Culture

La dérive light du vampire

Temps de lecture : 5 min

Les créatures versions True Blood et Twilight sont l'ombre d'elles-mêmes.

Quand en 1897, Bram Stoker écrit Dracula, l’histoire d’un monstre buveur de sang qui sème la panique et la mort à Londres, il fait de la créature impie un mort-vivant à la sexualité ambiguë, qui apporte maladie et contamination, symbole de l’invasion étrangère et de la «corruption» sexuelle de la sage femme victorienne... Avec un tel CV, le vampire ne pouvait que fasciner et venir hanter nos écrans. Cent ans après sa naissance dans les Carpates, le Dracula d’aujourd’hui fait toujours le bonheur des spectateurs, mais le ressort de son succès est devenu bien gentillet.

Le bien pâle Edward de la saga Twilight par exemple est un vampire bien peu menaçant: il ne boit que le sang d’animaux, n’attaque jamais les humains et refuse de céder à ses pulsions sexuelles. Et si Edward fuit le soleil comme un vrai vampire, c’est uniquement parce que lorsqu’il est exposé, il brille comme un diamant! Le monstre sanguinaire du XIXe siècle a bel et bien laissé place à un héros romantique, jeune, beau et blond. Pire, il est devenu commun et sa vie de mort-vivant est pleine d’événements ordinaires: au lieu de parcourir le monde et de profiter de son immortalité, il choisi de repasser son bac chaque année!

Le vampire imaginé par Stoker était au contraire un être inhumain, cruel et diabolique, capable comme Satan de se transformer en créatures des ténèbres comme la chauve-souris ou le loup et de commettre tous les crimes possibles sans éprouver le moindre remords. Après tout, c’est normal : Dracula ne ressent rien, il n’est pas un homme. Les cinéastes du XXe siècle, de Murnau à Herzog, l’avait bien perçu: le vampire leur permettait de poser la question du Mal absolu (la peste ou le nazisme). Et si chez Coppola le vampire devient aussi un être romantique, il conserve néanmoins toute sa dimension monstrueuse. Meurtres, viols, rire diabolique, sida… Coppola n’oublie rien.

Le tournant apparaît avec Entretien avec un vampire. La créature ne vieillit pas et garde l’apparence physique de l’époque de sa transformation. Les vampires sont donc désormais jeunes et beaux. Anne Rice ouvre la voie à la mode Twilight mais avec ce stratagème elle introduit tout de même la pédophilie, un élément fidèle par son esprit à Stoker. Dans le roman, une petite fille est transformée en vampire, ainsi condamnée à rester dans son corps d’enfant alors que son esprit et ses désirs grandissent. Résultat dérangeant puisque l’enfant entretient avec le vampire Louis de Pointe du Lac une relation de couple.

Les fictions qui suivent conserveront cette idée d’un vampire jeune et donc sans âge mais le délesteront de toute ambiguïté sexuelle. Le vampire, symbole du Mal, n’est donc plus qu’un jeune adolescent au teint pâle et en quête d’amour pur (au sens physique autant que moral). Et si c’était cette vision rassurante de la sexualité non agressive offerte aux adolescentes (et à leurs mères) qui expliquait le succès de la saga?

La série d’HBO True Blood propose quelques thèmes intéressants. On y découvre un mode où les vampires ont fait leur coming out: après des siècles de vie cachée, ils sortent de leur cercueil et affirment leur droit d’existence dans le monde des humains. Une boisson chimique nommée True Blood, leur permet (en théorie) de survivre sans s’attaquer aux vivants. Mais l’instinct animal est bien trop présent pour que toute la population vampire parvienne à se contrôler. Si la série sombre comme Twilight dans un romantisme forcé entre les deux personnages principaux, Bill le vampire et Sookie l’humaine, l’intérêt principal tient à la métaphore politique.

Le racisme subi par les vampires devient la métaphore de l’homophobie. La deuxième saison voit l’arrivée d’une Eglise fondamentaliste, «The Fellowship of the Sun» («la Communauté du Soleil»), qui prépare ses fidèles à une guerre sauvage contre les vampires. D’autre part, les personnages secondaires apparaissent plus réussis car plus complexes : Lafayette, l’homosexuel provocateur face à une population qui a du mal à l’accepter, Eric le vampire, cruel mais touchant dans sa relation avec celui qui l’a transformé, ou encore Tara, fille d’une mère alcoolique, en quête d’identité. Cependant tous ces thèmes restent fugitifs et l’action basique l’emporte sur l’approfondissement.

La sexualité perverse du vampire, véritable danger chez Stoker, est ici utilisée comme simple prétexte pour cumuler des scènes sexuelles sans intérêt. Leur unique but: égayer un peu le sage paysage de la télé américaine (la chaîne HBO étant une chaîne câblée, la nudité et les jurons y sont acceptés et sont presque devenus la signature de la chaîne). Le vampire n’est plus ni mystérieux, ni bien original. Il se contente de vivre la nuit, de s’abreuver de temps en temps de sang humain. Le vampire s’est même civilisé: chaque vampire répond à un supérieur. L’autorité règne sous forme de monarchie, chaque état américain possédant un roi ou une reine vampire.

Dracula était la seule figure masculine maléfique à régner sur une population de femmes vampires, prêtes à tout pour servir leur maître. A l’inverse, Twilight et True Blood regorgent de vampires musclés, tous plus séduisants les uns que les autres. Le caractère exceptionnel de Dracula a disparu dans ces fictions modernes. Il faut dire que série et saga visent un public bien particulier, essentiellement adolescent et féminin. Même schéma dans la nouvelle série de la chaîne CW (quoique plus soft que True Blood), The Vampire Diaries : les vampires sont encore une fois des lycéens. Et Hollywood ne compte pas s’arrêter là puisque Ridley Scott vient d’annoncer son projet d’adaptation de The Passage, roman de Jordan Aisley où des patients en phase terminale d’une maladie sont sauvés miraculeusement par la morsure d’une chauve-souris.

Pour redonner le lustre d’antan à la vision du mythe du vampire, il faudra compter sur Tim Burton qui a annoncé vouloir adapter la vieille série Dark Shadows à l’écran avec son fidèle compère Johnny Depp. Espérons que le roi du gothique saura redonner au vampire le sens et l’intérêt qu’il mérite.

Juliette Berger

Lire également: "Vampire Diaries": Imaginez Dawson avec des crocs; Toutes amoureuses des vampires; Cinéma: de vampires en pire

Image de Une: Edward et Bella, héros de Twilight. Allociné

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