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Le Royaume-Uni est-il vraiment un eldorado pour les réfugiés?

Temps de lecture : 4 min

Non, son image est largement idéalisée.

Des migrants afghans près de Calais, REUTERS/Pascal Rossignol
Des migrants afghans près de Calais, REUTERS/Pascal Rossignol

Lundi 5 octobre, des associations dénonçaient un projet franco-britannique de charter visant à reconduire des clandestins à Kaboul. Cette polémique intervient deux semaines après le démantelaient fin septembre de la «jungle» de Calais, ce campement sauvage dans lequel s'entassent des migrants majoritairement afghans et irakiens qui attendent de pouvoir franchir illégalement la Manche pour rejoindre l'Angleterre. «Quand vous allez en Angleterre, ils vous donnent un toit, des habits, des allocations, de la nourriture, tout - une vie meilleure», confiait l'un d'entre eux à la veille de l'évacuation du camp. Le Royaume-Uni est-il réellement un eldorado pour immigrés illégaux et autres demandeurs d'asile?

Pas vraiment, en tout cas selon les statistiques. A la lecture des chiffres officiels des deux pays, la France accorde plus d'asiles que le Royaume-Uni, et est même le premier pays d'accueil des demandeurs d'asile en Europe. Selon le ministère de l'Immigration, la France a reçu 18.658 demandes d'asile du 1er janvier au 31 juillet, contre 14.425 pour le Royaume-Uni au premier semestre. Le chiffre français porte sur une période d'un mois plus longue que le britannique, mais en retirant 1/7 du premier on obtient tout de même un chiffre plus élevé, à 15.993.

La France a effectué 17.350 reconductions à la frontière (dont les départs volontaires) depuis le 1er janvier, avec un objectif de 27.000 sur l'ensemble de l'année. Le Royaume-Uni en était déjà à 31.355 reconduites ou «départs volontaires» au premier semestre.

Le taux d'acceptation par rapport au nombre de demandes est également supérieur en France, avec 5.129 demandes d'asile acceptées, soit 27,5% du nombre de demandes sur la même période, contre 3.755 au Royaume-Uni, ou 26% des demandes. Comment expliquer alors l'idée répandue, notamment parmi les migrants, selon laquelle il serait plus facile d'obtenir l'asile de l'autre côté de la Manche?

Stratégie dissuasive

Le détail des chiffres offre un début d'explication: sur 42.513 demandes d'asile en 2008, seulement 282 étaient formulées par des Afghans et 646 par des Irakiens, alors que ces deux nationalités sont les plus représentées dans les demandes d'asile à l'échelle européenne (27.607 Irakiens et 13.497 Afghans), selon l'association France Terre d'Asile. Son directeur général, Pierre Henry, va jusqu'à parler de «stratégie dissuasive à leur égard par peur de l'appel d'air» en se basant sur la très forte augmentation des interpellations à l'encontre des ressortissants de ces deux pays.

Obtenir l'asile au Royaume-Uni n'est donc pas plus simple qu'en France. La comparaison des procédures confirme ce que les chiffres montrent. Ici, la demande se fait à la préfecture, où on remet une Autorisation provisoire de séjour (APS) qui constitue un titre de séjour. En Grande-Bretagne, elle se fait à un officier d'immigration aux frontières ou dans les unités de tris de demande d'Asile. Si le «screening interview» conclut que le cas peut être examiné rapidement et que la demande n'est pas fondée, le demandeur peut être placé en rétention avant la décision finale. En France, il faut que toutes les voies de recours soient épuisées pour que la préfecture puisse décider d'un placement en centre de rétention.

En France, un demandeur d'asile doit avoir accès à un hébergement pendant toute la durée de la procédure. En Angleterre, la loi stipule que le demandeur est hébergé «aussitôt que raisonnablement possible», et seulement dans un endroit désigné par l'agence des frontières britanniques.

Pointage

Contrairement à la France, le demandeur d'asile doit pointer régulièrement pendant l'examen de sa demande, et peut s'il ne le fait pas être placé en rétention. En cas de décision négative, le délai d'appel est d'un mois en France, contre dix jours en Grande-Bretagne.

Dans la pratique, ces lois ne sont évidemment pas toujours respectées. Pour le logement par exemple, la liste d'attente dans les grandes villes est longue. A Paris, les demandeurs d'asile peuvent ainsi attendre plusieurs mois avant d'être logés. En revanche, la grande majorité des demandeurs d'asile ont un toit au Royaume-Uni, notamment grâce à l'aide de leur communauté sur place.

Car si le Royaume-Uni reste un eldorado aux yeux des Afghans ou des Irakiens, c'est d'abord parce que ces populations ont des liens plus étroits avec ce pays pour des raisons historiques. L'histoire a pour conséquence la présence d'une communauté importante et bien installée outre-Manche. La perspective d'être dans un pays dont la langue est moins étrangère, où l'on pourra compter sur l'aide d'une communauté pour trouver du travail et un logement, où l'on a même parfois des membres de la famille, est pour beaucoup dans le mythe de l'eldorado anglais.

Ces liens sont aussi indirects: les Afghans par exemple retrouvent en Angleterre une communauté très importante qui partage une partie de leur culture pour certains la même langue: les Pakistanais. Le réseau associatif, très développé, et d'entraide est organisé par des immigrés installés dans le pays, ce qui facilite beaucoup leur travail.

Une chose est sûre: des deux côtés de la Manche, les réfugiés qui ne sont pas dans le processus de demande d'asile et les clandestins sont dans la même situation sans issue. Ils n'ont aucun droit, ne reçoivent aucune allocation, vivent dans la peur perpétuelle de se faire repérer et ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Mais une différence de taille rend la situation de clandestin moins effrayante au Royaume-Uni qu'en France: nos voisins britanniques n'ont aucun système de carte d'identité, même si la questions fait débat depuis de longues années et que la situation pourrait bientôt changer.

Méfiance

Ce que les réfugiés savent moins en traversant la Manche, c'est le climat de méfiance envers les immigrés qui existe dans certaines couches de la population britannique, climat entretenu par les une presse tabloïd aux tirages sans commune mesure en Europe (le Sun avait une diffusion de 3.128.501 en août 2009). Bien sûr, l'extrême droite en France récolte bien plus de voix que le British National Party, mais ce dernier a connu cette année des scores inédits aux élections européennes, avec 6,2% des suffrages et deux eurodéputés. L'augmentation des décès de soldats britanniques en Afghanistan et la dure crise économique qui touche le pays ne font rien pour arranger l'image des réfugiés et autres immigrés, qui sont parfois soupçonnés de profiter du système aux dépens des britanniques.

Le Royaume-Uni n'est donc pas un eldorado dans la pratique, même si les réfugiés de certains pays comme l'Afghanistan ou l'Irak y trouvent l'aide d'une communauté de compatriotes qui n'existe pas dans d'autres pays européens. De nombreux nouveaux arrivants préfèrent aujourd'hui essayer d'atteindre la Scandinavie, à moins qu'ils trouvent en chemin un pays qui leur offre des conditions de vie décentes et la sécurité qui leur faisaient défaut chez eux.

Grégoire Fleurot

Merci à Pierre Henry, président de l'association France Terre d'Asile, et Farid de l'association Afghan Association Paiwand de Londres.

Image de Une: Des migrants afghans près de Calais, REUTERS/Pascal Rossignol

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