Beyrouth, Liban
Carrie is back. L’agent de la CIA a changé. Décontractée, bobo à vélo dans Berlin, moins blonde, moins névrosée, maman épanouie et avec un nouveau boyfriend, moins roux que le précédent, Nicholas Brody, pendu un soir d’hiver à Téhéran. Carrie va mieux, et pour cause: elle a raccroché les crampons. Exit la CIA, bonjour la «Fondation Düring», où elle officie à la sécurité de son multimilliardaire de président. Voilà pour le décor. Mais Homeland ne vire pas «Desperate Housewives of Kreuzeberg», loin de là. Et dès le premier épisode diffusé dimanche soir sur Showtime aux États-Unis, son passé revient lui adresser un Salam Aleikum sous la forme d’une mission au Liban.
Le Liban… On pensait pourtant qu’après la polémique de 2012, quand dans l’épisode «Beirut is back» (Saison 2), la série avait dépeint la capitale libanaise comme un repaire de barbus armés jusqu’aux dents, forçant notre chère agent à se teindre les cheveux en brun (sans parler du voile), pour éviter les coups de sabre des passants salafisés, provoquant la colère du ministre du Tourisme libanais qui avait menacé de poursuivre en justice les créateurs de la série, Howard Gordon et Alex Gansa… On pensait donc que, si couvert il fallait remettre au pays du Cèdre, on aurait fait attention à mettre les couteaux à la place des couteaux, et de ranger les sabres au vaisselier.
Mais non. L’épisode nous gratifie des pires amalgames et contre-vérités sur le Liban, avant même que son héroïne ait eu le temps de poser la première boot on the ground.
1.
Les camps de réfugiés
Otto Düring: Je veux que nous allions visiter un camp [de réfugiés] là-bas. Au Liban.
Carrie Mathison: Nous?
Otto Düring: Oui, vous, moi, et quelques personnes chargées de la sécurité.
Carrie Mathison: Quelques personnes chargées de la sécurité, c’est ce qu’on prévoit pour une conférence à Genève. [Le Liban] c’est une zone de guerre!
Dans ce premier épisode de la saison 5, situé à Berlin, Carrie doit accompagner son philanthrope de patron au Liban sud, où des «milliers de réfugiés syriens» vont «mourir de faim et d’épidémies» si la fondation n’intervient pas pour donner «un chèque», des gros dollars américains, pour sauver tous ces malheureux.
Nous sommes en 2015, et aussi imparfaite que soit l’Organisation des Nations unies, cela fait soixante-dix ans qu’elle gère les situations de crise humanitaire impliquant des réfugiés ou des déplacés. La crise humanitaire syrienne ne fait pas exception à cette règle, et les Nations unies sont présentes sur le terrain depuis le début du conflit au printemps 2011, via notamment le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), qui a enregistré à ce jour un million 78.338 réfugiés, pour le seul Liban; 61% de son budget annuel de 1,9 milliards de dollars reste encore à financer, cela dit. Si Showtime veut mettre une petite bannière d’appel aux dons…
Les réfugiés syriens ne meurent pas de faim et d’épidémies au Liban. Mais en 2014, 2.000 enfants syriens au Liban étaient atteints de malnutrition sévère aïgue selon une enquête de l’Unicef. (Là aussi, pour donner, c’est par ici.)
Hollywood ne semble toujours pas prête à investir dans un précis de géopolitique moyen-orientale
Auteur si besoin
Enfin, pas de camps syriens au Liban. Le pays, traumatisé par le précédent palestinien (le facteur déstabilisant des camps palestiniens au Liban avait contribué à jeter le pays dans une guerre civile de quinze ans, de 1975 à 1990), a refusé l’établissement de camps de réfugiés tels qu'on en trouve en Turquie ou en Jordanie. La majorité des réfugiés syriens pauvres sont installés dans des campements informels (tentes, baraquements de tôles, immeubles dont la construction a été abandonnée, garages, caves) –qu'on appelle camps de réfugiés par abus de langage– ou tout simplement dans des appartements pour ceux qui ont les moyens de payer un loyer.
2.Les chiites, les sunnites, même combat
L'épisode nous apprend que Carrie doit aller rencontrer les Syriens de Raqqa, réfugiés dans un camp contrôlé par le Hezbollah au sud du Liban.
