Début septembre, le Washington Post révélait l'existence d'une campagne d'élimination de chefs de l'État islamique (EI) en Syrie menée conjointement par la CIA et les forces spéciales américaines. Un programme qui s'appuie sur des frappes menées par des drones.
Les partisans des drones font valoir qu'ils sont un moyen efficace de réduire les capacités de Daesh, sans avoir à mener une offensive hasardeuse sur le terrain. Les opposants leur rétorquent que le risque de victimes civiles est trop élevé. David Alpher, professeur adjoint spécialiste en analyse et résolution des conflits à l'université George Mason aux États-Unis, répond aux deux camps: d'après son expérience, passée pendant quatorze ans à analyser et travailler sur des programmes de résolution de conflits et de violences extrémistes, il n'y a aucune preuve que les drones soient efficaces.
Les cibles tuées sont vite remplacées
Il existe deux pays où des attaques de frappes de drones ont été menées à grande ampleur ces dernières années: le Yémen et le Pakistan. Pour son analyse, David Alpher s'est basé sur la base de données sur le terrorisme mondial de l'université du Maryland et sur les chiffres du Long War Journal.
Il remarque d'abord qu'à l'exception d'un léger déclin au Pakistan en 2014, le nombre d'attaques terroristes contre des cibles américaines augmente depuis que les frappes aériennes ont commencé.
Exemple de graphique élaboré par David Alpher: en bleu le nombre d'attaques terroristes, en orange le nombre de frappes de drones américains.
«Malgré l'affirmation de l'expert en Affaires étrangères Daniel Byman que les hauts dirigeants tués pas des drones ne sont pas faciles à remplacer, le nombre de "numéro 2 d'Al-Qaïda" tués depuis 2001 est tellement élevé que même le site satirique The Onion a commencé à s'en moquer en 2006. De même, lorsque CNN a annoncé la mort du leader Nasir al-Wuhayshi en juin dernier, le nom de son remplaçant était précisé dans le même article.»
Rien ne remplace une intervention au sol
L'impossibilité de gagner une guerre grâce à des frappes aériennes est un fait établi au sein de l'armée, précise le professeur. Selon lui, une intervention au sol est nécessaire, et elle doit être dirigée par des troupes locales. Mais, en Syrie, les seules troupes présentes sont liées à Bachar el-Assad, «un despote qui a apparemment l'intention de les utiliser pour éradiquer sa propre population».
Daesh s'étant installée dans des zones urbaines, le rayon de l'explosion reste trop grand
De plus, en Irak comme en Syrie, Daesh «recrute plus de nouveaux membres que nous en tuons». Le seul petit avantage de l'armée américaine, selon David Alpher, est que l'autoproclamé État islamique s'est accaparé un territoire et a l'intention de le garder. Cette zone représente donc une cible. Mais les frappes aériennes ne pourront en aucun cas être «chirurgicales». Daesh s'est installée dans des zones urbaines et même avec des technologies très précises (entre 15 et 20 mètres pour les missiles Hellfire), le rayon de l'explosion reste trop grand.
«Nulle part je n'ai trouvé des chiffres montrant que les attaques par drones sont efficaces. Cette méthode s'est seulement soldée par beaucoup de sang versé et d'argent dépensé pour rien. Sans stratégie politique, le résultat risque d'être le même en Syrie.»
Un effort contre-productif?
David Alpher n'est pas le premier à questionner l'efficacité des drones. En 2011, le Washington Post notait que les frappes par drone s'étaient intensifiées depuis l'arrivée au pouvoir de Barack Obama, sans que le nombre de «cible de haute valeur» atteintes, c'est-à-dire les leaders, n'augmente lui aussi.
Sur son site, Thierry Randretsa, docteur en droit mention sécurité internationale et défense à l’Université Jean Moulin Lyon III, livre lui aussi une analyse de l'efficacité des drones et souligne l'importance de la nature de la relation entre la population et l'organisation terroriste. Une attaque aérienne peut pousser l'organisation à multiplier les attaques pour démontrer sa force et «protéger sa réputation».