Monde

Pour l'Amérique, l'Europe devient quantité négligeable

Temps de lecture : 4 min

Pour la diplomatie américaine, le vieux continent ne sert plus qu'à prendre des photos pittoresques et donner des discours officiels.

Soyons brutalement francs. Le 60ème anniversaire de l'OTAN, célébré au mois d'avril, était barbant. Le président américain ne s'y est visiblement pas intéressé. Ses homologues européens, quoique plus habitués aux «célébrations» qui consistent en des discours multilingues grandiloquents et soporifiques, ne se sont pas montrés plus enthousiastes. A la clôture de l'événement, les Etats-Unis ont vaguement demandé aux membres de l'Alliance atlantique d'envoyer des troupes en renforts en Afghanistan. Une requête qui est pratiquement restée sans suite.

Soyons un peu plus francs. Le président Obama a décidé d'assister à la cérémonie du 65ème anniversaire du débarquement en Normandie au mois de juin. Intrigant, n'est-ce pas? Pourquoi avoir choisi le 65ème anniversaire? Ce n'est même pas un nombre rond. Comme au départ, on ne s'attendait pas à ce qu'il vienne, la liste des invitées (où même la reine d'Angleterre ne figurait pas) à dû être allongée à la dernière minute. Les anciens combattants ont apprécié la présence du président américain: il a fait un superbe discours dans lequel il a loué le courage des hommes ordinaires qui «en temps de danger extrême, dans les circonstances les plus sombres [...] ont trouvé les ressources intérieures pour accomplir quelque chose d'extraordinaire». Néanmoins, l'impact politique de ce message est demeuré limité. Aucun pays ne s'est concrètement engagé à renforcer ses effectifs militaires en Afghanistan.

Soyons encore plus francs. Il est difficile d'échapper à cette impression que - au moins sur le plan des relations avec l'Europe - l'administration Obama suit exactement la ligne tracée par l'administration Bush. Depuis dix ans, les Etats-Unis considèrent le vieux continent comme un magnifique décor pour prendre des photos officielles (dans sa campagne, Obama a même utilisé la Porte de Brandebourg comme toile de fond à son discours de l'été 2008) et pour revenir sur les grands exploits historiques. Mais ni les républicains, ni les démocrates ne semblent juger que l'Europe mérite qu'on y envoie des ambassadeurs chevronnés - comme Bush, Obama a attribué des postes d'ambassadeurs à un nombre non négligeable de donateurs de campagne - ou qu'on y accorde une importante attention diplomatique.

Quant à l'Europe centrale, Washington considère qu'elle ne requiert simplement aucune espèce d'effort diplomatique. La semaine dernière, après minuit, on a sorti le Premier ministre tchèque de son lit pour l'informer d'une décision non urgente de la Maison Blanche: l'annulation du programme de défense antimissile (les discussions sur ce dossier avaient duré plusieurs mois).

Le Premier ministre polonais a refusé un appel ayant la même teneur. Mais cela n'a rien de nouveau: initialement, la décision du gouvernement de Bush d'installer un bouclier antimissile ainsi qu'un radar en Europe centrale avait été prise sans concertation aucune avec des responsables politiques de la région (ni à minuit, ni à midi). En 2007, la lettre officielle qu'avait adressée le Pentagone aux pays d'Europe centrale concernés suggérait à ceux-ci de renvoyer une «réponse». Les gouvernements de Prague et de Varsovie devaient en fait se contenter de signer au bon endroit et de retourner la missive.

En réalité, le système de défense antimissile balistique (AMB) était impopulaire à l'époque, et il l'est encore aujourd'hui, dans toute l'Europe. Si les Polonais et les Tchèques étaient favorables à l'établissement de bases américaines, c'est uniquement parce que cela impliquerait la présence de soldats américains sur leur territoire. Cette attitude est exclusivement due au fait que les deux prédécesseurs d'Obama avaient refusé d'investir dans toute représentation de l'OTAN en Europe centrale et n'avaient pas donné l'impression de vouloir faire quoi que ce soit d'autre en Europe. Du coup, certains craignent qu'aujourd'hui les Américains n'adhèrent plus tellement aux préceptes de base du traité de l'OTAN (lequel stipule notamment qu'une attaque contre un Etat membre est une attaque contre tous [les Etats membres]). La secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, a eu beau se démener pour prouver le contraire, quand on voit les Russes ainsi que d'autres puissances faire d'importants investissements militaires, cette impression n'est que renforcée.

La situation est paradoxale: en Europe, le président Obama demeure le leader américain le plus populaire de mémoire d'homme. Mais il n'a pas réussi à capitaliser sur sa popularité, en partie parce qu'il n'a pas su l'exploiter. Jusqu'ici, son seul message à l'adresse de l'Europe (« il faut envoyer plus de soldats en Afghanistan») est brouillé par sa propre ambivalence au sujet de la mission américaine dans ce pays. Il n'a guère essayé de convaincre qu'il a repensé la question afghane. Par ailleurs, il n'a pas proposé d'autres initiatives conjointes de sécurité aux grandes puissances démocratiques du monde. Pour commencer, il pourrait dire à ses amis européens qu'il ne posera plus pour des photos avec eux à moins qu'ils n'acceptent de discuter des plans de crise et des exercices conjoints de l'OTAN que l'Alliance atlantique a abandonnés il y a plusieurs années.

Les Européens ont également leur part de responsabilité là-dedans - cela va sans dire. Pour l'Europe, l'arrivée d'un nouveau gouvernement à la Maison Blanche constituait une occasion pour prendre un nouveau départ et lui soumettre des idées au lieu d'attendre qu'il parle en premier. Brutalement frappés par la récession et encore incapables de tenir un discours un tant soit peu unifié, les Européens sont toujours aussi mous et passifs à propos de leur propre défense.

Et il est bien possible que même le plus populaire des présidents américains de notre époque ne puisse pas les interpeller face aux dangers potentiels d'un chantage énergétique de la part de la Russie, d'un Iran nucléarisé ou du terrorisme international dans leur pré carré. Ce serait toutefois plus rassurant si Barack Obama s'efforçait au moins de le faire.

Anne Applebaum

Traduit par Micha Cziffra

Image de Une: Barack Obama sur les plages de Normandie Philippe Wojazer / Reuters

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