Johnny a été hospitalisé lundi 7 décembre à Los Angeles à la suite d'une infection consécutive à une intervention pour une hernie discale. «Suite à l'intervention qu'il a subie à Paris, le 26 novembre (…) il est actuellement en observation pour une infection, précise le service de presse de l'artiste. Son état de santé est stable et il devrait sortir de l'hôpital dans quelques jours».
Le chanteur est parti aux Etats-Unis le 1er décembre, quatre jours seulement après son opération, contre l'avis de ses médecins. Des douleurs au dos, durant le vol, l'ont obligé à sortir de l'aéroport de Los Angeles dans une chaise roulante. La douleur n'ayant cessé de s'amplifier, Johnny Hallyday a finalement été admis à l'hôpital Cedars Sinai de Beverly Hills. A 66 ans, Johnny Halliday a déjà été opéré à deux reprises cette année d'un cancer du côlon. Cette fois, les médecins ont diagnostiqué une infection postopératoire. Le chanteur, maintenu en observation, a été placé sous antibiotiques. Nous republions un article sur Johnny de Philippe Boggio, auteur d'une biographie acclamée de la star.
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Finalement, Johnny Hallyday l'aura lâchée, cette vérité, qu'on s'évertue à lui arracher et que lui-même se refuse à confirmer depuis 50 ans: il est mortel. Le rock n'échappe pas au sort commun, et le premier rocker français retournera un jour à la poussière. L'affaire clôt, au moins provisoirement, une très ancienne bataille, assez hystérique, une obsession chronique de presse à détecter une faiblesse physique chez l'ex-«Idole des jeunes».
Les «enquêteurs» remportent leur victoire bien tard, au crépuscule, presque au gong. Le chanteur a fêté, à la fin du printemps, son 66e anniversaire. En plus, il n'est pas certain que l'information ne se retourne pas contre eux, en grandissant encore, si c'est possible, la force mythologique du Phénix de la scène.
L'annonce de sa maladie, un «petit cancer sur le colon», selon Johnny lui-même, survient juste au milieu de sa longue tournée d'adieu, après sa série de concerts des stades, et au premier soir de celle des plus grandes salles du pays, de Belgique et de Suisse. De quoi bouleverser et radicaliser un peu plus ces dizaines de milliers de Français qui depuis le mois de mai, en multipliant les soirées triomphales, tentent de retarder encore, par leurs larmes, leurs chants, leur empressement nostalgique, le départ à la retraite du rocker.
Non sans ironie, la nouvelle a traversé les salles de rédactions alors que Johnny faisait chavirer le public du Zénith de Lille, le 25 septembre, voix profonde et précise, silhouette d'aplomb, tout au long d'un concert toutefois amputé de plusieurs chansons par rapport au spectacle proposé, cet été, dans les stades. Dix jours plus tôt, pendant le Festival de films de Toronto, le correspondant de Télé Star, assez stupéfait de la confidence, avait écouté le chanteur lui raconter qu'il avait subi, fin juillet, l'ablation d'un polype, repéré pendant un bilan de santé de routine demandé par l'assureur de la tournée.
«Tout va bien maintenant, mais je me suis sorti d'une pénible opération», avait dit Johnny. Le cancer avait été «pris à temps, mais cela aurait pu devenir plus grave si l'on avait attendu plusieurs mois».
Selon l'entourage du rocker, celui-ci s'était démis la hanche pendant une chute et avait été transporté à l'Hôpital américain de Neuilly. Le check-up, consécutif à la mort de Michael Jackson et imposé à toutes les grandes stars actuellement en tournée, était venu s'ajouter à cette première indication. Mais les rumeurs avaient alors couru les milieux du show-biz. Les dix jours d'hospitalisation étaient trop longs, expliquait-on, pour de simples examens, d'autant que d'importants services de sécurité troublaient la vie normale de l'établissement. Le diagnostic des sceptiques allait se révéler exact : opération du colon.
