La négociation sur le climat piétine. Nombreux sont déjà ceux qui craignent ou anticipent un échec du sommet de Copenhague en décembre. Soit que les Etats participants ne parviennent pas à trouver un accord, soit que celui-ci ne soit pas à la hauteur des enjeux. Et même si la communauté internationale parvient à un accord sur une politique climatique efficace et ambitieuse, rien ne permet d'affirmer que les engagements pris seront tenus.
De fait, l'accord global qui doit être trouvé pour succéder, à compter de 2013, au protocole de Kyoto, devra, pour avoir une efficacité quelconque, être réellement contraignant. Jean Tirole rappelle, à cet égard, dans un tout récent rapport au Conseil d'analyse économique, qu'un Français émet en moyenne annuellement environ 9 tonnes d'équivalent CO2[1], un habitant de l'Union européenne (à 27) 10,3 tonnes et un Américain 23,5 tonnes. Or, pour stabiliser le niveau de concentration des gaz à effet de serre à 550 ppmv CO2eq[2] à l'horizon 2050 - niveau qui supposerait une augmentation de température déjà élevée, probablement comprise entre 2,8 et 3,2°C - il conviendrait que les émissions de chaque habitant de la planète ne dépassent pas, à cette date, 2,5 tonnes de CO2eq. Objectif qui semble d'autant plus mal aisé à atteindre que, comme on sait, les pays émergents vont continuer de connaître une croissance soutenue dans les décennies à venir - ce qui ne manquera pas, malgré les transferts de technologies vertes, d'augmenter leurs émissions.
Il existe ainsi de bonnes raisons de douter du succès du sommet de Copenhague ou, du moins, d'envisager son échec. Que faire, si tel est le cas? Que faire, si nous ne parvenons pas à diminuer suffisamment tôt et dans des proportions suffisantes nos émissions de CO2? Comment éviter le risque d'«emballement» du climat que l'on nous prédit souvent?
La levée d'un tabou
John Holdren, conseiller scientifique du président Obama, interrogé en avril sur la géo-ingénierie - c'est-à-dire la manipulation délibérée et à grande échelle de l'environnement planétaire afin de contrecarrer le changement climatique anthropique - indiquait que l'hypothèse d'un réchauffement très brutal imposait une réflexion sur les technologies radicales et ajoutait: «nous ne pouvons nous offrir le luxe d'écarter certaines approches». Ce faisant, il levait un tabou.
Si le terme «géo-ingénierie» est assez récent, l'idée, elle, n'est pas vraiment nouvelle. Sans remonter au faiseur de pluie de certaines sociétés traditionnelles, on peut, par exemple, évoquer le météorologiste américain James Pollard Espy qui, dès 1830, suggère de faire pleuvoir par la maîtrise des feux de forêt. Plus récemment, un rapport, commandé par le président américain Lyndon B. Johnson en 1965, portait déjà sur la manière de contrecarrer les effets sur le climat des émissions de CO2. Ce travail, considéré comme le premier rapport de haut-niveau sur ce problème, concerne la seule géo-ingénierie (même si le terme n'est pas utilisé) sans qu'y soit évoquée la solution qui nous apparaît aujourd'hui comme la plus évidente - la réduction de nos émissions.
La géo-ingénierie n'est donc pas un sujet nouveau mais, comme le souligne David Keith, professeur à l'université de Calgary et spécialiste de cette question, son évocation est devenue politiquement incorrecte ces quinze dernières années, au moment où le climat devenait un sujet sensible dans les pays développés.
Les méthodes radicales de refroidissement du climat semblent cependant faire l'objet, depuis quelques mois ou quelques années, d'un regain d'attention et d'intérêt, qui résulte sans doute du constat que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre continuent de progresser dangereusement et risquent de nous acheminer vers un «tipping point» climatique, un basculement irréversible.
Ces tout derniers mois ont ainsi vu se pencher sérieusement sur la géo-ingénierie, outre le conseiller scientifique du président Obama, la Société météorologique américaine, le Centre du consensus de Copenhague («think tank» danois dirigé par le célèbre éco-sceptique Bjorn Lomborg), l'Académie des Sciences américaine et la Royal Society (l'équivalent britannique de l'Académie des sciences).
Quelques méthodes d'ingénierie climatique
Cette dernière dans un rapport publié ce mois-ci s'efforce d'évaluer les différentes solutions envisageables pour manipuler le climat, en fonction de plusieurs critères: efficacité de la technique proposée (faisabilité technique, effets attendus, uniformité ou non des effets etc...), rapidité (de sa mise en œuvre et des effets attendus), sécurité (degré de prévisibilité des effets, impact environnemental collatéral possible ou certain, réversibilité etc...), coût.
La géo-ingénierie comprend deux grands types de méthode: celles, largement acceptées, visant à capturer et séquestrer le CO2, généralement assez peu porteuses d'incertitudes et de risques (puisqu'elles visent à ramener la concentration de gaz à effet de serre à un niveau connu antérieurement, si possible pré-industriel) mais lentes à produire leurs effets (plusieurs décennies); celles visant à occulter ou dévier une (faible) partie du rayonnement solaire, qui sont souvent d'effet quasi-immédiat mais comportent davantage de risques et d'incertitudes.
