Culture

Visitez l'atelier de Marc Desgrandchamps, le peintre français maître de l'évanescence

Temps de lecture : 4 min

Rendez-vous a été pris à Lyon pour rencontrer l'artiste contemporain dont la reconnaissance ne cesse de croître. Reportage.

Marc Desgrandchamps Sans Titre 2015Avec l'autorisation de la Galerie Zürcher
Marc Desgrandchamps Sans Titre 2015Avec l'autorisation de la Galerie Zürcher

Très peu d’artistes français contemporains sont reconnus sur la scène internationale. Marc Desgrandchamps est une de ces exceptions. Quand il m’ouvre la porte de son grand atelier, situé depuis une quinzaine d’années dans le centre de Lyon, le regard est tout de suite attiré par le sol recouvert d’un singulier mélange de papiers et de magazines.

Il se pose ensuite plus longuement sur ce petit bureau où s’entassent des boites de photos, des images de magazines, des esquisses et quelques cahiers, dont ceux sur lesquels l’artiste décrit l’historique de chaque pièce qu’il a créée, le journal de son travail, une sorte de «proto» catalogue raisonné.

Passé une barrière invisible, on entre dans l’espace réservé au travail du peintre et on distingue les tubes de couleurs mutilés, les palettes confectionnées d’une feuille d’aluminium sur du carton, une multitude de pinceaux conservés dans des bocaux, et des boites de photos argentiques empilées qui pourraient rivaliser en hauteur avec les piles de CD au fond de l’atelier, en attente d’être écoutés. Aucun siège pour recevoir le visiteur. Cet atelier est le domaine réservé du peintre. Marc Desgrandchamps, silhouette longiligne, y déambule, imperturbable.

Aucune toile sur le mur qu’il réserve à son travail, juste quelques clous qui permettent de suspendre le canevas qu’il réalise… et quelques traces de pinceaux énergiques laissées par des ouvrages précédents. Des grands formats retournés sont appuyés sur un mur, une seule toile dont il a commencé le travail préliminaire s’offre au regard.

La figuration, «une évidence»

Il faut aller au fond de l’atelier pour entrevoir le mini- jardin et apercevoir une source de lumière. Je suis à la recherche de l’origine de ce bleu intense qui inonde ses œuvres depuis une quinzaine d’années, de cette lumière qui aspire, se dilate, façonne les espaces hors des limites de ses toiles, qui projette les transparences et les ombres. Définitivement, elle ne provient pas de cet atelier, situé au rez-de-chaussée d’un immeuble anonyme.

Marc Desgrandchamps, 55 ans, vit et travaille à Lyon depuis sa sortie de l’école des Beaux-Arts de Paris. Il a choisi la peinture et la figuration, ce qui était tout sauf facile au milieu des années 1980. Pourtant, cette voie lui a toujours «semblé une évidence». Une détermination qui a réussi à imposer l’artiste français, à hisser sa peinture figurative délicate et inhabituelle sur la scène contemporaine internationale. En l’espace de quelques années, la qualité de son travail a été reconnue avec des expositions muséales en Allemagne, en France au Centre Pompidou et au Musée d'art moderne de Paris pour une première rétrospective en 2011, mais aussi en Chine.

À la source, l'inspiration d'autres images

Sa première inspiration, il l’a naturellement tiré de «l’histoire de la peinture», de grands maîtres comme Poussin ou Kasimir Malevitch, dont il se réfère parfois dans des détails inattendus qui parsèment ses toiles. Lentement, il s’en est «libéré» et aujourd’hui, il puise l’essentiel de son travail dans d’autres sources: le cinéma, notamment celui d’Antonioni ou de Fellini, ou dans «le pouvoir existentiel» des images, qu’elles soient découpées dans des magazines, tirées d’Internet, ou prises par lui, à la volée afin de ne saisir que des attitudes ou des formes.

Ensuite vient la réappropriation de ces images: ces figures féminines sans visage, ces chevaux égarés, ces paysages de montagne ou de plage, Marc Desgrandchamps les superpose, les combine, les confond dans des scènes énigmatiques, les laissant se fondre sur la toile pour créer des instantanés, libérés de tout contexte, de tout lieux.

L’artiste français travaille sur plusieurs toiles simultanément, et accorde beaucoup d’importance au séchage dont il a perçu l’importance au fil du temps. Il fait désormais parti d’une gestuelle essentielle dans la maîtrise de son travail. La seule peinture retournée aperçue dans son atelier, est une toile dont le fond est achevé, une ligne d’horizon séparant les fonds bleu et ocre opaques.

Un bleu cristallin

L’épaisseur toute relative de la texture, offre un relief particulier à ses toiles. Une fois sèche, la toile est prête. Je lui ai demande s’il a une idée précise de la composition de son tableau, il me répond que l’idée il l’a, et qu’elle va «forcément évoluer» que cela ne peut être définitif, qu’il travaille sans «schéma préconçu».

Désormais son travail joue entre opacité et transparence, il entremêle des couleurs intenses dont ce bleu issu d’un mélange de bleu de Prusse et de bleu Cérulée. Ce bleu particulier, cristallin, sans doute le souvenir d’un séjour sur une île grecque, donne une impression «très évasive même si cela rentre dans un cadre», et les contours estompés donnent à son espace une dimension et une structure glissante, ces fameuses «Ombres blanches». Ces figures sont fugitives, son trait est simplifié, la composition est fragmentée.

Sujet suspendu

Sa dernière œuvre, un pentaptyque qu’il va présenter dans quelques mois en Allemagne est habitée par l'omniprésence du bleu, le modelé fugace des personnages et leur évanescence. Le fil rouge qui court le long des 5 toiles marque le seul lien tangible entre elles. Ces zones qui paraissent travaillées séparément marquent un prolongement du tableau vers le lointain, aucune histoire n’est comptée. Le sujet du tableau est suspendu, ce n’est jamais une histoire définie par avance mais une scène en devenir, un souvenir plutôt «qu’une description organisée». On y trouve des bribes de scènes qui retiennent le temps dans un monde à la fois familier et difficile à déchiffrer.

La peinture de Marc Desgranchamps laisse le spectateur libre. Libre de choisir dans quelle partie de la toile il veut s’ancrer et quelle histoire il veut s’inventer. Elle le laisse «glisser» sur les apparences.

À voir: exposition Marc Desgrandchamps «Ombres Blanches» à la Galerie Zürcher. 56, rue chapon, Paris IIIe , jusqu’au 17 octobre 2015.

À lire: le catalogue de la rétrospective organisée par le Musée d’art moderne de la ville de Paris en 2011 .

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