Entre la contestation de sa réforme du collège et le projet de nouveaux programmes modifiés, voilà que la ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, dégaine une dictée quotidienne. Une interview sur Europe 1, une tribune dans Le Monde qui titre «Le Retour de la dictée quotidienne à l’école»… bingo, le pari d'une reprise en main de sa communication est gagné. On n’a parlé que de cela ce week-end.
La dictée tranquillise, la dictée fédère. La dictée, c’est le passé dans le présent, l’école immuable et rassurante (surtout quand on ne fait pas soi-même cette dictée, avec une note à la clé). Un invariant scolaire, une expérience commune, un «lieu de mémoire» pour reprendre la typologie chère à l’historien Pierre Nora. Nous avons tous fait des dictées, et quand la ministre en parle, tout le monde comprend, on sait où on va.
Le refrain de l'école immuable
Mais, enfin, de quel retour parle-t-on? Celui de la dictée quotidienne me fait penser à cette marque de Yaourt qui met La Laitière de Vermeer sur des pots qui sortent d’une usine… Si vous avez été scolarisés dans les années 1980, vous n’avez sûrement pas fait de dictées tous les jours, Najat Vallaud-Belkacem non plus. La dictée quotidienne date plutôt de l’époque de la scolarité des grands-parents des élèves d’aujourd’hui. D’une école à l’ancienne, celle de mon père pour qui la dictée c’était:
«5 lignes tous les jours. Et la matière était obligatoire à l'examen d'entrée en sixième que j'ai passé à 11 ans et au certificat d'études que j'ai passé à 14 ans.»
Et quand la ministre parle de dictée, c’est à cette école que nous pensons.
J’ai adoré faire faire des dictées. Passer dans les rangs en répétant bien chaque phrase «virgule», en articulant «point»
Personnellement, pendant les quelques mois où j'ai pu enseigner le français, j’ai adoré faire faire des dictées. Passer dans les rangs en répétant bien chaque phrase «virgule», en articulant et en pointant sur une copie un pluriel oublié est un des souvenirs les plus amusants de cette passionnante expérience «point». À ce moment-là, je jouais à la prof et cela semblait presque facile. J’aurais pu être dans les années 1950, dictant du Blaise Cendrars, projetée dans l’école immuable. Je me sentais moi-même rassurée et à ma place.
Et la réforme de l'évaluation!
Le gros moins de la dictée demeure à mes yeux que c’est un générateur de mauvaises notes. Il faut savoir s’en servir pour faire progresser les élèves, ne pas les décourager et les entraîner à devenir insensible à leurs échecs et aux mauvais résultats. Mais cela, les déclarations ministérielles n’en disent rien.
Tiens les notes. Le ministère de l’Éducation nationale n’était-il pas censé réformer l’évaluation? Il y a encore quelques semaines, on se demandait s’il fallait supprimer la notation sur 20. Une dictée n’est-elle pas par essence un exercice noté même à l’école primaire? Mais foin de contradictions. Il ne s’agit que d’une déclaration dans la presse, ou plutôt pour la presse, dont l’objectif est de faire écran, à la parution du projet de programmes scolaires le même jour. Des programmes qui ont animé le débat éducatif tout au long du printemps.
La parole aux professeurs
Au fait que se passe-t-il sur le terrain? Dans les classes? Aucun enseignant ne contredira une ministre qui considère que les élèves ont besoin de s’exercer pour que les apprentissages soient plus solides. Beaucoup le font déjà. Les dictées, oui c’est un outil comme un autre. D’ailleurs il y a des tas de manières de faire des dictées:
@louisetourret, il existe des tas de dictées: négociée, frigo, escalier, de mots, de phrases, à trous,... tout est affaire de choix pédago.
— léa panvier (@leapanvier) September 18, 2015
Et pourquoi pas la twictée…
@louisetourret les dictées négociées ne sont pas une punition mais un réel travail de groupe, collaboratif et coopératif. 1/2
— Fabrice Marrou (@Fabmarrou) 18 Septembre 2015
La dictée dialoguée : le texte est lu une première fois en entier. Puis à chaque phrase dictée, les élèves ont le(1)@louisetourret @Slatefr
— Klelia Conti (@KleliaConti) 18 Septembre 2015
@louisetourret @Slatefr (2) droit de poser des questions sans utiliser de chiffres et de lettres. Exemple : le verbe "marchaient" est-il
— Klelia Conti (@KleliaConti) 18 Septembre 2015
@louisetourret @Slatefr (3) conjugué à la troisième personne du pluriel ? Le prof ne peut répondre que par oui/non. Cela les incite à
— Klelia Conti (@KleliaConti) 18 Septembre 2015
@louisetourret @Slatefr (4) utiliser, manipuler les termes de grammaire et à faire le lien entre leurs cours de grammaire et ceux d'ortho.
— Klelia Conti (@KleliaConti) 18 Septembre 2015
Puis ouf, les enseignants ne comptent pas que sur elle.
@louisetourret : pas que la dictée pour appr. l'orthographe ! Ateliers d'écriture, journaux scolaires, correspondance, @twicteeOfficiel...
— LACATON Isabelle (@IsabelleLacaton) 18 Septembre 2015
En définitive, les enseignants feront comme ils voudront avec les dictées. Et la circulaire qui encadrerait cette pratique est loin d’être parue. La qualité de l’enseignement de l’orthographe et de la langue ne dépendra pas que de la dictée. Mais avec cette annonce, la ministre exécute rien de moins qu’une des figures imposées attachées au poste qu'elle occupe. Faire appel aux mythes scolaires et se tourner en arrière, comme si toutes les solutions à tous les maux de l’école se trouvaient tout simplement dans son passé. Comme si on n’avait jamais rien de mieux à faire qu’à invoquer des formules magiques. Jules Ferry, ça marche aussi. (Tout comme le numérique, si on préfère appuyer sur la touche «futur enchanté»).
C’est dommage pour la communauté éducative. Mais, après des mois de polémiques sur la réforme des programmes et sur la réforme du collège, la ministre montre avec cette annonce simpliste qu’elle a compris ce qu’on attendait d’elle. On a le débat public qu’on mérite après tout.