Dans la première catégorie, on peut citer, par exemple, les politiques d'afforestation de plantation de certains types de végétation, le stockage géologique du carbone, la capture du carbone par le phytoplancton (grâce à la «fertilisation» des océans), diverses technologies industrielles de capture du CO2 présent dans l'air ambiant etc...
Dans la seconde catégorie, on peut mentionner l'augmentation de la réflectivité de la surface de la Terre (donc la baisse de température) obtenue en repeignant en blanc ou dans des couleurs claires (donc réfléchissantes) l'ensemble des infrastructures humaines (routes, trottoirs, toits des immeubles etc.), ou en installant des surfaces réfléchissantes dans les déserts chauds. On peut également citer l'augmentation du pouvoir réfléchissant des nuages par la pulvérisation d'eau salé dans l'atmosphère (afin d'augmenter la condensation des gouttes d'eau des nuages et donc de «blanchir» ces derniers) ou la mise en orbite d'un pare-soleil planétaire (constitué par exemple d'innombrables petits miroirs) pour dévier une partie du rayonnement solaire.
La Royal Society évoque aussi la diffusion dans la stratosphère de particules sulfatées renvoyant dans l'espace une partie de la lumière du Soleil. Cette solution, qui revient à recréer les effets d'une éruption volcanique, peut apparaître, à certains égards, comme la plus prometteuse. L'éruption du Pinatubo en 1991 avait conduit à faire baisser la température d'un demi degré dès l'année suivante. Nous avons donc la certitude que cette méthode fonctionne. Elle produit en outre rapidement ses effets et se révèle très bon marché. Cela étant, cette solution apparaît relativement risquée et pourrait avoir divers effets indésirables, notamment sur le régime pluviométrique.
«Plan B» ou solution optimale?
Aucune des solutions passées en revue par la Royal Society n'apparaît, pour l'heure, à la fois efficace, rapide, sûre et bon marché. Certaines cependant, comme la diffusion dans la stratosphère de particules sulfatées, présentent un «rapport» entre ces quatre critères intéressant. Ce qui, insiste l'institution britannique, doit conduire à entreprendre davantage de recherches. Car même si le recours à la géo-ingénierie doit rester une solution de dernier recours, il convient, indique-t-elle, de s'assurer qu'en cas de besoin (emballement du climat, incapacité de la communauté internationale à diminuer les émissions anthropiques de CO2), nous disposions d'un «plan B» qui fonctionne.
Les recherches qui seront entreprises montreront à coup sûr que certaines ou la plupart des techniques envisagées doivent être écartées. Mais il est possible que l'une d'entre elles apparaisse complémentaire ou même simplement préférable à la réduction des émissions de CO2 - les coûts et les risques qui y sont associés pouvant se révéler très inférieurs à ceux d'une politique climatique orthodoxe, «traditionnelle».
Un refus catégorique et idéologique de recourir ou même simplement de réfléchir à ce type de méthodes pourrait avoir des conséquences désastreuses. Ken Caldeira, professeur à l'université de Stanford et éminent spécialiste du climat, formule ainsi le problème: si nous ne parvenons pas à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, cela conduira à l'extinction des écosystèmes de l'Arctique. Dès lors, se pose, estime-t-il, une question d'ordre moral: que faudra-t-il faire en ce cas? Renoncer à la géo-ingénierie et donc se résoudre à la disparition de ces écosystèmes ou, pour les sauver, accepter d'y recourir?
Un partisan fervent de la géo-ingénierie, Jay Michaelson, formulait ainsi, en 1998, dans le Stanford environmental Law Journal, le problème auquel risquent de se trouver confrontés les écologistes: « [...] Accepter de sauver la nature par un moyen «contre-nature» ou refuser catégoriquement de «jouer les apprentis sorciers», quitte à voir disparaître ce pour la protection de quoi on se bat? Cruel dilemme, sans doute.
Mais peut-être la source des réticences face à la recherche et éventuellement au recours à la géo-ingénierie dépasse-t-elle cette seule question. Si la géo-ingénierie se révélait sûre et efficace, elle pourrait nous dispenser de changer notre mode et notre niveau de vie. Voilà qui peut-être est insupportable aux doctrinaires de la décroissance et aux idéologues de la frugalité.
Baptiste Marsollat
[1] Il existe plusieurs gaz à effet de serre (dioxyde de carbone mais aussi méthane, vapeur d'eau, oxyde nitreux, perfluorocarbones etc.) ayant chacun un potentiel de réchauffement global (PRG) différent. Plutôt que de mesurer les émissions de chaque gaz, on convertit celles-ci, en fonction de leur PRG, en une unité commune: l'équivalent CO2.
[2] C'est-à-dire 550 parties par million en volume d'équivalent CO2: dans un volume d'un million de m3 d'air, 550 m3 seraient occupés par le CO2 équivalent.
Image de Une: Une image de la terre prise par le satellite océanographique Jason NASA / Reuters