Johnny Hallyday n'a en fait concédé que son «petit cancer». Dont on guérit. Dont il se remettra; s'est même déjà remis, à l'écouter. Beaucoup de gens vivent avec ce mal, et la seule qualité du concert de Lille, vaut mieux qu'une campagne médiatique en faveur de la dédramatisation du cancer dans la vie sociale. Mais c'est assez pour les inquisiteurs. Assez pour cette étrange tradition d'alarme morbide à son propos qui vient enfin de trouver, des décennies plus tard, l'objet de sa quête.
Par une sorte d'inversion, le plus endiablé des chanteurs de rock, insolent de santé et d'endurance a toujours suscité l'inquiétude gourmande de la presse populaire. A 17 ans, alors qu'il twistait comme personne et se roulait par terre à chacun de ce qu'on appelait encore ses galas, il se murmurait déjà que ce garçon brûlait la chandelle par les deux bouts et qu'une fin proche lui était promise. Johnny Hallyday avait beau sortir indemne de ses nombreux accidents de voitures, conduire vite, boire sec, se droguer aussi, et chanter jusque tard tous les soirs, la saga des années 60 le voulait fragile et meurtri. D'où une surveillance rapprochée d'à peu près tous les instants.
Sa tentative de suicide, le 10 septembre 1966, quelques heures avant qu'il ne se produise à la Fête de l'Humanité, alors qu'il avait épousé Sylvie Vartan, un an plus tôt, qu'il venait d'avoir David, son premier enfant, et aurait donc dû être un homme comblé, n'a fait qu'attiser l'anxiété empressée des médias de l'époque à son sujet.
Par deux fois, les journaux ont titré sur sa mort. Un certain Smet était décédé à l'hôpital de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Un homonyme. Qui n'avait pas pensé à mal. Deux fois, le même Smet de Bobigny, à dix jours d'intervalles. Est ensuite venu le temps de ses opérations des hanches, pour cause d'arthrose précoce. Un acte chirurgical déjà assez banal, dans les années 80. On parle de cancer des os. Ou du sang. Pour chaque hanche, on le dit mourrant. Comme il chante et danse en scène jusqu'à l'épuisement, il est victime de plusieurs syncopes, et ses fans vont jusqu'à courir derrière l'ambulance qui emporte l'idole vers l'hôpital le plus proche. La syncope sur Tutti Frutti, presqu'un rituel entre son public et lui. La preuve ultime du rock. Mais aussi, chez les chroniqueurs, l'introduction pathétique à l'agonie.
Quand Johnny Hallyday était jeune, on assimilait cette attention médiatique à une forme de jalousie, fourbie au sein d'une corporation alors très masculine. Le rocker avait toutes les filles. Des grappes de groupies en transes donnaient à chaque concert l'assaut à la scène, puis à son corps. Rituel encore, au delà du jeu de scène, entre elles et lui, insupportable à beaucoup. Puis les années, bientôt les décennies passant, les rumeurs sur la santé du chanteur ont visé, plus ou moins inconsciemment, à abréger une carrière qui tendait à durer au-delà du raisonnable.
Tout au bout de la destinée musicale la plus longue de l'histoire nationale se joue désormais - symboliquement, bien sûr - l'hypothèse de la mort en scène. Molière, les décibels en plus, pendant Heartbreak Hotel d'Elvis Presley. Parmi les fans et au-delà d'eux, la tournée des adieux, ces mois-ci, charrie deux sentiments finalement assez voisins: que Johnny ne s'arrête pas de chanter, et qu'il vive longtemps encore. Ou qu'il meure là, parmi eux tous, au moment des rappels, preuve qu'il ne se sera pas arrêté de chanter. Toutes solutions préférables, dans l'imaginaire collectif, à l'idée d'une retraite professionnelle, de toutes façons médiocre, et indigne d'un rocker céleste.
Philippe Boggio est l'auteur de Johnny, La légende, Les vérités
Image de Une: Johnny hallyday Eric Gaillard / Reuters