Culture

Le mot: Intox

Temps de lecture : 2 min

Le mot de la semaine;

Sauf erreur, c'est à Thierry Ardisson que l'on doit la première formulation de la grande question ontologique de notre temps: info ou intox? Avouons que l'on n'aurait pas imaginé l'animateur, quoique Frégoli d'élite assumant sur le petit écran et à la ville toutes sortes de personnages — y compris, à la Maurras, celui de défenseur de la Monarchie, en pionnier du langage. Mieux: en visionnaire. Tant il est patent que nul, voici quelque douze ans, n'aurait su prévoir le story telling, la triangulation et l'envahissement du Net par les bavards.

Edgar Morin, dans sa Rumeur d'Orléans, avait caricaturé, pour mieux les dénoncer, les commères «cancanogènes et papotagéophores». Aujourd'hui, nos commères s'appellent multitude, et cancans et papotages abondent. Si bien qu'il nous faut, tel Socrate maïeutiquant au pied de l'Acropole, arracher les pépites du vrai à la gangue du faux — du buzz, voulait-on dire, alimenté par les naïfs, les pseudo-candides, les conspirationnistes, les investigateurs des évidences, les conquérants de l'inutile et les rumoristes (nous suggérons l'adoption de ce mot, tout de même moins vilain que le lobbyiste dont nous sommes pourtant saturés, pour désigner celles et ceux qui font métier, aux fins d'intoxication, de fabriquer les rumeurs et de les lancer). A la salubrité de cet exercice-là, auquel philosophes et journalistes (les philosophes authentiques, s'entend, et les bons journalistes) ont toujours dû se livrer, nous avons tous — l'honnête homme, l'honnête femme, parité oblige, et les citoyens en général — été invités la semaine dernière. La rentrée démarre fort, auraient sans doute écrit certains de nos confrères. Tentez donc, par parenthèse, de visualiser une rentrée qui démarre: vous obtiendrez une image qui dépasse l'onirisme des surréalistes passés, présents et à venir. On ne se méfie jamais assez des clichés, tropes et autres idées reçues.

On a vu l'intoxe fleurir de tous côtés, à partir de faits incontestables. A ce jeu, l'on en est réduit à se demander, en vain le plus souvent, à qui le forfait profite.

Considérons par exemple le cas de Ségolène Royal. Tous ceux qui ont vu le nouveau site de Désir d'Avenir l'ont jugé ringard, moche et prétentieux. Pas de contestation là-dessus. Mais l'intox s'en est mêlée pour glisser que son financier Pierre Bergé, désenchanté par les gaffes à répétition de la Madone du Chabichou, ses foucades et ses inconséquences, aurait refusé d'en régler la note à son compagnon. Et on ne s'est pas arrêté en si bon chemin puisque l'on nous a aussitôt affirmé que les Désirs d'Avenir précités n'étaient plus ce qu'ils étaient. A preuve, nous expliquait-on, la moindre affluence observée aux journées de Montpellier.

On relèvera que Pierre Bergé a démenti sans désemparer, d'une part (quoique non sans quelque mollesse...), et, d'autre part, que l'audience de Montpellier n'était peut-être pas sans liens avec la jauge de la salle probablement moindre que celle du Zénith. Mais quel média a fourni cette info à ses lecteurs? Si la Vierge de Melle est tombée en mauvaise place dans les sondages, l'intoxe a joué un rôle de premier plan dans sa dégringolade.

Autre exemple, à propos cette fois du procès Clearstream. La défense de Dominique de Villepin et les villepinistes ont, faut-il croire, manié l'intoxe à tout va. N'a-t-on pas entendu de bons esprits réputés indépendants proclamer, avec force et conviction, que Nicolas Sarkozy allait y risquer sa présidence et sa réélection? Certains l'ont écrit, même. À oublier, quoi qu'en ait clamé l'ancien Premier ministre hors la salle d'audience, que le président de la République ne figure quand même pas, lui, sur le banc des prévenus.

Un Beaumarchais, fin connaisseur en calomnie, aurait ricané de nos jours: «épandez de l'intoxe, davantage d'intoxe et encore de l'intoxe, car il en restera toujours quelque chose».

Marc Menonville

image de une: wikimedia

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