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Au Royaume-Uni, une loi victorienne rend encore l'avortement illégal

Temps de lecture : 4 min

Il est grand temps que l’IVG soit décriminalisé.

Depuis 1861, les hommes savent mieux que les femmes ce qui est bon pour elles. Et c’est inscrit dans la loi | Paul Townsend via Flickr CC License by

Vous savez sans doute qu’il est possible de se faire avorter en Grande-Bretagne et que la procédure est prise en charge par le National Health Service. Ce que vous savez sans doute moins, c’est que l’avortement est toujours susceptible de vous condamner à la prison à vie, y compris pour des interruptions de grossesse très précoces.

L’avortement est toujours considéré comme un crime au Royaume-Uni, en vertu d’une loi de 1861 régissant les atteintes à la personne. L’avortement n’est légal que s’il est effectué sous un strict contrôle médical.

En l’état actuel des choses, une adolescente terrifiée qui prend des médicaments abortifs qu’elle s’est procurés sur internet, sans avoir dit à quiconque qu’elle était enceinte, commet un crime passible de la perpétuité.

Le texte de 1861 est archaïque. Cette loi est gravement défectueuse et devrait être réformée sans délai. Par exemple, mal nourrir ses serviteurs y est consigné comme un délit.

La péremption de cette loi ne fait tellement pas de doute que la commission législative britannique travaille actuellement à une révision massive de son contenu. Reste que cette révision ne concerne pas les articles liés à l’avortement.

Législation victorienne

Le texte de 1861 se fonde sur les préoccupations morales et les réalités médicales de la Grande-Bretagne du milieu de l’époque victorienne. Il est le produit d’un parlement entièrement masculin et aura été adopté quasiment soixante ans avant que les femmes obtiennent le droit de vote. C’était une époque où le simple fait de publier un livre sur la contraception était suffisant pour qu’une femme soit considérée comme moralement incapable d’être mère et se voie retirer la garde de ses enfants par la justice.

Que cette loi archaïque ne soit pas appliquée n’est pas une raison pour ne pas l’abroger

Les effets de cette législation austère et coercitive ont été modérés par un texte entré en vigueur en 1967. Ce texte autorise l’avortement sous contrôle médical, mais cette seconde loi est elle aussi périmée. Elle impose aux femmes voulant se faire avorter une gamme de restrictions cliniquement injustifiables –notamment le fait que la décision de l’avortement revienne obligatoirement à deux médecins, et non à la femme concernée. Cette loi n’offre aucune protection à l’adolescente terrifiée imaginée plus haut.

Certes, des femmes sont très rarement condamnées pour avoir subi un avortement –mais que cette loi archaïque ne soit pas appliquée n’est pas une raison pour ne pas l’abroger.

Le temps du changement

Il est grand temps que l’avortement soit décriminalisé au Royaume-Uni. Mais l’IVG ne sera pas dérégulée pour autant. Des pratiques non-consensuelles, dangereuses ou négligentes seront réprimées par les mêmes mesures pénales, civiles, administratives et disciplinaires qui régulent le reste du champ médical.

Une telle réforme permettra d’admettre que la prison n’est pas une réponse adéquate à donner à cette adolescente paniquée, ni à n’importe quelle femme qui se sent incapable de recourir à une procédure médicale conventionnelle. De même, la menace d’un emprisonnement n’est pas le meilleur moyen de fixer les limites d’une pratique médicale acceptable.

Avec la disparation de la prohibition criminelle de l’avortement, on pourra commencer à réfléchir sur la stigmatisation qui pèse sur une procédure que subiront une Britannique sur trois à un moment quelconque de leur vie et sur les professionnels de santé qui s’occupent de ces femmes.

Cela pourrait permettre de faire sauter des barrières cliniquement inutiles et barrant la route à des soins de grande qualité médicale et éthique. Il sera alors possible de comprendre cette curieuse anomalie légale qui fait que l’avortement est la seule procédure médicale où les médecins n’ont pas besoin de considérer leurs patients comme des adultes capables d’«accepter la responsabilité d’une prise de risques affectant leur propre vie et [de] vivre avec les conséquences de leurs choix».

Maîtrise de la fertilité

Nous faisons confiance aux femmes et à leur capacité de prendre des décisions moralement significatives

L’abrogation des prohibitions criminelles sur l’avortement sera sans nul doute férocement combattue par tous ceux estimant que l’embryon et le fœtus sont des personnes morales à part entière ou que leur valeur est équivalente à celle de la femme qui les porte. Mais à l’heure actuelle, très peu de Britanniques (y compris ceux qui se définissent comme chrétiens) adhèrent à cette opinion extrême. Et si les croyances morales d’une minorité se doivent d’être respectées eu égard aux décisions sanitaires qui la concernent, elles ne doivent pas conditionner les services offerts à la majorité.

Aujourd’hui, 92% des avortements sont pratiqués dans les douze premières semaines de grossesse. La plupart des Britanniques estiment que, du moins dans ces tous premiers stades, c’est à la femme concernée de décider si elle veut ou non poursuivre sa grossesse. Et une majorité pense aussi que le gouvernement n’a pas à interférer dans ce droit à choisir.

Pour beaucoup d’entre nous, ce n’est pas parce que nous estimons que le fœtus humain en développement n’a aucune signification morale. Mais c’est parce que nous faisons confiance aux femmes et à leur capacité de prendre des décisions moralement significatives. Et nous savons aussi que les femmes ne peuvent contribuer équitablement à la société sans un droit fondamental à maîtriser leur propre fertilité.

La charge de la preuve devrait revenir à ceux qui sont favorables au maintien de cette menace pénale sur l’avortement. À eux de justifier pourquoi une sanction criminelle relève d’une réponse moderne et appropriée au problème des grossesses indésirées.

Cela fait presque un siècle que le Parlement britannique reconnaissait le droit de vote aux femmes. Aujourd’hui, il se doit de reconnaître aux femmes le droit de prendre des décisions fondamentales au sujet de leur propre fertilité.

Cet article est paru en anglais sur le site The Conversation le 6 octobre 2015.

The Conversation

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