«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes.
Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
J'ai 28 ans et je suis avec un homme de 38 ans qui a 4 enfants. Nous vivons une relation fusionnelle depuis deux ans. Ma relation avec ses enfants n'est pas facile mais, heureusement, nous ne nous voyons pas tous les jours...
Nous avons chacun notre maison, lui vivant dans la sienne une semaine sur deux avec ses enfants. Je vais chez lui de temps en temps et lui est chez moi quand il n'a pas les enfants. Nous ne pouvons pas envisager de vivre dans la même maison pour des raisons professionnelles.
Par ailleurs, il est quelqu'un de très indépendant et a besoin de faire bon nombre d'activités. Il profite ainsi de ses week-ends sans ses enfants, ce qui, pour l'instant ne me dérange pas plus que cela puisque j'en profite également pour faire mes trucs de mon côté.
Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il le fait juste pour me faire plaisir
Puis un désaccord a surgi: la question d'avoir un enfant. Lui n'en veut plus et moi j'aimerais bien avoir un jour la chance de materner. Après des menaces de rupture, il a fini par céder et me voilà sans contraception... Je sais qu'il m'aime et c'est pour ça qu'il accepte de faire un enfant. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il le fait juste pour me faire plaisir et que lui n'en a pas vraiment envie. Il m'a également prévenu qu'il ne pourrait pas être beaucoup présent pour cet enfant (moins que moi en tout cas) parce qu'il en a quatre autres à gérer. Je sais aussi que ma maison sera la maison de cet enfant. Je sais également que ce sera mon unique enfant et je dois l'accepter...
J'ai finalement peur de faire cet enfant toute seule, avec un père quasi absent puisque trop préoccupé par ses 4 autres enfants et son besoin de liberté. J'ai peur de devenir une sorte de mère célibataire n'ayant plus de temps pour moi. J'ai peur de regretter de me lancer dans cette aventure, sachant toutes les embûches qui m'attendent.
Maude
Chère Maude,
Avoir un enfant est une affaire de couple. C’est une question indépendante de ce qui a été fait avant, indépendante des contraintes, principalement parce qu’on a jamais aucune idée du réel bouleversement que cela va provoquer dans notre vie, en bien ou en mal. On peut s’inventer des étapes, des lignes à cocher dans une to-do liste imaginaire (avoir eu une promotion, être propriétaire, être en couple depuis au moins deux ans, avoir voyagé) mais ce n’est qu’une manière de reculer l’échéance.
Veut-il dire que vous gérerez seule, absolument tous les gestes et les actions de parent?
Vous, vous avez la chance de savoir ce que vous voulez: vous avez envie d’avoir un enfant et vous en avez envie avec cet homme, que vous aimez. Avec quatre enfants déjà dans ses bagages, ne doutez pas de sa capacité à savoir dans quoi il s’engage quand il vous laisse arrêter toute contraception. Je ne doute pas, s’il s’engage autant pour sa progéniture, qu’il se laissera conquérir par votre enfant, qui sera autant que les autres, la chair de sa chair. Je ne doute pas également qu’on puisse avoir une famille fonctionnelle sur un modèle qui sort des schémas traditionnels, c’est-à-dire, dans votre cas, avec deux parents qui s’aiment mais, pour des raisons x ou y, ne partagent pas le même domicile.
Les questions qui me viennent sont donc bêtement triviales: s’il a accepté de participer à la conception de cet enfant, s’est-il engagé à le reconnaître aux yeux de la loi? C’est une question qui me paraît essentielle puisqu’une réponse négative vous définirait comme une femme «à côté» avec un enfant de moindre importance et qu’il me paraît évident que cela change beaucoup de choses sur votre positionnement. Quand il précise qu’il ne sera pas très présent pour cet enfant, veut-il dire qu’il ne souhaite pas s’impliquer plus que ça dans son éducation, sa vie au quotidien? Veut-il dire que vous gérerez seule, absolument tous les gestes et les actions de parent? Et surtout où place t-il le curseur de son implication émotionnelle?
Comme tous nouveaux parents, vous vous organiserez
Parent moi-même, il me paraît absolument impossible d’accepter de faire un enfant «pour faire plaisir» en connaissance de cause. Peut-être que cet enfant lui fait peur parce que oui, cinq enfants, c’est beaucoup. Peut-être que les bouleversements que cela implique dans sa vie et dans votre relation l’angoissent. Et vos questionnements à vous sont en fait des questionnements naturels de future mère: Va t-il s’impliquer? Ne suis-je pas en train de gâcher ma vie et ma jeunesse alors qu’il va m’abandonner à la moindre épreuve pour une femme plus jeune qui n’aura pas eu d’enfant (et idéalement, n’en voudra pas)? Rassurez-vous, sa réaction est en fait la preuve qu’il doute autant que vous. La magie de la parentalité est que ce doute permanent (doute et culpabilité font partie du package de la vie de parent, c’est comme ça) est entrecoupé de moments magiques où l’existence de ce petit être supplémentaire est une évidence.
Si cet enfant vous tient à cœur, tout comme cette relation, alors vous trouverez la force et le courage pour les faire cohabiter dans votre vie. Comme tous nouveaux parents, vous vous organiserez. Et une dernière chose: si tous les futurs parents avaient la moindre idée de la quantité d’embûches qui les attendent, le taux de natalité de notre pays serait drastiquement revu à la baisse. Heureusement que les gens qui s’aiment sont un peu fous, un peu irresponsables et un peu amnésiques. Parce que rien ne les prépare à ce déferlement de galères et d’amour. Comme vous le dites si bien, c’est une aventure. La seule question qui subsiste alors est: êtes-vous prête pour cette aventure?