Après quatre ans et demi de conflit syrien, dix ans de guerre en Irak, l’histoire sans fin afghane… et des montagnes de milliards de tax payers’ money engloutis, Hollywood ne semble toujours pas prête à investir dans un précis de géopolitique moyen-orientale. Alors, pour les nuls, on reprend: la province de Raqqa, qui comprend la ville éponyme –là où le soi-disant État islamique a installé son QG depuis plus d’un an–, est un foyer de population arabe de confession musulmane sunnite.
Le sud du Liban est une région majoritairement chiite. La milice du parti de Dieu, le Hezbollah, ainsi que le parti chiite Amal y sont présents.
Le Hezbollah chiite pro-Assad et les rebelles sunnites anti-Assad se battent l’un contre l’autre en Syrie. Il y a donc peu de chances qu’un réfugié sunnite fasse le choix d’aller se réfugier dans le fief du Hezbollah, au sud du Liban. C’est d’ailleurs pour cela que les réfugiés syriens au Liban, en très grande majorité sunnites, ont eu tendance à s’installer en priorité dans les régions sunnites, autour de Tripoli au nord, de Beyrouth, ou près de la frontière syrienne dans la vallée de la Bekaa, à l’Est du Liban, et dans une moindre mesure (autour de 10% des réfugiés syriens), au sud du pays, mais très peu dans les zones contrôlées par le Hezbollah.
3.Les milices libanaises
Carrie Mathison: Combien de milices y a-t-il sur place?
Chef du bureau de la CIA: Plus d’un millier…
Il y aurait un millier de milices au Liban. Consulté, Georges, chauffeur de taxi collectif à Beyrouth, au volant de la même Renault 12 depuis trente ans:
«Dans ma famille on est Phalangistes, mais mon beau-frère aime bien Samir Geagea (chef des Forces Libanaises), ma mère a toujours eu un faible pour le general Aoun, elle le trouve bel homme. Ça fait trois milices par famille. [rires] Pour 4 millions de libanais, ça doit faire le compte! [re-rires]»
Notons que les chefs des partis mentionnés, presque tous sexagénaires, ont désarmé leurs hommes au début des années 1990, après la fin de la guerre civile. La seule milice armée qui existe aujourd’hui au Liban, c’est la branche armée d'un parti officiel: celle du Hezbollah, Al-Muqawama al-Islamiyya.
4.Turban noir vs turban blanc

Claire Danes dans la saison 5 de Homeland
Carrie, qu’on retrouve à nouveau voilée (le syndrome Laurence Ferrari, peut-être) dans un sous-sol berlinois, «exige» un «safe passage» –un sauf-conduit pour se rendre dans les zones contrôlées par le Hezbollah au sud Liban… à un cheikh vraisemblablement sunnite.
L’apparence du cheikh Hafez –sa longue tunique blanche, son pantalon, son «kufi» (coiffe blanche en crochet)–laisse penser que ce cheikh est sunnite.
Les cheikh chiites sont généralement faciles à reconnaître: ils portent un turban, noir quand ils sont «sayyid», c’est à dire qu’ils sont de la lignée du prophète, blanc pour les autres.
Dans l’épisode, ce cheikh est censé passer le message de Carrie à un certain Al Amin, un chef de la sécurité du Hezbollah qui vivrait caché dans un sous-sol de Berlin. Dans le contexte actuel de tensions entre chiites et sunnites dans la région, on imagine mal un religieux sunnite servir d’intermédiaire au Hezbollah.
5.La sécurité et l'accès aux camps
Un dernier pour la route:
Carrie Mathison (s’adressant à son patron): Vous pensez qu’avec tous mes contacts, je peux rendre ce voyage sûr, mais je ne peux pas. Personne ne le peut.
Conseil pour Carrie: demander conseil à Nadine Morano. La députée renégate du parti Les Républicains était en visite dans des camps de réfugiés au nord de Tripoli, mi-septembre (comme les députés Benoît Hamon, Axel Poniatowski, et le Premier ministre britannique David Cameron pour ce seul mois de septembre). Nos hommes politiques sont de sacrés risque-tout.
On passe sur Peter Quinn, de retour de deux ans en Syrie, dont plusieurs mois à Raqqa, avec sa team de «Special ops». On s’imagine un genre de The Expendables à Raqqa, mais Peter nous laisse sur notre faim avec un laminaire «We’ve been busy» («On a été occupés»). On n’y tient plus. Heureusement, il daigne tout de même dévoiler son plan: «transformer Raqqa en parking». C’est beau comme du Stallone.