J'ai récemment reçu des messages de menace sur mon blog. Une menace anonyme, bien entendu. Et aux propos assez grotesques. Tout en me traitant de liberticide et de censeur des droits fondamentaux, «on» me promet la «guerre», «de réduire mon existence sur Internet à néant», de nuire «à mes proches et à ma famille». Pourquoi tant de haine? Parce que j'ai affirmé qu'Hadopi devait être le point de départ d'une nécessaire régulation du web. Parce que j'ai proposé l'ouverture d'un débat public approfondi sur l'articulation entre Internet et liberté.
Au-delà du procédé et du contenu de ce message que chaque internaute responsable ne peut que condamner, je lis depuis plusieurs jours sur certains blogs et forums, quelques propos étonnants à mon encontre. Ils me caricaturent en technophobe, pourfendeur d'Internet et voulant à tout prix museler ce nouvel espace. En réponse à ces caricatures et plus largement, parce que c'est pour moi un sujet essentiel, je veux faire une mise au point sur quelques-unes de mes convictions au sujet des technologies numériques.
Le développement du numérique n'est pas seulement une innovation technique. Il induit un bouleversement profond de notre vision du monde, de nos modes de vie, de nos relations aux autres, de l'organisation de notre société et de l'économie. Nous sommes en train de basculer dans un nouveau monde. Et comme pour l'immense majorité des internautes, cela est d'abord pour moi une source d'enthousiasme! Le numérique, ce sont des opportunités fantastiques et des découvertes passionnantes en perspective.
Même si je ne suis pas né avec un clavier dans les mains comme la génération MSN, ma conviction à ce sujet ne date pas d'aujourd'hui. Quand j'ai lancé mon club de réflexion, il y a bientôt 3 ans, j'ai d'ailleurs choisi de l'appeler «Génération France.fr». Pour moi, le «.fr» n'est pas un gadget. Il dit bien sûr ma volonté d'en faire un club interactif, où le site Internet joue un rôle central. Mais surtout, il veut signifier que les grandes réflexions sur l'avenir de notre pays n'ont de sens qu'en intégrant systématiquement la nouvelle donne du numérique.
J'ai la certitude qu'Internet et les nouvelles technologies sont une chance pour tous et pour la politique en particulier. Internet peut en effet offrir une véritable respiration démocratique, avec une circulation plus directe de l'information et une interactivité renforcée. A travers Internet, les responsables politiques peuvent établir un contact plus direct et moins formel avec des citoyens parfois éloignés du débat politique. Je le vois sur mon blog ou sur Facebook. En quelques clics, des personnes que la chose publique mobilise rarement peuvent réagir à des propositions ou avancer les leurs.
Avec les députés du groupe UMP, dès que nous identifions un sujet de débat important, nous mettons en ligne un site Internet pour présenter les enjeux et donner la parole aux internautes. Je l'ai déjà fait pour le débat sur l'avenir de la télévision publique, sur la réforme de l'instruction judiciaire, sur la loi relative aux universités, sur la maîtrise de la dépense publique, sur le port de la burqa et sur les dépenses d'avenir. A chaque fois, ces sites ont rencontré un grand succès et j'ai été impressionné par la qualité des contributions des internautes. Pour les Etats Généraux de la dépense publique, plus de 15 000 contributions ont été reçues et certaines propositions seront portées par les députés lors des discussions du prochain projet de loi de finances. C'est dire si Internet a déjà changé pour le meilleur notre façon de faire de la politique. Et ce n'est qu'un début...
Mais si les technologies du numérique peuvent contribuer au meilleur, elles peuvent aussi servir au pire. Qu'on me pardonne cette banalité, mais il me semble parfois que le simple fait de la rappeler suscite des levées de bouclier chez quelques internautes qui, tout à leur fascination devant les prodiges du numérique, en perdent leur regard critique. Les responsables politiques ne seront pas les moines copistes qui s'insurgeaient contre la diffusion de l'imprimerie mais notre devoir est de faire en sorte que les progrès soient mis au service de l'homme, et particulièrement des plus vulnérables. C'est ce que nous voulons faire en matière de santé et de recherche avec les lois bioéthiques. Nous devons avoir la même ambition par rapport au numérique.
Il faut en finir avec une certaine forme de naïveté qui fait d'Internet «le pays des bisounours», où tout le monde serait gentil et aurait des intentions louables. Sur Internet comme ailleurs, l'absence de règles n'est pas liberté mais anarchie. Et je vous invite à vous méfier de ceux qui défendent la régulation dans la sphère économique tout en réclamant l'absence de régulation sur Internet. A mon sens, ce comportement n'a rien à voir avec la modernité: il consiste au contraire à penser, comme au début du web, qu'Internet est un monde virtuel, à part, alors que c'est devenu un maillon central du nouveau monde !
Tout l'enjeu est à présent de définir des règles pertinentes. Il y a de vraies questions à aborder, sans a priori. En voici quelques-unes mais la liste est très loin d'être exhaustive.
· Le droit à l'oubli a-t-il encore un avenir quand les photos de soirées d'un jeune de 17 ans peuvent être stockées et exploitées contre lui 10 ans plus tard lorsqu'il cherchera du travail?
· Le droit à l'intimité, conquête historique récente, qui a permis aux individus de s'affranchir d'un contrôle social parfois oppressant, est-il voué à la disparition au nom de la transparence absolue ou doit-il être réaffirmé au nom de la liberté individuelle?
· La propriété intellectuelle ou le droit à l'image doivent-ils prendre une nouvelle forme dans le monde numérique ?
· Comment protéger les producteurs et les consommateurs contre les contrefaçons dans un monde où il n'y a parfois plus de différence entre l'original et la copie?
· Comment lutter efficacement contre les escroqueries ou les sites pédophiles sans tout verrouiller?
· Comment mettre à l'abri les enfants de contenus qui ne leur sont pas destinés, alors qu'ils passent plusieurs heures par semaine à surfer et à chatter?
· Qu'est-ce que la responsabilité individuelle dans un monde où l'anonymat est revendiqué et où le buzz multiplie les phénomènes de masse ?
Personne n'a de réponse toute faite à ces interrogations mais c'est la responsabilité des hommes et des femmes politiques, et notamment du Parlement, d'y travailler! Pour réussir la révolution numérique, il ne suffit pas de plaquer sur Internet quelques principes du monde actuel. C'est un chantier immense et passionnant que nous devons ouvrir, en France et avec nos partenaires européens. Nous devons le faire en consultant très largement, en écoutant les citoyens et les acteurs d'Internet, les chercheurs du numérique et les experts... Si nous passons à côté de ce défi, ceux qui nous reprochent aujourd'hui de vouloir agir nous reprocheront demain de n'avoir rien fait.
Jean-François Copé
Image de Une: Reuters