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La guerre en Syrie: une guerre par procuration entre les Etats-Unis et la Russie

Temps de lecture : 4 min

Pour la première fois depuis la disparition de l’Union soviétique et du camp communiste, les Etats-Unis et la Russie se retrouvent impliqués dans un conflit armé par personne interposée.

A Alep, en Syrie, le 29 juillet 2015. REUTERS/Abdalrhman Ismail
A Alep, en Syrie, le 29 juillet 2015. REUTERS/Abdalrhman Ismail

Pendant les cinquante ans de guerre froide, les Etats-Unis et l’Union soviétique se sont fait face sans jamais s’affronter directement. «L’équilibre de la terreur», c’est-à-dire la capacité de chaque camp de détruire l’autre avec l’arme nucléaire, était une sorte de garantie contre une troisième guerre mondiale. Les différentes crises autour du statut de Berlin, l’ancienne capitale du Reich allemand divisée par le rideau de fer, comme la crise de Cuba à l’automne 1962, ont été l’illustration de la formule de Raymond Aron «guerre impossible, paix improbable».

Cela n’empêchait pas chaque grande puissance de s’attaquer aux alliés de l’autre, ni des conflits entre les vassaux de l’une et de l’autre. C’était une des caractéristiques qui distinguait la guerre froide de la guerre «chaude». Cette caractéristique se retrouve aujourd’hui en Syrie.

Pour la première fois depuis la disparition de l’Union soviétique et du camp communiste, les Etats-Unis et la Russie se retrouvent impliqués dans un conflit armé par personne interposée. La guerre en Syrie est une guerre par -procuration entre l’Amérique qui restait la seule grande puissance après la chute de l’URSS et la Russie de Poutine qui rêve de retrouver son statut d’égale des Etats-Unis.

La communauté internationale n'existe pas

Au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, les Américains sont intervenus militairement en Corée et en Indochine pour tenter d’endiguer l’avancée du communisme en Asie. Les Soviétiques ne s’en sont mêlés qu’indirectement en fournissant des armes mais se sont gardés de s’impliquer directement. En revanche, ils n’hésitaient pas à utiliser la force armée pour remettre de l’ordre dans leur propre camp. Dans les années 1970-1980, en Afrique comme en Amérique latine, les deux «mondes», ce qu’on appelait le «monde libre» d’une part, c’est-à-dire l’Occident, et les communistes d’autre part, se sont affrontés par l’intermédiaire de «mouvements de libération», parfois soutenus comme en Angola par exemple par des soldats cubains, et de groupes contre-révolutionnaires, soutenus par la CIA.

Ce qui se passe en Syrie depuis que l’aviation russe bombarde les «terroristes» ressemble fort au scénario de la guerre froide

Ce qui se passe en Syrie depuis que l’aviation russe a commencé à bombarder les «terroristes» ressemble fort au scénario de la guerre froide. L’idée qu’il existerait une «communauté internationale» ayant les mêmes objectifs et les mêmes adversaires, relève de la fiction. Certes la coalition formée autour des Etats-Unis et la Russie sont censées s’en prendre à Daech. Mais les premiers bombardements russes ont visé en priorité les groupes armés, islamistes ou non, qui combattent le régime de Bachar el-Assad. Même s’ils ont, dans un deuxième temps, frappé des positions de l’Etat islamique.

Au-delà de l’élimination de Daech, les interventions occidentales et russes visent des objectifs opposés. Les premières cherchent certes à venir à bout de l’Etat islamique mais elles devraient aussi soulager les forces modérées, armées par les Etats-Unis et quelques Européens, qui se battent contre Assad depuis le soulèvement populaire de 2011.

Les secondes ont au contraire pour but, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, d’affaiblir les forces opposées à Assad et de renforcer un régime dont les Occidentaux souhaitent la chute.

L'avantage russe

Alors que tout le monde s’accorde pour dire que la guerre contre Daech ne pourra pas être gagnée sans l’engagement de troupes au sol, les Russes et leurs alliés ont un avantage sur les Occidentaux. Si ces derniers partagent avec les Russes le refus de «boots on the ground», Vladimir Poutine, lui, peut compter sur l’appui des combattants iraniens, ceux qui sont déjà en Syrie avec leurs affidés du Hezbollah libanais (au total quelque 7000 hommes). De l’autre côté, mis à part les peshmergas kurdes et une armée irakienne qui peine à se réorganiser –et qui d’ailleurs est prête à se coordonner avec les Russes et les Iraniens–, les Occidentaux ont du mal à mobiliser leurs alliés du Golfe.

Un combattant de l'Armée libre syrienne à Jobar, dans la banlieue de Damas le 27 juillet 2015. REUTERS/Bassam Khabieh

Vladimir Poutine a réussi à entrainer les Occidentaux, et en particulier les Américains, dans une confrontation indirecte. Le risque d’un incident direct entre les aviations russe et américaine dans un ciel syrien bien encombré n’est pas négligeable. Les deux parties sont implicitement d’accord pour l’éviter. Les responsables militaires des deux pays doivent rester en contact afin de s’informer des plans de vols, voire de se coordonner. Mais une «bavure» est toujours possible. La situation peut devenir incontrôlable si les Russes, qui ont livré des missiles sol-air aux Syriens, en venaient à établir une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie qui limiterait la liberté d’action de l’aviation alliée.

Il est probable que les deux parties éviteront de faire monter les enchères aux extrêmes. Toutefois, Vladimir Poutine est en train de réussir là où il a partiellement échoué en Ukraine: engager un bras de fer avec les Etats-Unis, dans le but de rehausser le statut de la Russie. En Ukraine, les Occidentaux ont refusé la confrontation militaire, même indirecte, avec les hommes liges de Moscou dans l’est de l’Ukraine, en refusant de livrer des armes au gouvernement de Kiev. En Syrie, toutes les parties sont présentes sur le terrain. L’issue est incertaine. L’hypothèse optimiste est que chacun cherche à améliorer son jeu en vue du grand marchandage final. Selon l’hypothèse pessimiste, la partie qui a le moins de scrupules, qui n’est pas bridée par son opinion publique ou ses institutions parlementaires, qui cherche dans une aventure extérieure la légitimation de son pouvoir, poussera son avantage aussi loin qu’elle le pourra. A ce jeu, Vladimir Poutine a un avantage sur ses adversaires occidentaux.

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