En qualifiant de «coupables» les prévenus dans l'affaire Clearstream, le Président de la République a évidemment commis un lapsus, quoiqu'il en dise. Avocat, il est parfaitement instruit des règles de la procédure pénale et connaît un principe aussi fondamental que celui de la présomption d'innocence. Ce dernier, rappelons le, signifie qu'une personne est présumée innocente jusqu'à ce qu'une juridiction l'ait condamnée par une décision définitive. Une ordonnance d'un juge d'instruction qui renvoie un mis en examen devant le Tribunal correctionnel ne remplit évidemment pas cette condition. Un prévenu bénéficie, par définition, de la présomption d'innocence.
Lapsus donc!
Un lapsus est révélateur: c'est l'inconscient qui parle. Il dit la vérité de l'être humain. Nicolas Sarkozy est intimement convaincu de la culpabilité des prévenus. C'est son droit puisqu'il est partie civile. Mais il est Président de la République et, à ce titre, garant de l'indépendance des juges.
Lors d'un entretien télévisé diffusé de New-York, à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations Unies consacrée à des problèmes essentiels pour la planète et notre pays, Nicolas Sarkozy a, par la parole, condamné, devant des millions de Français, des présumés innocents.
Comme citoyen, ce qu'il pouvait penser, il lui est interdit de le dire. En sa qualité de Président de la République, garant de l'indépendance de la Justice, il ne pouvait que se taire.
Les effets de ce lapsus vont être dévastateurs.
Soit les prévenus sont condamnés et on aura beau jeu de dire que les juges ont été dociles et ont répondu au vœu du Président. Soit, au contraire, ils sont relaxés et on en déduira qu'il s'agit d'une fronde des magistrats contre l'exécutif.
Ce procès ne pourra pas se dépêtrer de cette bavure, quelque forme qu'on y mette et quelque talent que ses acteurs y déploient. Ce qui compte en effet, c'est que tous les citoyens soient convaincus que la justice a été rendue en leur nom, pour obéir à des impératifs fondateurs de la démocratie et non pas pour satisfaire ici une querelle personnelle ou là une vindicte corporatiste.
Un régime capable de juger de hautes personnalités démontre, ce faisant, son aptitude à assurer la primauté du droit qui se moque des privilèges. Mais lorsqu'il transforme une affaire d'Etat en bataille de chiffonniers qui déconsidère la justice, les citoyens doivent pas être dupes.
Francis Teitgen, ancien bâtonnier du barreau de Paris.
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Image de Une: Arrivée au tribunal lors du premier jour du procès Clearstream Charles Platiau / Reuters