Des grands magasins désertés, des rayons à moitié vide, des caisses sans caissières ... c'est le scénario catastrophe tant redouté par la grande distribution, si la pandémie de grippe A dégénère. Comme l'a précisé sur son blog Michel-Edouard Leclerc, patron du groupe éponyme, «le pire ne se réalisera pas forcément mais dans une bonne gestion de crise, il faut faire comme si». Parmi les mesures envisagées par les «cellules de crise» des distributeurs, la fermeture de magasins. Un cas extrême: «il faudrait que localement il n'y ait plus de personnel de sécurité ou qu'il n'y ait plus du tout d'hôtesses de caisse ou que l'on constate un arrêt des livraisons de marchandises ou encore plus de client», selon Pierre Frisch, directeur environnement et «Monsieur Grippe A» de Auchan.
On n'en est pas encore là. Ce qui occupe actuellement les distributeurs, c'est prendre des mesures pour continuer à fournir le plus longtemps possible un maximum de magasins, en cas de pandémie. Déjà, les enseignes alimentaires ont sensiblement augmenté les stocks de produits de première nécessité. Leurs entrepôts sont maintenant bourrés à craquer de palettes de sucre, lait en poudre, eau, conserves... Car si quelques supermarchés ferment, la crainte d'une pénurie pourrait gagner rapidement les esprits. On verrait alors des clients se ruer sur les produits de base, comme lors de la première guerre du Golfe.
Limiter au maximum l'absentéisme du personnel, c'est aussi l'un des objectifs de la profession qui redoutent 25 à 40% de salariés manquant. Toutes les grandes enseignes de l'alimentation, du bricolage ou du textile ont commencé à sensibiliser leur troupe aux «gestes barrières». Depuis plusieurs mois, elles ont acheté, en cas de besoin, des montagnes de savons antibactériens, de gels hydro-alcooliques et de masques de protection.
Chez Auchan, trois millions de masques ont été commandés pour protéger les salariés pendant une trentaine de jours. Carrefour en a stocké au moins autant et ils sont prêts à être livrés dans les magasins «en 24 heures». Les employés concernés s'inquiètent déjà de travailler avec cette protection collée sur le visage. Mais ils ne devront en porter que si la pandémie entre dans une phase critique. Les employeurs sont conscients que masquer les caissières risquent de faire fuir les clients. Pour rassurer ces derniers, des distributeurs de gel antibactérien sont également prêts à débarquer dans les espaces de vente. Au plus fort de la pandémie, on pourrait même, dans certains magasins, être invité à emprunter des circuits imposés pour éviter de croiser d'autres clients. La désinfection journalière des caddies et des tapis de caisses fait aussi partie des mesures envisagées, mais seulement en cas de crise aigüe. Les horaires d'ouverture pourraient également s'élargir afin de répartir les flux de clients sur une durée plus longue.
Pour le moment, les grandes enseignes communiquent peu sur leur plan anti Grippe A. Les masques de protection FFP2 restent planqués dans les entrepôts. Pas question d'affoler les consommateurs. Les dirigeants croisent les doigts pour que la pandémie soit limitée. Car ils savent bien qu'en prenant de l'ampleur, elle aura un impact très négatif sur leur business, surtout dans les magasins les plus vastes.
On voit mal les ménages continuer à fréquenter ces usines à vendre, comme si de rien n'était. Comme il faudra bien continuer à se nourrir, les commerces de centre ville, plus rassurants, pourraient mieux s'en sortir. Les achats en ligne vont-ils exploser? Les sites marchands de produits de grande consommation anticipent des volumes en hausse. Sans complexe, l'un des dirigeants de Houra.fr a confié au journaldunet.com que «la grippe A sera peut-être une très belle opportunité si les gens restent bloqués chez eux ou préfèrent éviter l'affluence du samedi dans les hypermarchés». Le site de produits alimentaires serait capable d'absorber 10 à 20% de commandes supplémentaires. A condition évidemment que les préparateurs de colis ou les chauffeurs échappent au virus ...
Bruno Askenazi
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Image de Une: Dans un supermarché Eric Gaillard / Reuters