes sortes. Je n’ai rien lu dans la Convention qui interdise également d’attaquer un ennemi à quarante contre un comme c’est parfois le cas. Il n’est nulle part mentionné qu’il doit y avoir un équilibre de puissance entre les deux «Parties». Quand vous jouez en mode PVP — vous pouvez attaquer ou être attaqué à tout moment, il n’est légalement pas répréhensible de s’en prendre à un niveau 15 alors que vous êtes niveau 80. Cela revient à attaquer avec ses chars une colonne de cavalerie: ce n’est pas fair play mais c’est légal.

Civilization 4 et Ages of Empires III

Plus un jeu est tactique, plus il semble possible de jouer aisément en restant éthique. «Civilization 4» est sans doute le jeu que je connaisse le plus compatible avec les principes de la convention de Genève. On peut même remporter une partie en n’attaquant personne et, en temps de guerre, en ayant une posture strictement défensive. Au contraire, attaquer des Colons, des Ouvriers ou mettre à sac une ville vous ferait violer la Convention de Genève (Article 3 paragraphe 1: «les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité»).

Dans ce jeu de stratégie au tour par tour, vous pouvez même gagner par la victoire diplomatique en multipliant les alliances et en étant élu secrétaire général de l’ONU. Vous pouvez aussi vaincre en détruisant le monde à coup de bombe nucléaire mais cela fera moins plaisir à votre père. A noter que dans l’extension «Warlords», il y a un scénario qui ne respecte absolument pas la Convention de Genève: c’est celui où vous incarnez Gengis Khan. Le but est de raser toutes les villes d’Asie. Pour «Ages of Empires III», c’est un peu pareil, cela demande un peu d’habileté pour contrôler toutes vos troupes et éviter qu’elles tuent des serfs innocents, mais rien d’insurmontable.

Devant le Tribunal Pénal international de votre père, vous pouvez également plaider que, pour ces deux jeux, le temps du récit est souvent antérieur à la création de la Convention de Genève, donc elle ne devrait pas s’appliquer. Argument valable aussi pour le monde fantastique de World of Warcraft où le récit est intemporel.

Mon frère et l’ado de Boing Boing peuvent être globalement rassurés. Pour la plupart des jeux de guerre/stratégie à succès ou emblématiques, il est possible de devenir un joueur éthique et de terminer le jeu, sauf pour «Call of Duty 5», cas à part et nonobstant jeu décevant.

Impossible pour d'autres jeux

Pour certaines œuvres vidéoludiques, il n’est pas évident de savoir si la Convention de Genève doit s’appliquer ou pas. Que dire ainsi de la série des «Resident Evil» où vous êtes en état de guerre semi-déclarée vis-à-vis de morts-vivants? L’article 34 du Protocole additionnel de 1977 précise que «les restes des personnes qui sont décédées (...) doivent être respectées.» J’ai beau réfléchir, je ne vois pas comment vous pouvez faire croire à votre père que détruire à coup de fusil à pompe des corps morts est une marque de respect.

Que dire aussi de certains autres jeux? Pour «GTA», si rien n’oblige à tuer des civils, gagner implique de transgresser la plupart des lois des Etats-Unis d’Amérique. Les jeux de combats, type Super Smash Bros, Soul Calibur ou Mortal Kombat, sont contraires aux lois de toutes les fédérations d'arts martiaux, même les plus permissives. C'est aussi le cas pour ce jeu de voitures avec un plombier sympa et des carapaces rouges et bleues méchantes! Oui, même Mario Kart se moque de manière éhontée des lois de la Fédération Française du Sport Automobile qui précise dès son Article 1 pour le karting «qu'un comportement correct est de rigueur dans toutes les activités de ce sport».

Finalement, ce sont des points de détail. «S'il fallait étudier toutes les lois, on n'aurait pas le temps de les transgresser», écrivait Goethe.

Quentin Girard

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